Lauren passa les cinq nuits suivant l'incident à l'infirmerie. Pomfresh préférait garder sa sœur à l'œil, et elle avait donc déplacé un lit à côté du sien pour la veiller et calmer ses cauchemars. Ces derniers étaient récurrents, trop récurrents, et La Chouette n'avait jamais aussi peu dormi.
Elle avait toutefois été forcée de la quitter pour la journée. Car au-delà des retenues qu'elle accumulait et des BUSE qui approchaient, Lauren risquait très fortement de sombrer dans la paranoïa. C'était du moins ce que l'infirmière prédisait et ce que ses amis observaient.
- Dumbledore veut que je suspende mes activités, murmura-t-elle le deuxième jour à Jamila alors qu'elles se rendaient à la volière.
- Quelles activités ?
- Mon élevage de Boursoufs.
- Sage décision.
Lauren lui adressa un regard fatigué.
- Mes activités de Chouette, Mila, soupira-t-elle.
Son amie cligna des yeux plusieurs fois.
- C'est plus cohérent, en effet. Et qu'est-ce que tu vas faire ?
- Refuser.
La détermination dans sa voix la surprit elle-même.
- Je ne te savais pas courageuse comme ça, s'étonna la sorcière. Refuser de te soumettre pour le Bien...c'est très...
- Stupide, termina Lauren en ricanant. Alors non, ce n'est pas pour ça. La raison, c'est que je ne peux tout simplement pas arrêter de regarder. C'est... moi. Et puis j'ai créé un réseau trop grand, si j'arrête un contrat, tout s'effondre.
- Et moi, je perds ma seule chance d'épouser Londubat, ajouta très sérieusement Jamila.
Elles entrèrent dans le volière et La Chouette s'appuya sur le mur pour éviter les déjections de hiboux tandis que son amie appelait le sien.
- Tu sais, peut-être que tu y vas un peu fort avec le mariage, avança-t-elle diplomatiquement. Tu pourrais par exemple commencer par devenir sa petite amie...
La Serpentard eut un rire méprisant.
- Et puis quoi, encore ? Fêter la Saint-Valentin avec lui ?
Il était en effet comique d'imaginer Jamila au milieu des angelots, mais...
- C'est une très bonne idée, en fait, s'enthousiasma Lauren.
- Il y a des limites à l'humiliation.
- En quoi sortir avec un garçon est-il humiliant ? rit-elle en s'avançant à son tour pour appeler un hibou de Poudlard.
- Il n'y a qu'à voir Shingleton et toi.
La Chouette lui jeta un regard en biais tout en attachant deux lettres pour ses parents, racontant sommairement que Suzanne courait désormais davantage de danger en s'étouffant avec sa montagne de confiseries qu'à cause d'un maléfice bien placé.
Pur mensonge, évidemment.
- Ou à ne pas vous voir, en fait, continua Jamila en fronçant les sourcils. Vous êtes toujours ensemble ?
Elle regarda le hibou s'envoler.
- Oui. Je suis simplement occupée à d'autres choses en ce moment.
Elles sortirent de la volière.
- Alors tu vas contre-attaquer ? l'interrogea l'Égyptienne.
Lauren passa une main lasse sur ses cheveux qu'elle ne s'appliquait plus vraiment à peigner.
- Je ne sais même pas qui attaquer.
- Et alors ? Tu es La Chouette, après tout. Tu sais tout.
- C'est bien ça, le problème, s'agaça Lauren. Je ne sais pas ! Je ne sais rien !
Ses yeux ensommeillés la brûlaient et sa tête lui semblait aussi vide qu'une citrouille d'Halloween. Elle avait aussi des crampes à la nuque, mal au dos, et le sentiment général d'avoir subi un sortilège de Confusion. Autant dire que le sourire mystérieux de Jamila l'irrita beaucoup trop. Elle s'apprêtait à la rembarrer violemment lorsque son amie la coupa, murmurant avec excitation :
- Mais eux ne savent pas. Ils ne savent pas que tu ne sais pas. Tu n'as qu'à prétendre que tu connais ton ennemi, et tout le monde te croira. Ensuite, il te suffit de le menacer des pires représailles et jamais il n'osera s'en prendre à nouveau à toi.
