- Lauren ? appela Suzanne d'une voix étranglée.
Lauren aurait aimé lui parler, la rassurer, mais elle ne parvint qu'à la prendre dans ses bras en sanglotant. Elle se sentait profondément impuissante, mais surtout coupable, misérable, furieuse. Elle entendit, comme sous l'eau, sa sœur lui raconter comment elle avait été assommée au détour d'un couloir ce matin-là, puis comment elle s'était réveillée, aveugle, soutenue par un préfet de Poufsouffle qui l'avait emmenée ici.
Quelques minutes plus tard, Madame Pomfresh trouva ainsi dans son infirmerie la cadette Veerman, aveuglée par un maléfice et clouée au lit, consolant sa grande-sœur effondrée. Une fiole à la main, elle entreprit d'écarter cette dernière pour administrer sa potion à la malade.
Mais Lauren réagit brusquement. Elle se releva et se plaça devant elle comme pour faire barrage. L'infirmière la considéra les yeux écarquillés. Elle fit un pas pour contourner l'élève, mais cette dernière lui bloqua à nouveau le passage. Ce manège absurde dura encore un petit moment. Madame Pomfresh finit par s'agacer.
- Écartez-vous voyons, soupira-t-elle en la poussant sans ménagement, ce n'est pas comme ça que je vais pouvoir la soigner !
Lauren réalisa combien son comportement était absurde. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et se contenta d'examiner chacun des gestes de la sorcière.
- Qu'est-ce qui lui est arrivé ? l'interrogea-t-elle en effaçant ses larmes sur son visage. Qui lui a fait ça ? Arrêtez, qu'est-ce que vous lui faites !
Madame Pomfresh suspendit son geste, la potion à quelques centimètres des lèvres de Suzanne, toujours plongée dans le noir et angoissée par l'agitation de Lauren.
- Miss, vous allez vous calmer tout de suite, ordonna-t-elle fermement. Si vous croyez aider votre sœur en paniquant, vous vous trompez gravement. Alors maintenant, taisez-vous, prenez sa main et laissez-moi travailler.
Elle attendit que Lauren acquiesce et prenne la main de sa sœur pour faire boire la potion à Suzanne.
- Vous allez l'emmener à Sainte Mangouste ? continua La Chouette alors que Suzanne semblait s'endormir.
- Ce ne sera pas nécessaire. En revanche, j'aurais besoin des compétences du professeur Slughorn qui ne devrait pas tarder à...
- C'est de la magie noire ? devina Lauren avec angoisse.
La femme la fusilla du regard.
- Comme je le disais, le professeur Slughorn nous aidera à éclaircir ce point.
Et en effet, la voix outrée du professeur de Potions se faisait déjà entendre dans le couloir, pour exploser dans l'infirmerie lorsqu'il entra en compagnie du Directeur.
- Mais puisque je te dis que je ne pratique pas la magie noire, Albus !
- J'entends cela, Horace, répondit calmement Dumbledore, et je ne t'accuserais certainement pas d'une telle chose. Mais ne pas pratiquer la magie noire n'exclut pas une certaine connaissance de la matière...
- Une connaissance de la matière ? répéta le sorcier, la moustache frémissante.
- Horace, la santé d'une élève est en danger.
Les deux hommes s'interrompirent en arrivant devant le lit de Suzanne, dont la lente respiration indiquait qu'elle dormait.
- Je lui ai administré un Filtre de Mort Vivante, expliqua Madame Pomfresh avant de préciser à Lauren qui semblait prête à l'assassiner sur place : un simple somnifère. Elle était consciente lorsque je l'ai reçue ici mais elle était très agité, alors j'ai préféré l'endormir.
- Merci, Pompom, tu as bien fait. Horace ?
Dumbledore laissa place au professeur de Potion. Celui-ci grommela et finit par se pencher légèrement sur la malade, la baguette à la main. Il n'eut besoin que de quelques secondes pour identifier la nature du maléfice, faillit l'annoncer sans détour, avant de prendre un air hésitant qui ne trompa personne.
- C'est bien de la magie noire, oui, marmonna-t-il. Il me semble qu'il s'agit d'un Visus Obscura.
- Vous pourrez la soigner ?
