Tout le monde louait la prodigieuse sensibilité des angelots de Madame Pieddodu. Ils avaient, disait-on, pressenti l'attaque à des kilomètres de là. Certains affirmaient même qu'un célèbre Magizoologiste viendrait bientôt étudier les créatures, et qu'une loi serait rédigée pour définir leurs droits.
Cette question était toutefois soulevée à la quatrième page de la Gazette du Sorcier, car la Une, elle, faisait état de l'attaque de Mangemorts survenue près de Saint James's Palace à Londres. Le journaliste affirmait que des renforts étaient arrivés peu après les premières explosions. Ce n'était pas des Aurors. Non, ces mystérieux héros avaient limités les dégâts jusqu'à l'arrivée des agents du Ministère. Bilan : seize morts, dont un sorcier. Quarante-neuf blessés.
Lauren ferma le journal, le plia, puis le reposa à côté de sa tasse de café.
- C'est Black qui doit être content, fit remarquer Jamila assise en face d'elle.
Elle fit un signe de tête vers l'autre bout de la table. En effet, Regulus, entre autres passions, aimait décrire les prodiges de celui qu'il appelait le Seigneur des Ténèbres. Le mage noir était à l'en croire un meilleur sorcier que Merlin lui-même en son temps (et Dumbledore en ce temps, mais cela ne faisait guère débat chez les Serpentards) et ses Mangemorts étaient des agents de la Justice. Pourtant, nulle explosion de joie devant le journal faisant état du coup d'éclat de ses fidèles ; le jeune Black affichait une expression si impassible qu'on l'aurait cru fait de pierre. Lauren fronça les sourcils.
- Je ne sais pas...
Elle chercha ensuite du regard Remus et Sirius à la table des Gryffondors, et ne fut pas surprise de les voir se disputer tandis que leurs deux autres amis tentaient de comprendre. Non loin d'eux, Frank lui adressa un sourire presque...complice.
- Ça c'est bien passé, avec Londubat ? s'étonna-t-elle en revenant à son amie.
- Très bien, affirma cette dernière.
Lauren haussa les sourcils avant de se rappeler que « très bien » pour Jamila pouvait être très relatif.
- Je te jure que si, insista l'Égyptienne devant son air moqueur. Je ne mens jamais.
- Sauf à toi-même...
Le bout de pain en face d'elle se déchiqueta de lui-même en plusieurs morceaux, que la sorcière envoya d'un coup de baguette droit sur Lauren.
- D'accord, d'accord ! céda-t-elle alors que les autres élèves commençaient à se retourner sur elles pour découvrir la redoutable arme qu'étaient devenues les boulettes de mie de pain. Raconte.
Jamila baissa sa baguette, souffla avec satisfaction dans sa tasse de thé.
- Ce n'est pas spécialement intéressant, en vérité, commença-t-elle. Tout était à son image...
- Parfait.
- Exactement. Déjà, le garçon est original, il a évité Madame Pieddodu - tu te doutes que je serais partie au courant. Il m'a attendue devant notre Salle commune, puis il m'a emmenée à un pic-nic près du Lac et...
- Et tu l'as noyé dans le Lac, termina La Chouette d'un ton moqueur alors que son amie poursuivait son récit en lui jetant un regard noir.
- Il avait tout prévu : table, chaises - tu me vois m'assoir par terre ? -, nourriture évidemment... Il avait tout prévu sauf le froid, mais mes talents en sortilèges ont évité notre congélation.
- Oh, fit mine de comprendre Lauren. Alors tu l'as brûlé vif.
Cette fois-ci, la jeune fille ne fit pas l'effort d'un regard.
- Nous avons discuté, il a de vrais qualités d'écoute, lui.
- Donc tu l'as...
- Non, je ne l'ai pas ennuyé jusqu'à la mort, la coupa brusquement Jamila tandis que Lauren dissimulait un éclat de rire. Bon, puisque tu ne veux pas te réjouir pour moi, raconte Lupin. Comment ça s'est passé ?
- Mal, j'espère ! s'exclama une voix enjouée derrière elle.
Lauren se retourna pour trouver Gaspard Shingleton, l'air faussement jaloux.