Elles se regardèrent longtemps dans le blanc des yeux, avant que La Chouette ne hoche lentement la tête. Elles échangèrent alors un regard entendu, un sourire à peine diabolique au coin des lèvres.
C'était un plan terriblement bancal. C'était aussi le seul plan valable. Car Lauren naviguait en pleine incertitude et qu'il était hors de question qu'elle ne réagisse pas. Il lui fallait juste un peu de temps pour trouver le véritable coupable.
Trois jours après l'attaque de Suzanne, elle était donc déjà prête à répliquer en suivant l'idée de Jamila. Elle s'était peignée et avait mis sa plus belle robe, allant jusqu'à user de sortilèges pour dissimuler ses cernes. Elle commençait à comprendre pourquoi Regulus s'appliquait tant à soigner son apparence. Il fallait paraître lisse en toute circonstance. Ne jamais montrer sa faiblesse.
Elle attendit de pied ferme que les élèves de Sixième année sortent de leur cours de Potion. Gaspard fut le premier.
- Bonjour, ma tourterelle ! s'exclama-t-il joyeusement en se penchant pour l'embrasser.
Lauren l'évita en laissant passer entre eux une élève qui sortait aussi de la salle.
Le fait était que Gaspard Shingleton faisait partie de sa liste de suspects. Et qu'il n'était pas fichu de prendre une seule fois des nouvelles de sa sœur.
- Je viens pour Black, expliqua-t-elle devant son incompréhension.
Il plissa imperceptiblement des yeux puis retrouva son habituelle légèreté.
- On se voit au diner, alors ! sourit-il en partant.
Lauren le regarda s'éloigner.
Peter Pettigrow fut le premier Maraudeur à passer la porte. Elle attrapa son poignet et le plaqua plus ou moins délicatement contre le mur tout en guettant la sortie des trois autres.
- C'est... euh... ça va ? bredouilla le Gryffondor, embarrassé par son contact.
- Tu peux faire venir tes copains ? demanda-t-elle fermement.
Il se tordit les mains, les rangea dans ses poches d'un air faussement nonchalant, puis se décida à passer la tête dans la classe pour appeler ses amis.
- Ils sont en train de nettoyer, expliqua-t-il en revenant à elle.
- D'accord.
- Remus a fait exploser son chaudron, continua-t-il comme s'il voulait faire la conversation.
- Lupin ? s'étonna-t-elle.
Il acquiesça et lança un regard peu assuré à Severus Rogue qui sortait de la salle.
- Les voilà ! s'écria-t-il avec soulagement quand le reste des Maraudeurs arriva, un fin sourire sur les lèvres.
La Chouette regarda la montre à son poignet.
- Quatre minutes quarante, promit-elle.
James fit un mouvement de tête et ils la suivirent jusque dans le cloitre presque désert.
Elle se retrouva ainsi face aux quatre garçons partagés entre la curiosité et l'ennui. Elle hésita encore. Après tout, Sirius Black était troisième dans la liste des suspects. Il avait toutes ses raisons de la détester, et pour avoir grandi chez les Black, il devait connaitre un large répertoire de maléfices de magie noire. Il avait aussi l'appui de ses trois amis, qui n'étaient pas avares de plaisanteries. Et si un groupe était inaccessible à La Chouette, c'était bien eux.
Bref, ils étaient les coupables parfaits et Lauren s'apprêtait à les inclure dans son plan.
- J'ai un contrat à vous proposer, affirma-t-elle sans détour.
- Mais encore, l'encouragea Potter.
Elle jeta un coup d'œil rapide vers Sirius Black, frissonna devant son air impassible.
- J'aimerais faire passer un message à la personne qui a attaqué ma sœur.
- Il me semble que tu te débrouilles plutôt bien sans nous, dans ce domaine, fit remarquer Lupin.
- Je veux un message voyant, précisa-t-elle.
- Voyant comment ?
- Très voyant. Du genre... impossible à rater. Partout.
- C'est dans nos cordes, dit James Potter après avoir échangé un regard complice avec ses amis. Et que reçoit-on en échange ?