- Oh, bien sûr ! s'exclama-t-il sur le ton de l'évidence, avant de toussoter. Hum, oui, certainement. Ce n'est pas un sortilège très complexe... J'ai une ou deux potions qui feront l'affaire. Du reste, il faudra juste du temps. La magie noire est rapide à pratiquer mais lente à guérir.
- Et... les traces ? demanda Lauren en désignant les grandes croix rouge barrant les immenses yeux dessinés sur les paupières de Suzanne.
- Du maquillage, rien de plus. L'auteur de la plaisanterie a simplement dû...
- De la plaisanterie ? releva-t-elle froidement.
- De...enfin...de la... bredouilla Slughorn.
- Merci, Horace, le coupa Dumbledore d'un ton amical. Aurais-tu quelques secondes supplémentaires à m'accorder ?
Les deux sorciers s'éloignèrent du lit et La Chouette ne prêta pas attention à leurs chuchotements, trop préoccupée par l'état de sa sœur. Elle aida Madame Pomfresh à effacer les traces du sinistre maquillage. Même endormie, Suzanne avait les sourcils froncés et les yeux plissés. Lauren défit avec douceur la coiffure complexe que la Pousfouffle avait tressée le matin même, laissant reposer ses longs cheveux en une auréole autour de son visage.
Elle entendit à peine le directeur revenir vers elles.
- Pompom ? fit-il à l'infirmière. Puis-je t'emprunter ton bureau ? Bien, venez avec moi, Miss Veerman. Miss Veerman ?
Lauren releva la tête. Elle vit le sorcier, debout à côté d'elle, une expression de compassion autoritaire sur son vieux visage. Elle se leva lentement et le suivit, ne quittant des yeux Suzanne que lorsqu'il ferma la porte du bureau derrière eux.
C'était une pièce agréable remplie de plantes de toutes sortes et de fioles soigneusement étiquetées. Une grande fenêtre donnait sur le Lac doré par le soleil. Lauren fut presque surprise de constater qu'il faisait jour. Il était onze heures sept du matin.
- Étonnant comme le temps ne se soucie pas de nos drames, commenta le Directeur, debout à côté d'un squelette anatomique remuant ses phalanges.
La jeune fille ne dit rien. Elle se sentait lentement reprendre ses esprits.
- Votre sœur ira bien, continua Dumbledore.
Elle hocha distraitement la tête.
- En revanche, il nous faut trouver son agresseur.
- Je ne sais pas qui c'est, répondit-elle aussitôt.
Lauren se sentait mal à l'aise. Elle ne savait pas où se placer dans la pièce, ni comment se comporter. Dumbledore était toujours debout, coude contre coude avec le squelette, comme avec un vieil ami. Cette vision la fit sourire. Elle se détendit un peu et posa les mains sur le dossier de la chaise face à elle pour se stabiliser.
- Votre sœur a-t-elle des ennemis ? demanda le vieux mage.
- Non, rit-elle jaune tant cela lui paraissait absurde. Tout le monde aime Suzanne.
Dumbledore sourit légèrement et son regard se perdit à travers la fenêtre, vers le terrain de Quidditch.
- Et ce garçon de Gryffondor qu'elle a assommé avec un cognard au dernier match ?
- Pardon ?
- Il me semble qu'il a dû faire un séjour à l'infirmerie...
Lauren resta un instant bouche bée.
- Vous plaisantez ?
Elle se sentait subitement beaucoup moins apathique, et fut prise d'une violente envie de l'assommer d'un coup de fémur de squelette anatomique. Devinant son agitation - et peut-être aussi ses intentions -, Dumbledore reporta enfin ses yeux bleus sur elle, son expression se faisant plus sombre.
- Vous avez raison, se reprit-il, la situation et grave, et c'est pourquoi je vais m'adresser à présent non à la sœur mais à... La Chouette, termina-t-il d'un ton entendu.
La sorcière raffermit sa prise sur le dossier de la chaise. Elle se rappela soudain cette peur irrationnelle que suscitait chez elle le Directeur de Poudlard. Il était trop puissant, trop savant, et cette malice, ses excentricités l'inquiétaient. Elle savait que les élèves l'admiraient et se sentaient en sécurité avec lui, mais elle était tout simplement effrayée par l'homme. Comme s'il connaissait le mythe pathétique qu'elle avait créé autour de La Chouette, et le détruirait en un centième de seconde.