- Très mal, assura-t-elle sincèrement.
Il soupira avec soulagement avant de s'asseoir, une jambe de chaque côté du banc. Lauren ressentit un réconfort étrange à le voir ainsi. Peut-être lui avait-il manqué, après tout. Au moment où ils s'embrassèrent, elle vit Jamila soupirer et se lever pour les laisser ensemble.
Elle lui fit un signe de la main et reporta son attention sur Gaspard, interrogatrice.
- Ton investisseur ?
- Un échec, déclara-t-il en jouant avec une cuiller. Il était persuadé que mon invention avait déjà été trouvée.
- Tu n'as pas déposé un brevet ? s'étonna-t-elle.
- Non, je suis mineur pour encore trois mois.
Lauren se souvint alors d'un détail de la veille. Elle fouilla dans ses poches et trouva un bout de parchemin rectangulaire qu'elle tendit à Gaspard.
- Mon cadeau de Saint-Valentin en retard. Pour toi.
Il lut les quelques mots inscrits.
- Une adresse, déchiffra-t-il avant de prendre un ton plein d'espoir. Tu m'offres une maison ?
Lauren leva les yeux au ciel, amusée.
- L'adresse des Potter, expliqua-t-elle à voix basse. De Fleamont Potter - et comme il ne semblait pas saisir, elle précisa encore : inventeur, riche, généreux, réputé sympathique. Envoie-lui un hibou, je suis sûre qu'il serait intéressé par tes inventions.
Elle avait récupéré l'information lorsqu'elle avait fouillé le portefeuille des parents de James pour découvrir leur code de carte bancaire. L'expédition à Londres lui avait au moins apporté cela - et cela n'était pas peu, à en croire les yeux brillants de Gaspard. Il l'embrassa en s'attardant un peu plus longtemps qu'habituellement et Lauren ne pensa pas à le reprendre pour lui rappeler qu'elle n'aimait pas ces démonstrations publiques.
Sans un mot - ce qui était rare - Gaspard lui tendit à son tour une petite boite, une sorte d'écrin à bijoux. Elle lui lança un regard interrogateur puis l'ouvrit. Et y trouva un collier. Elle faillit se moquer mais réalisa que le pendentif était animé. Il s'agissait d'une colombe argentée battant doucement ses ailes de métal.
- Ça te plait, mon colibri ? souffla Gaspard.
Et Lauren écarquilla les yeux, puis éclata d'un rire franc quand elle vit la colombe se métamorphoser en un minuscule oiseau battant des ailes à toute vitesse. Un colibri.
- C'est... commença-t-elle sans parvenir à terminer sa phrase, hilare.
- Ça me semblait adapté, rit aussi Gaspard.
La jeune fille hocha la tête, toujours souriante, et le laissa attacher le collier à son cou.
Cet instant apaisé fut de courte durée. Ce dimanche soir, la salle commune des Serpentards était particulièrement agitée. L'attaque de Mangemorts de la veille faisait régner une ambiance fébrile, oppressante. Car si ailleurs dans le château, on s'inquiétait de la montée de Voldemort, les cachots voyaient dans un de ces premiers coups d'éclat un immense espoir.
Dans ces conditions, il était impensable que Lauren n'assiste pas à la petite réunion du soir de Regulus et ses camarades de Sang-Pur. Elle prit donc place à sa chaise attitrée. Cerbère entourait Regulus tandis que Chloe Avery se trouvait à la droite de la sorcière. Sans surprise, Jamila était dans leur dortoir. Lauren savait qu'elle n'avait aucun avis sur le sujet : n'ayant connu que la magie, les Moldus lui paraissaient plus éloignés que s'ils avaient vécus sur une autre planète. Debout se trouvaient comme à l'accoutumée Merri-Lynn Travers et Sony Spike ; s'étaient joints à eux d'autres élèves plus jeunes qui avaient depuis longtemps choisi Black comme chef.