- Je peux vous arranger les rendez-vous de votre choix pour la Saint-Valentin.
Elle-même dut se forcer à ne pas éclater de rire avec eux. Même après une nuit entière à l'avoir repassée dans sa tête, l'idée lui paraissait toujours aussi absurde.
- Tu crois vraiment qu'on a besoin de toi pour trouver quelqu'un ? demanda le Poursuiveur, les yeux pétillants.
- Évidemment, vous trouverez toujours quelqu'un, rectifia-t-elle. Mais pas nécessairement la personne que vous voulez vraiment. Et puis je parlais du rendez-vous en lui-même. Je peux vous trouver un lieu, une activité. Pour un rendez-vous original.
Elle se serait bien jetée du haut de la tour d'Astronomie pour proposer un arrangement digne d'un mauvais article de Sorcière Hebdo, mais il ne lui restait que deux minutes seize de négociation.
- Je n'ai pas l'intention de fêter la Saint-Valentin, intervint Sirius. Mais tu pourrais bien m'être utile...
- Pour ?
- Tu verras.
Elle acquiesça, une angoisse sourde au creux du ventre, puis se tourna vers James Potter avec le sentiment d'être une serveuse prenant les commandes.
- Je crois que tu sais, dit-il.
- Quoi que tu fasses, elle n'acceptera pas de sortir avec toi, répondit très sincèrement Lauren. Pas maintenant, en tout cas. Mais je peux m'arranger pour que personne ne l'invite, tu pourras toujours trouver un moyen de l'intercepter.
- Ok. Et arrange un rendez-vous avec Jane Merton pour Peter.
La Chouette était à peu près certaine que Pettigrow ne ressentait aucune attirance pour la très charmante Jane Merton, mais comme il se taisait, elle hocha la tête.
- Lupin ? demanda-t-elle enfin.
- Pas de rendez-vous pour moi, sourit le garçon.
- Beaucoup de filles seraient intéressées.
- Allez Lunard, l'encouragea Peter en lui donnant un coup de coude.
- Je ne préfère pas.
Son visage était fermé et il se griffait inconsciemment le bras comme avant chaque pleine-lune.
Plus qu'une minute et huit secondes. Lauren inspira lentement avant de proposer :
- Et pourquoi pas avec moi ?
Sa déclaration fut suivie d'un silence interloqué.
- Pardon ? fit Lupin.
- Je peux passer la Saint Valentin avec toi, exposa-t-elle rapidement. Je connais ton secret, alors pas d'inquiétudes. Et tu auras passé au moins une Saint-Valentin dans ta vie.
Elle réalisa qu'il ne s'agissait peut-être pas de la meilleure formulation pour convaincre le Gryffondor, mais ce dernier était trop abasourdi pour s'y attarder.
- Mais... mais tu es avec Shingleton !
- Il aura sûrement rendez-vous avec un de ses investisseurs.
- Complètement tordu, marmonna Sirius.
- Et pourquoi voudrait-il passer du temps avec toi ? renchérit James.
- Je ne suis pas inintéressante. Ni moche.
Là encore, ses arguments lui parurent plutôt légers. Sans parler de l'expression blême de Pettigrow.
- Évidemment, ce ne sera pas exactement romantique, ajouta-t-elle donc. Ce sera simplement... faire la Saint Valentin sans vraiment la faire.
Évidemment, ce n'était pas mieux, mais Lauren ne parvenait tout simplement pas à trouver une manière de présenter son idée sans qu'elle ne révèle son absolue stupidité. Il y avait une part de bon sens, bien sûr. Elle savait que Lupin se refusait à sortir avec qui que ce soit, et elle se doutait qu'être le seul garçon à ne jamais avoir eu de rendez-vous le travaillait. Elle savait aussi qu'il ne la détestait pas. Mais la manœuvre prenait tout son intérêt quand on intégrait ceci : La Chouette pourrait en profiter pour l'interroger sur le secret de Sirius. C'était pourtant si improbable...
- D'accord.
À son tour d'être surprise. Jamais Lauren n'aurait pensé que Lupin accepterait. Au mieux, elle imaginait qu'il lui demanderait quelques jours pour y penser. Mais ça...