- Avez-vous une idée de qui pourrait s'en être pris à Suzanne ?
- Non.
- Et de la raison de son agression ?
Elle se tut.
- Miss Veerman, cessons de prétendre que l'attaque de votre sœur n'a aucun lien avec vos activités. De toute évidence, le dessin sur ses yeux n'est pas un hasard et quelqu'un a voulu s'en prendre à vous à travers elle. Avez-vous des ennemis ?
La sorcière ferma les yeux comme pour échapper au bleu perçant de son interlocuteur, inspira lentement, et les rouvrit avec une détermination nouvelle, délaissant le dossier de la chaise pour croiser les bras sur sa poitrine.
- Je ne sais pas. Oui, sûrement. En partant du principe que tout le monde est un potentiel ennemi.
- Moi compris ? releva-t-il, les yeux pétillants.
Elle le considéra avec attention.
- Peut-être, dit-elle lentement, puisque vous semblez décidé à ne pas prendre au sérieux le nid de Mangemort qu'est devenu Poudlard.
Dumbledore parut légèrement surpris par son accusation si directe. Il ne perdit toutefois pas son air malicieux.
- Vos manigances me font pourtant penser que vous traitez également cela avec beaucoup de légèreté, nota-t-il.
Lauren eut un mouvement de recul.
- C'est incomparable ! protesta-t-elle. Vous êtes directeur, je suis élève. J'ai quinze ans. Nous devons bien avoir au moins cent-vingt ans d'écart vous et moi, ne me dites pas que vous attentez que je combatte le Seigneur des Ténèbres à mon âge ?
- Alors vous pariez sur cent trente-cinq ans, vous ?
La colère la quitta alors qu'elle tentait de comprendre le sens de sa question. Il lui sembla un instant que le vieil homme échangeait un regard complice avec le squelette anatomique.
- Pardon ?
- Vous pensez que j'ai cent trente-cinq ans ? demanda Dumbledore d'un ton amusé. La plupart des élèves n'osent pas dépasser la centaine, mais peut-être est-ce pour ne pas me vexer...
Lauren comprit ce qu'il essayait de faire. Dumbledore savait désarçonner, détourner l'attention pour mieux attaquer ensuite. Il plaisantait avec un plaisir évident et stratégique qui lui donnait toujours l'avantage. Alors évidemment, qu'elle avait peur de lui. Qui ne pouvait avoir peur d'un tel esprit ?
La sorcière ne sourit pas. Elle savait qu'elle ne gagnerait pas face à Albus Dumbledore, alors elle décida d'être directe, s'accrochant à sa colère pour soutenir son courage.
- Non, dit-elle froidement. Vous avez quatre-vingt-seize ans et votre anniversaire est le 18 juillet.
Le mage haussa un sourcil surpris et amusé puis passa sa main dans sa longue barbe blanche. Il se tut, attendant visiblement que Lauren reprenne la parole, mais elle se contenta de le fixer, empêchant ses yeux de dériver sur la lourde horloge du bureau.
- Je prends très au sérieux la montée de Voldemort, Miss, reprit finalement Dumbledore en faisant quelques pas. Les professeurs font de leur mieux pour en éloigner les élèves.
- En leur faisant copier des lignes ? railla-t-elle avec amertume. Mulciber n'a même pas été renvoyé après l'attaque de Mary McDonald l'année dernière.
- Aurais-je du le laisser tomber dans les bras de Voldemort ?
- Et vous pensez que le garder deux ans de plus va faire de lui une gentille licorne ?
- Pas une licorne, non, concéda le vieil homme, mais je crois que vous savez qu'il existe mille nuances de malfaisance et de bonté.
- Et à partir de quelle nuance est-il trop tard ?
- Il n'est jamais trop tard. Voyez votre ami Regulus Black.
Cette fois-ci, elle dut retrouver l'appui du dossier. Elle chercha vainement quelque chose à répliquer.
- Voyez également vous-même, continua gravement Dumbledore. J'ai à l'esprit une dizaine de raisons de vous renvoyer. J'ai connu des sorciers manipulateurs comme vous, qui sont devenus de terribles mages noirs. Et pourtant me voici à discuter avec vous d'un moyen de vous défendre.