Elle surprit les regards entre les garçons et comprit qu'ils avaient eu une de leurs conversations silencieuses. Elle en était certaine, eux aussi avaient quelque chose en tête. Elle finit tout de même par leur serrer tour à tour la main.
La négociation avait duré quatre minutes et quarante-deux secondes.
Elle ne le regretta pas. Le lendemain, elle quitta l'infirmerie après avoir rassuré Suzanne. Les élèves se retournaient sur son passage. Quand elle arriva dans la Grande Salle pour le petit-déjeuner, elle entendit un bourdonnement inhabituel, puis un brusque silence suivi de chuchotements imperceptibles.
- Idiote, grinça Severus Rogue en se levant alors qu'elle s'asseyait à côté de Jamila.
- Prodigieux ! s'exclama cependant son amie, aux anges.
Lauren leva les yeux sur la table des professeurs. Dumbledore la regardait d'un air déçu. Elle l'ignora et observa tous les élèves présents, s'attardant au moins une seconde sur chacun d'entre eux. Les Maraudeurs levaient les pouces en l'air. Certains la fuyaient. D'autres la considéraient, les sourcils froncés. Elle termina avec Regulus, de l'autre côté de la table. Il semblait profondément inquiet, ignorant ses trois amis qui cherchaient à lui parler.
Non, elle ne regrettait pas. Elle devait le reconnaitre, ils avaient été fabuleux. Ils avaient dû y passer la nuit. Et le résultat était parfait, suscitait ce malaise dans lequel elle excellait.
Partout sur les murs de Poudlard, et sous d'immenses dessins d'yeux ensorcelés suivant quiconque passait devant, la même inscription était reproduite à l'encre noire :
LA CHOUETTE TE VOIT. TU PAIERAS.
Elle était même sur la nappe du petit-déjeuner.
- Je pensais que tu n'avais d'yeux que pour moi ? plaisanta Gaspard en apparaissant derrière elle.
Lauren se retourna et lui adressa un clin d'œil.
- Ne t'inquiète pas. Je te vois, toi aussi.
Le garçon parut soudain mal à l'aise. Il sautilla, tapota maladroitement sur son épaule, et partit. Jamila haussa un sourcil derrière sa tasse de thé.
- Tu vas me soupçonner, moi aussi ? demanda-t-elle amèrement. Je te rappelle que c'est l'abruti qui s'en est pris à ta sœur qui doit devenir paranoïaque, pas toi.
La Chouette se tut. Elle se contenta d'observer inlassablement les élèves. Le coupable devait savoir qu'elle le connaissait, même si ce n'était pas le cas.
Elle fut bien sûr interceptée par le professeur McGonagall en se rendant à son premier cours de la journée.
- Pas si vite, Miss Veerman !
Lauren fit signe à Jamila qu'elle la rejoindrait et se tourna poliment sur sa professeure qui l'emmena à l'écart pour éviter la marée d'élèves caractéristique de huit heures sept du matin.
- Je suppose que vous savez que ce ne sera pas sans conséquences, dit-elle sévèrement en désignant l'inscription sur le mur à côté d'elle.
- Je l'espère, sourit Lauren.
La sous-directrice eut une expression pincée qui la fit presque regretter sa réplique.
- Je voulais dire que vous serez sanctionnée pour ce message, claqua-t-elle en croisant les bras sur sa robe écossaise.
- Mais je n'ai pas écrit ce message.
Minerva McGonagall avait un certain sang-froid qu'il ne fallait toutefois pas trop agacer. Lauren ajouta donc, un air d'enfant modèle très regulussien sur le visage :
- En fait, professeure, je serais tout simplement incapable d'écrire ces messages. Il me faudrait plusieurs nuits... Sans parler du fait que mes dons en Sortilège se rapprochent de ceux en Métamorphose.
C'est-à-dire, de la nullité totale.
McGonagall ne la crut pas un instant mais cela n'inquiétait pas Lauren. Pas de preuve, pas de sanction.
- Et si ce n'est pas vous, qui ? s'irrita la sorcière.
- Je suppose que beaucoup d'élèves ont voulu témoigner leur soutien à La Chouette.
- Certainement, si La Chouette a cru bon marchander ledit soutien.