Il perçait La Chouette du regard, comme elle-même n'en était pas capable. Elle frissonna. Puis Dumbledore s'avança vers la porte et elle sut que la discussion serait bientôt close.
- Ce qui nous ramène à l'agression de votre sœur. Je vais commencer par prévenir vos parents, ils ne tarderont pas à venir la voir. Ensuite, je....
- Non.
Le sorcier la regarda curieusement, car si sa colère lui semblait légitime, cette dernière réaction était surprenante.
- Je veux dire... hésita Lauren, ce n'est pas nécessaire. Pas nécessaire de les inquiéter, je veux dire. Le professeur Slughorn a dit que ce n'était pas très grave, alors...
- Leur présence pourrait pourtant rassurer votre sœur.
- Je suis là pour la rassurer.
Elle se racla la gorge et tenta d'adopter un ton ferme, d'ignorer ses derniers mots.
- Mes parents sont occupés.
Elle ne mentait pas tout à fait, après tout. Son père était occupé à garder son poste à Sainte-Mangouste alors qu'on purgeait doucement le personnel Né-Moldu. Et sa mère était occupée à sauver sa peau de femme divorcée auprès de sa famille à moitié Mangemort. Ce n'était pas rien. Quoi qu'il en soit, ils étaient tous deux trop occupés pour passer plus de six secondes dans la même pièce sans se lancer des Sortilèges Impardonnables.
Albus Dumbledore devait être habitué aux secrets de famille car il n'insista pas davantage.
- Bien, acquiesça-t-il. Je veux dans ce cas que vous sachiez que je n'accepterai pas qu'un autre de mes élèves se fasse attaquer dans l'enceinte de ce château. Je vais me renseigner, et me pencher davantage sur le cas Mulciber. En attendant, conclut-il d'un air entendu, je conseille à La Chouette de suspendre ses activités.
Son affirmation n'appelait aucune protestation. Lauren se sentait encore sonnée, et alors qu'elle suivait le Directeur hors du bureau, elle ne s'amusa même pas du geste de salut poussiéreux que lui adressa le squelette anatomique.
Seulement, avant qu'elle ne regagne avec soulagement le lit de sa sœur, le vieux mage l'arrêta d'un geste, curieux.
- Comment aviez-vous deviné ? l'interrogea-t-il.
Elle fronça les sourcils et mis quelques secondes à comprendre sa question.
- Vos trophées donnent une idée de l'année de votre arrivée à Poudlard. Et... le professeur Flitwick cherchait un cadeau, pour vous. Pour le 18 juillet.
Le directeur eut une expression franchement réjouie.
- Alors c'était vous, les magazines de tricot ?
***
La Chouette surveilla sa sœur endormie pendant des heures. Elle se repassait la discussion avec Dumbledore, cherchant à comprendre les sous-entendus du vieil homme. Avait-il raison de donner une seconde chance aux futurs Mangemorts de sa Maison ? Pouvaient-ils encore changer de camp ? Était-ce que qu'elle essayait de faire, sans vraiment le savoir, avec Regulus ? Mais en réalité, quel était son camp, à elle ?
Lauren ne s'était jamais pensé comme une réelle menace ; était-elle comme eux ? Comme Mulciber ? Comme Rogue ? Qui étaient ces mages noirs manipulateurs que le Directeur avait connus ? La sorcière avait toujours imaginé le Seigneur des Ténèbres comme rien de plus qu'un grand sorcier, mais peut-être avait-il aussi d'immenses capacités de persuasion. Peut-être était-ce cela qui séduisait tant les familles Sang Pur, et Regulus. Elle se promit de trouver le véritable nom de Voldemort.
Personne ne vint leur rendre visite de toute la journée. Sauf... Regulus, qui arriva le soir à sept heures vingt-huit.
- Lauren ! l'appela-t-il en se dirigeant d'un pas pressé vers les deux sorcières. Comment va-t-elle ?
Lauren haussa les épaules et il se figea brusquement au pied du lit, soudain mal à l'aise devant la fragilité de Suzanne endormie.
- Qui ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas.
- Mais tu as des idées.
Elle hocha la tête avec lassitude.
- Beaucoup trop.
- Nous le trouverons.