Lauren soutint le regard accusateur de l'adulte sans dire un mot. Elle était toujours étonnée de voir comment le professeur MacGonagall parvenait à toujours présenter la même apparence. Le motif écossais de ses robes comme son chignon strict étaient les constantes de cette femme, si solide qu'on l'aurait dite rigide sans le léger froissement de sa manche, et ce col légèrement noirci par le parfum, et cet ongle à peine ébréché. Même Minerva McGonagall vivait ses aventures mystérieuses et ordinaires.
En attendant, La Chouette était surtout focalisée sur son pincement de lèvres, signe que tout un chacun aurait pu qualifier comme de mauvais augure.
- Miss Veerman, reprit sombrement la professeure, vous ne réalisez pas la gravité de vos actes. Vous incitez à la haine. Vous nourrissez les désirs de vengeance, vous alimentez les tensions. Comment croyez-vous que cela aidera votre sœur ?
La Chouette passa un doigt sur l'encre séchée du « S » de PAIERAS.
- Ce ne sont que des mots et des dessins, dit-elle calmement. Des mots et des dessins contre de la magie noire.
***
La dernière nuit qu'elle passa au chevet de sa sœur, Lauren fut réveillée par le craquement presque imperceptible du parquet de l'infirmerie. En un seconde, elle fut sur ses pieds, tâtonnant dans le noir pour trouver sa baguette sur la table de nuit. Elle se posta devant le lit de Suzanne dans une attitude féroce.
- J'ai toujours été effrayé par les sucres d'orge, murmura une voix moqueuse.
La sorcière prit conscience qu'elle avait pris un des innombrables bonbons offerts à sa sœur pour sa baguette, et le laissa tomber par terre. Elle garda cependant sa posture défensive peu convaincante en plissant des yeux pour essayer de discerner son potentiel ennemi.
Il fit un pas en avant et un rayon de Lune accrocha son visage.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle toujours sur le qui-vive.
- On est allés chercher Remus.
Sirius Black fit un signe de tête vers une partie de l'infirmerie dissimulée par des rideaux. Une faible lueur en émanait, projetant sur le tissu trois ombres. Lauren se détendit un peu. Elle s'écarta du lit de sa sœur pour ne pas la réveiller.
- Vous êtes sûrs qu'il est en état ? chuchota-t-elle.
- Crois-moi, tout ce qu'il veut, c'est échapper à ce lieu. On va lui changer les idées.
Lauren hocha la tête. Elle n'était pas d'accord, c'était illégal, mais elle ne voyait pas en quoi son avis importait.
- Je compte sur toi pour ne pas le répéter, ajouta Sirius.
- Bien sûr.
Dans la nuit, son regard avait quelque chose d'encore plus magnétique, et elle alla chercher son châle pour y échapper. Elle le serra autour de ses épaules et rattrapa Sirius alors qu'il s'éloignait retrouver ses amis.
- Qu'est-ce que tu faisais près de Suzanne et moi ?
Elle essayait en vain de dissimuler son ton accusateur. C'est que l'idée que Sirius Black - qui la détestait ouvertement - à côté d'elle alors qu'elle dormait la perturbait profondément. Il n'eut même pas l'air embarrassé.
- Je voulais voir si Suzanne allait bien. Et vous étiez mignonnes, toutes les deux, à vous tenir la main en dormant, sourit-il. Désolé de t'avoir réveillée, d'habitude je suis très discret mais tu dois avoir le sommeil léger.
Lauren resta sans voix. Elle n'avait jamais vu Sirius si calme, si apaisé. La dernière fois qu'elle lui avait parlé directement, il l'avait menacée. La sorcière pensa donc un instant au Polynectar, mais personne ne pouvait imiter cette nonchalance si caractéristique. Elle en conclut qu'il avait pitié pour sa sœur. À moins que la nuit ait des vertus apaisantes pour lui aussi...
- Satisfaite de notre message voyant ? demanda-t-il après un moment.
- C'était parfait.
- J'espère qu'il paiera vraiment. À ta place...
- Tu vengerais Regulus ?
- Évidemment.
Il n'y avait aucune hésitation dans sa voix.
- Lui aussi, fit Lauren en repensant à l'inquiétude constante de Regulus pour son frère.
- Ah oui ?
Sirius haussa les sourcils, l'air sincèrement étonné. Il secoua la tête, un sourire au coin des lèvres, et retrouva rapidement son attitude confiante.
- Vous tenez bien plus à l'autre que vous ne l'imaginez, risqua la sorcière.
- Si tu le dis.
Elle décida de profiter de cette accalmie pour en apprendre plus sur son mystère.
- Tu ne m'as toujours pas dit ce que je devrai faire pour toi à la Saint-Valentin.
Son regard se perdit derrière elle comme s'il imaginait déjà le futur méfait.
- Tu verras, conclut-il avec un léger sourire.
Et il partit d'un pas incroyablement silencieux rejoindre les trois autres garçons qui l'attendaient désormais à la porte de l'infirmerie. Lauren avait mis des heures à s'endormir la première fois, et dut se résoudre à passer les dernières heures de la nuit à fixer le plafond, pensive.
***
« Je pense que si tu m'écoutes un peu plus en Potion, tu pourras obtenir un Acceptable. Pour les Sortilèges... bon, c'est plus compliqué. Tu pourrais te rattraper à la partie théorique je suppose, mais tu as une très mauvaise méthode de travail. Pareil pour la Métamorphose. Mais la Botanique, ça, vraiment... Lauren il faut que tu acceptes de toucher les plantes sinon tu ne dépasseras pas le Désolant ! Et je sais que tu n'as que des Optimal en Divination mais j'ai regardé les prospectus et je t'assure qu'avec une seule BUSE dans cette matière tu n'iras pas très loin. Et il est important de trouver une profession respectable, car c'est... »
Le père de Lauren aurait qualifié Regulus de véritable curé. Il la sermonnait, surveillait ses notes, planifiait ses révisions. Il se lançait parfois dans des monologues d'un ennui spectaculaire, sans le moindre tact ni second degré. C'était touchant, en quelque sorte, de le voir se soucier de son avenir, car la seule amie de Lauren était une égocentrique notoire. Mais la sorcière devait reconnaitre que Regulus était en effet parfois chiant comme la pluie. Et cela lui convenait bien.
« ...au Ministère. Oui, je crois que la politique te conviendrait bien. Pas à la justice, bien sûr, le Magenmagot n'est composé que de Sangs Purs. Mais tu ferais une excellente conseillère. Et comme dit mon oncle Cygnus, quand on veut avoir un minimum de respect en politique, il faut avoir au moins sept BUSES. Bon, il faut être réaliste, évidemment... disons cinq ? Regarde : une en Divination, une en Potion, une en... Lauren ? Lauren, tu m'écoutes ? »
La Chouette quitta lentement Margaret Williams - suspecte numéro 4 - des yeux pour se reporter sur Regulus, assis sur ce muret du parc.
- Oui, je t'écoute, répondit-elle en se redressant sur la pierre. Oui, je vais réviser mes BUSE.
Le Serpentard soupira, les lèvres pincées.
- Il faut que tu arrêtes.
- Quoi ?
- Tu es complètement obsédée par l'idée de trouver le coupable. Suzanne va bien, personne ne t'a menacée depuis presque deux semaines. Dors, respire, tu vas devenir folle autrement.
Mais Lauren n'avait pas l'intention de lâcher l'affaire. Sa simple présence dans le parc de Poudlard relevait d'ailleurs du miracle. Elle passait ses journées dans la Grande Salle, à guetter les allées et venues des élèves.
- Je ne m'arrêterai pas avant d'avoir fait payer le coupable, Regulus, déclara-t-elle sans une once de doute.
- Et quelle sera ta vengeance ?
- Je ne sais pas. Mais j'ai des idées. Je connais les Epouvantards de tous les élèves de l'école, après tout.
- Tu vas trop loin.
Il s'était retenu, elle le savait. Il se contentait en général d'un regard désapprobateur, mais tout comme il était certain que Regulus avait compris que les Maraudeurs étaient derrière son message voyant, elle n'avait aucun doute sur le fait qu'il le réprouvait secrètement.
Or, Lauren n'était pas prête à s'accorder à lui sur ce point.