Lauren lui adressa un sourire fatigué. Elle étira son cou et ses épaules, prenant conscience qu'elle n'avait pas changé de position depuis plusieurs heures.
- Et qu'est-ce que c'était ? continua le sorcier en étudiant les paupières encore sombres de Suzanne.
- Slughorn a parlé de... Visus Obscura.
Il hocha lentement la tête.
- Ce n'est rien de très grave, alors. Elle n'aura aucune séquelle.
- Tu en es sûr ?
- Oui. Ça ira, assura-t-il. Je suis désolé de ne pas être venu plus tôt, j'ai remarqué que tu n'étais pas là en cours de Métamorphose mais je n'ai appris pour ta sœur qu'au déjeuner. Tout le monde en parlait et les professeurs nous ont interdit de venir ici.
Ce n'est qu'à cet instant que Lauren, jusqu'alors engloutie par l'inquiétude, réalisa combien il était incongru que Regulus Black rende visite à Suzanne quand aucun des amis de sa sœur n'était encore entré dans l'infirmerie.
- Alors comment tu as fait pour convaincre Pomfresh ? l'interrogea-t-elle.
- J'ai demandé poliment, expliqua-t-il simplement, et elle n'eut aucun doute sur la véracité de ses propos.
Il eut la délicatesse de la laisser à ses pensées, inspectant pour sa part les divers flacons disposés sur la table de nuit.
Treize minutes huit plus tard, l'arrivée de Jamila fut moins discrète.
- JE SOUFFRE ! hurla-t-elle en entrant dans l'infirmerie.
Elle avait une profonde entaille sanguinolente sur toute la longueur de l'avant-bras. Pomfresh lui intima de se taire et courut chercher les potions dans sa réserve personnelle. La Serpentard retrouva alors un grand sourire, agita la baguette et fit disparaitre ce qui était en fait une illusion de blessure. Elle les rejoignit de son pas assuré.
- Il y a une horde de Poufsouffle à l'entrée, soupira-t-elle en regardant autour d'elle comme on visiterait un musée, ses longs cheveux bruns se balançant dans son dos. Ils disent qu'ils sont prêts à faire la grève de la faim pour pouvoir entrer. Et ce n'est pas peu dire, venant d'eux, ajouta-t-elle en riant.
- Les sacrifices qu'on peut faire par amour, sourit Lauren.
- Je ne plaisante pas ! s'exclama la sorcière en jetant un œil à la porte du bureau où Madame Pomfresh était allée chercher une potion pour elle. Elle doit avoir un fanclub ou quelque chose comme ça... Enfin, moi, j'ai inventé une petite blessure, un sortilège à peine complexe et me voilà !
Elle s'arrêta au pied du lit, paume au ciel comme si elle se trouvait être une sorte d'apparition divine.
- Au fait, comment va la petite Suzie ?
Regulus était outré, Lauren amusé. Elle jeta un œil sur sa sœur et remarqua que l'éclat de la Serpentard l'avait réveillée. Ses paupières sombres s'ouvraient, dévoilant des iris grisâtres. Elle se pencha sur elle.
- Sue, c'est Lauren. Tout va bien, tu es à l'infirmerie. Il y a aussi Regulus et Mila.
- Je vois flou... murmura la Poufsouffle.
- C'est normal, intervint Regulus d'une voix presque douce. Les effets du maléfice disparaitront progressivement, et tu retrouveras bientôt entièrement ta vue.
Il se redressa vivement lorsqu'il entendit les talons de l'infirmière venir à eux.
- Qu'est-ce que vous faites ici ? siffla-t-elle, les bras remplis de fioles.
- Vous avez accepté que je rentre, Madame, dit respectueusement Regulus.
Elle plissa les yeux. Impossible de lutter contre ses airs d'enfant modèle et mystérieux, sa retenue évidente. Il croisa les mains derrière son dos dans un geste à mi-chemin entre l'élève pris en faute et l'homme en passe de conclure un gros contrat.
- Bien évidemment, mais c'était parce que je... parce que vous...
La politesse de Regulus Black avait apparemment des effets semblables à un Imperium. Pomfresh dissimula son embarras et se tourne sur Jamila qui essayait discrètement de faire réapparaitre sa blessure imaginaire.
- Vous n'avez plus l'air de beaucoup souffrir, dites-moi ? s'étonna-t-elle faussement, retrouvant toute sa verve.
- Je cicatrice vite, assura la Serpentard avec aplomb.
Le cœur de Lauren fit un bond quand elle entendit sa petite sœur pouffer doucement.
- Bien ! s'exclama vivement Pomfresh. Dans ce cas, je suppose que vous n'avez plus rien à faire dans mon infirmerie. Quant à vous, Monsieur Black, ajouta-t-elle plus gentiment, je préfèrerais que vous laissiez ma malade se reposer.
Regulus amorça un pas pour rejoindre Jamila, mais il s'interrompit et se planta devant l'infirmière. Il se tint très droit, et cette fois-ci, Lauren put le voir au milieu du Magenmagot, plaider pour un projet de loi.
- Si je puis me permettre, Madame, dit-il, la magie noire guérit mieux quand le sujet est entouré de... chaleur. D'amis. La solitude et les pensées sombres ont tendance à nourrir ce genre de maléfices. Je suggérerais donc que vous ouvriez la porte pour faire entrer ses amis.
La sorcière ouvra la bouche, surprise, puis mis ses mains sur les hanches avec agacement.
- Merci, Monsieur Black, répondit-elle sèchement, je penserai à vous quand on m'aura lancé un sortilège d'Amnésie et que j'aurais besoin de quelqu'un pour me rappeler comment faire mon travail. En attendant, vous pouvez filer.
Regulus se raidit. Lauren remarqua son expression vexée. Toujours assise à côté de sa sœur, elle lui adressa un sourire reconnaissant et lui indiqua d'un signe de tête que tout irait bien.
Quand la porte claqua derrière eux, Pomfresh se pencha sur Suzanne pour inspecter ses iris.
- Comment tu te sens, ma petite ? demanda-t-elle gentiment.
La Poufsouffle cligna plusieurs fois des yeux.
- Je vois toujours flou, dit-elle d'une petite voix.
- C'est normal, assura l'infirmière. Il faut un peu de temps mais tu pourras bientôt voir correctement.
Suzanne hocha la tête.
- C'est ce que Regulus Black m'a dit.
Lauren se retint d'éclater de rire en voyant Pomfresh rougir d'indignation. Puis elle perçu le léger sourire de Suzanne, comprit qu'elle avait fait exprès de provoquer l'infirmière, et se sentit incroyablement soulagée et fière. Si sa sœur pouvait faire la petite peste à nouveau, tout allait bien.
Elle se crispa un peu quand la femme se tourna vers elle, anticipant son ordre.
- Vous, j'aimerais que vous regagniez votre dortoir. Il est tard et votre sœur n'a pas besoin de vous ici. Vous pourrez retourner la voir demain midi, après vos cours.
La main de Suzanne serra fortement la sienne.
- Je préfère rester ici, déclara fermement Lauren.
- C'est très bien, mais c'est impossible. Vous reviendrez demain, répéta l'infirmière.
- Non.
- Ce n'est pas une question, Miss Veerman.
- Je dormirai dans un lit de l'infirmerie à côté de Suzanne, affirma La Chouette sans ignorer que la sorcière frôlait la crise de nerf.
Elle gagna la bataille à neuf heures trente-six du soir. Madame Pomfresh éteignit les lumières de l'infirmerie en partant, et Lauren se glissa dans un lit sans avoir lâché une seconde la main de sa sœur.
Elle se réveilla à sept heures trente le lendemain au son du grincement de la porte. Elle sauta immédiatement du lit, prête à se battre, secoua la tête pour sortir du cauchemar dans lequel elle était plongée onze secondes plus tôt, et fut surprise de découvrir Regulus. Il finit par entrer en grimaçant, visiblement angoissé à l'idée de braver le règlement. Il fit signe à ses trois acolytes habituels - ceux que Lauren appelait Cerbère - qu'ils pouvaient partir sans lui.
- Qu'est-ce que tu fais là ? chuchota la sorcière en réajustant son uniforme qu'elle n'avait pas quitté de la veille.
Il tira sur son col.
- Tu as passé la journée à l'infirmerie hier, et tu as raté tous tes repas. Sans parler des cours de Métamorphose, d'Étude des Runes et d'Histoire de la Magie.