- Moi, trop loin ? s'étrangla-t-elle. Qui a utilisé de la magie noire contre ma sœur ?
- Le maléfice était mineur !
- Oh, oui, répliqua-t-elle avec un rire amer, un sortilège parfaitement innocent quand on pense à ce que vous avez l'habitude de faire.
- Vous ? releva-t-il froidement.
Elle aurait aimé dire - vous, les Black. Les Serpentards avides de magie noire. Les futurs serviteurs du Seigneur des Ténèbres. Elle aurait pu le dire mais elle se tut, car Regulus la clouait de son regard polaire. Ce regard qu'il n'avait pas eu depuis si longtemps.
- Suzanne a passé cinq jours à l'infirmerie et elle fait encore des cauchemars, dit-elle plus calmement. La personne qui l'a agressée s'en prendra à nouveau à elle, ou à moi, ou à n'importe qui compte pour moi. À moins que je ne trouve de qui il s'agit et que je l'arrête, ajouta-t-elle. Tu m'as promis que tu m'aiderais, Regulus.
Il secoua la tête. La sorcière sentit son cœur se serrer. Elle retint les larmes qui menaçaient sans cesse de brouiller sa vue depuis presque deux semaines.
- Pourquoi t'acharner ? demanda Regulus, l'attention rivée sur ses boutons de manchette - Merlin qui portait des boutons de manchette à quinze ans ?
Elle se concentra à son tour sur ses doigts emmêlés et se résolut à dire la vérité.
- Parce que sinon, il ne restera que moi.
Il la dévisagea enfin.
- Tu n'es pas responsable...
- Bien sûr que si ! s'exclama brutalement Lauren. Suzanne serait en sécurité si je ne m'étais pas faite des ennemis dans tout Poudlard ! Je dois réparer ça, tu comprends ?
Il regarda autour d'eux comme pour trouver un appui, ou quelqu'un pour le retenir de l'aider, mais ils étaient seuls alors il acquiesça.
- D'accord. J'avais promis de t'aider, après tout.
La pression s'envola aussitôt. Ils ne savaient plus trop quoi ajouter à présent, et Lauren n'avait aucune envie de retourner sur ses projets de carrière, alors elle posa cette question futile :
- Tu sais avec qui tu vas passer la Saint Valentin ?
Il eut immédiatement cet air hautain.
- Je ne trouve pas cette fête très intéressante.
Lauren était parfaitement d'accord, mais elle devait reconnaitre que le 14 février avait l'avantage de faire tourner ses affaires.
- Tu devrais y aller avec Margaret Williams, dit-elle donc.
- De Poufsouffle ?
- Oui. La fille dont James Potter a pris l'apparence à la soirée de Slughorn.
- Pourquoi ?
- Tu lui plais. Et elle te plait, il me semble.
Elle lui jeta un regard en coin et remarqua qu'il avait rougi. C'était une bonne idée. Margaret Williams était de Sang Pur - certes de second rang, mais sa beauté et son esprit devait pouvoir compenser ce léger défaut. Et elle était le suspect numéro 4.
- Et tu la suspectes de s'en être prise à ta sœur.
Lauren cligna des yeux plusieurs fois - façon Jamila - et faillit se venger d'un léger coup de poing dans l'épaule, avant de se raviser. Regulus rit doucement devant sa réaction.
- Tu n'as pas le droit de faire ça.
- Faire quoi ? demanda-t-il en connaissant la réponse.
- C'est moi qui lis dans les pensées des gens. Tu n'as pas le droit de le faire. C'est mon truc, ajouta-t-elle puérilement.
Cette fois-ci, il rit franchement, soufflant un léger brouillard dans le froid.
- C'est ton truc ? répéta-t-il.
- Oui.
- Et que fais-tu de tous les grands maîtres Legilimens ?
- Rien à voir, balaya-t-elle d'un geste de main. Moi je fais mieux, je décrypte sans magie.
- Comme moi, compléta Regulus, amusé.
- Non. Toi, tu es comme moi.
Elle devina qu'il levait les yeux au ciel et ils reportèrent leur attention sur la lande sans perdre leur sourire. C'était comme quand elle se disputait gentiment avec Suzanne. Sauf qu'il était plutôt rare que Suzanne soit comme elle.