Lauren aurait aimé lui dire qu'elle s'en fichait comme de sa dernière chaussette tricotée, mais elle ne voulut pas heurter le garçon - en particulier alors qu'il se montrait si attentionné.
- Je voulais te proposer de surveiller Suzanne pendant que tu allais prendre ton petit déjeuner et chercher tes affaires, continua-t-il. Je l'aurais bien fait pour toi, mais je n'ai pas accès au dortoir des filles, et Jamila Alnabil m'a dit qu'elle... qu'elle ne t'aimait pas assez pour s'abaisser à transporter tes... enfin... qu'elle n'était pas prête à t'aider.
La sorcière sourit, pas vraiment étonnée par la réaction de son amie. Elle n'ajouta rien, mais elle vit le sorcier réaliser en même temps qu'elle, alors qu'il prononçait ces mots, que si Jamila Alnabil n'était pas prête à s'abaisser à porter les affaires de Lauren Veerman, alors Regulus Black devait l'être encore moins. Elle le laissa à ces réflexions et revint vers le lit de sa sœur pour s'assurer que son départ ne la dérangerait pas.
- Vas-y, sourit Suzanne qui s'était réveillée.
Lauren l'embrassa sur le front, remercia Regulus qui s'asseyait déjà sagement devant le lit, et sortit de l'infirmerie.
Elle traversa le château jusqu'à son dortoir. Une fois changée et munie d'un sac rempli d'affaires qui lui permettraient de tenir un siège de plusieurs semaines à l'infirmerie, elle se rendit dans la Grande Salle pour le petit-déjeuner. Sur le chemin, un Serdaigle de Troisième année l'interpella :
- C'est vrai que ta sœur va être aveugle toute sa vie ?
- Qui t'a dit ça ?
- Skeeter. Elle m'a aussi dit que maintenant, si on croisait son regard, on pouvait mourir.
Elle ne trancha pas la question et laissa le pauvre élève angoissé au milieu du couloir. À table, Gaspard Shingleton lui demanda joyeusement comment elle allait. Il n'évoqua pas Suzanne en sept minutes vingt-deux de conversation.
Mais c'est la conversation des Sixième année qui intéressait Lauren.
- Quelqu'un devait en avoir assez qu'elle défende les Sangs de Bourbe, commentait Avery.
- À moins que ça n'ait un rapport avec sa sœur, ajouta Rogue. Rendre aveugle la sœur de La Chouette... c'est symbolique.
- En espérant que ça calme cette emmerdeuse, conclut Mulciber.
Lauren se sentit d'un coup nauséeuse. En se relevant, elle croisa le regard sombre de Rogue, et comprit qu'il savait qu'elle avait entendu leur discussion.
Elle intercepta un élève de Première année à qui elle fit passer un message pour le Serpentard. Huit minutes trente-neuf plus tard, Rogue la retrouvait face au tableau vide de Monseigneur Cuthbert.
- C'était toi ? demanda-t-elle immédiatement.
Le garçon eut un ricanement sarcastique. Mais elle voyait bien qu'il serrait trop fort ses quatre grimoires contre sa poitrine.
- D'après toi ?
La Chouette était à peu près sûre que Severus Rogue n'était pas responsable. D'abord, parce qu'il était avant tout un suiveur ; jamais il n'aurait pris une telle initiative. Ensuite et surtout, car il ne se serait pas contenté d'un maléfice aussi simple.
- Mulciber ? dit-elle alors.
Elle essaya de lire sur son visage la réponse, mais elle n'y trouva qu'un masque impassible.
- Avery ?
- Dis-moi, pourquoi je t'aiderais ? cracha-t-il.
- Parce que... parce que...
Elle se remémora les paroles de Dumbledore. Parce qu'il pouvait changer, peut-être ? Parce qu'il y avait toujours Lily Evans, cela elle en était certaine.
- Passons un contrat, proposa-t-elle.
- Je te rappelle que tu as déjà une dette envers moi.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Je ne veux rien... pour l'instant, ajouta-t-il d'un air mauvais.
Et il partit de son pas de chauve-souris. Alors, La Chouette se souvint de son cauchemar. Elle était emmêlée dans les fils de ses alliances comme entre les lianes d'un Filet du Diable. Impossible de défaire les nœuds. Surtout, impossible de retrouver le marionnettiste. Et la lumière...