- J'irai avec Margaret, décida finalement Regulus.
Lauren se sentit encore plus légère.
- Ne tarde pas trop, claironna-t-elle sans cacher son triomphe, c'est après-demain.
- Et tu y vas toujours avec Lupin ?
Elle hocha la tête.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi lui, et pas Shingleton.
- Gaspard est occupé. Et avec un peu de chance, je trouverai quelques informations sur Sirius. Maintenant, déclara-t-elle en se relevant, il faut que je trouve Londubat.
Le Serpentard lui adressa un regard compatissant. Elle repoussait cela depuis des jours. Comment convaincre un sorcier sain d'esprit de sortir avec Jamila Alnabil ? Lauren n'avait pas trouvé de solution miracle mais elle partait avec quelques armes.
Elle trouva Frank Londubat à la Bibliothèque, en train d'aider un élève de Première année sur un devoir de Métamorphose. Cela lui donna une première idée. Le Gryffondor adorait aider. Après qu'il eut terminé, elle vint donc à lui en adoptant un air soucieux.
- Bonjour, Frank, fit-elle en s'asseyent à côté de lui sans sortir ses affaires.
Elle ne lui avait jamais parlé de sa vie, mais appeler les inconnus par leur prénom était un pouvoir qu'elle adorait exercer.
- Bonjour, Lauren, sourit-il.
Elle dissimula son étonnement derrière une grimace inquiète. Bien. Frank Londubat n'était pas stupide.
- J'aurais besoin de ton aide, dit-elle, les mains sur les genoux.
- Aucun problème. Qu'est-ce qu'il y a ?
Il avait prononcé ces derniers mots un peu trop fort et Madame Pince les fusilla du regard. La Chouette adorait la bibliothèque pour cela : aucun mot ne pouvait être prononcé en trop. C'était son lieu de négociation préféré.
- Alors voilà, commença-t-elle, j'ai une amie qui a un fort caractère. Elle est sûre d'elle, elle sait ce qu'elle veut, et ça effraie tout le monde. Tu vois le genre ?
Il hocha la tête d'un air amusé, et elle fut à peu près certaine qu'il avait à l'esprit sa propre mère. Lauren en savait peu sur le Frank, mais il suffisait de la croiser sur le quai de King's Cross pour comprendre que Madame Londubat avait un tempérament à peu près aussi épuisant que celui de Jamila.
- Les femmes comme elles, reprit-elle, on a tendance à les rejeter. Parce qu'elles ont du pouvoir, tu comprends.
Là, elle jouait sur la fibre féministe du garçon - car si Frank Londubat était aussi parfait qu'on le prétendait, il devait avoir une fibre féministe. Et en effet, il sembla tout de suite très impliqué.
- Je comprends, fit-il en fronçant les sourcils.
- Je savais que tu comprendrais. Et je pensais que tu serais bien le seul garçon à ne pas te sentir menacé par cette personne, et prêt à l'inviter pour la Saint Valentin.
Il eut un rire léger et son visage rond s'éclaira d'un sourire sincère.
- Tu parles de Jamila Alnabil, c'est ça ? demanda-t-il.
D'accord, elle n'avait pas été très subtile. Mais pour sa décharge, l'opération était des plus délicates. Peut-être aurait-elle dû miser sur de bons vieux chocolats à l'Amortensia, après tout ? Elle s'apprêtait à partir mais Frank poursuivit d'un ton léger :
- Honnêtement, avec son caractère, je pensais qu'elle allait me le proposer, alors j'attendais. Mais c'était idiot, je vais le lui demander au diner.
La sorcière hocha la tête en silence, incapable de prononcer un mot. Elle se leva ensuite lentement, attendant que le garçon revienne sur ses paroles. Il n'en fit rien. Londubat n'était peut-être pas sain d'esprit, après tout.
Jamila avec un garçon. Regulus avec une fille. Elle avec Lupin et Sirius et son plan mystérieux. Lauren sortit finalement de la bibliothèque en se demandant comment elle était parvenue à transformer la fête des amoureux en un prologue d'apocalypse.