Ce dernier, justement, était imperturbable. Il ne prononçait pas un mot. Certains l'avaient compris, sa position quant à l'attaque serait cruciale. Lauren tenta d'accrocher son regard. Elle avait eu une brève discussion avec lui le soir précédent. Elle était restée évasive sur son rendez-vous avec Lupin, jetant un voile opaque sur son escapade à Londres, et le sorcier lui avait confirmé ses soupçons contre Margaret Williams, qu'il disait profondément jalouse de Lauren et Suzanne.
Ils étaient tous assis depuis huit minutes et trente-sept secondes, et personne ne semblait prêt à prendre la parole. Il n'y avait que chuchotements et silences. Alors Lauren brisa la règle tacite ne lui donnant que le droit de répondre aux interrogations et commença la réunion par cette simple question :
- Était-il juste que les Mangemorts tuent seize Moldus hier ?
L'interrogation était générale, mais elle le dit en ne fixant que Regulus, sur qui tous les regards convergèrent. C'était à lui de statuer, après tout. Leur petit roi.
Les autres avaient également leur opinion, évidemment. Chloe Avery aurait sûrement suivi l'avis effrayant de son futur époux, Mulciber. Et le Cerbère de Regulus avait pour sa part un certain goût pour le sang et la stupidité.
Il y eut un lourd silence qui attira l'attention du reste des élèves de la Salle commune. Lauren vit, à la périphérie de son champ de vision, arriver des Serpentards plus âgés. Regulus tira sur son col. Il inspira d'une façon si contrôlée que Lauren put presque voir ses poumons se remplir d'oxygène.
- Ces sorciers ont davantage d'expérience que moi, répondit-il finalement d'un ton mesuré. Aussi éviterai-je de les juger.
C'était subtil mais perceptible, ces soupirs agacés, ces yeux levés au ciel, ces mouvements de recul comme pour échapper à une réunion décevante : encore une fois, le petit Black se défilait.
- Toutefois, reprit Regulus d'une voix plus forte - et l'on pouvait presque entendre l'attente des autres lorsqu'il prononça ce mot -, je dois rappeler que cette attaque était réfléchie et mesurée : Saint James's Palace était un au haut lieu de magie avant la mise en place du Code International du Secret Magique.
Lauren fronça les sourcils. Voilà qu'il semblait parti pour un cours d'Histoire de la magie plus ronflant que ceux du professeur Binns. Après quelques rappels historiques de la terrible oppression des sorciers par les Moldus - rappels fort appréciés dans les salons des Sangs-Purs - il statua.
- Il m'est donc avis que, déclara-t-il lentement du ton guindé qu'il employait lorsqu'il était mal à l'aise, bien que la mort de ces Moldus soit regrettable, le combat des Mangemorts est juste.
Beaucoup acquiescèrent vivement. D'autres se turent, comme Severus Rogue qui se tenait à distance. Mais un garçon de Septième année, insignifiant, protesta.
- Leur mort n'est pas regrettable, dit-il avec conviction, elle est dramatique. Et aucun combat ne mérite que des innocents meurent.
Il était rare qu'un Serpentard ose prendre la parole ainsi contre le reste de sa Maison. Plus rare encore qu'il s'agisse d'un Septième année, les élèves de cette promotion étant réputés particulièrement soumis. À la surprise de Lauren, il ne fut pas immédiatement rabroué.
- Les Moldus ne sont pas innocents, répliqua calmement Regulus. Ils détruisent leur société avec leurs machines et leurs mœurs décadentes. Bientôt, ils détruiront la nôtre.
Des hochements de tête approuvèrent sa déclaration, le faisant gagner plusieurs centimètres.
- Eux, détruire notre société ? Mais vous voyez pas que ce sont les Mangemorts, qui pourrissent notre société ? protesta encore le garçon. Ce sont eux qui tuent, qui essaient de nous faire peur et qui nous imposent des idées arriérées. Ce sont eux, qui...
- La ferme, Friedson.
La menace venue d'un autre Septième année fut suivie d'un maléfice inconnu et cette fois, Lauren n'eut pas besoin de tricher pour prédire que Neil Friedson serait bientôt le meilleur souffre-douleur de l'histoire de la Maison Serpentard.
La conversation se poursuivit encore longtemps, clairsemée d'arguments parfois absurdes.
- Ce sont les Aurors qui ont commencé les hostilités ! s'exclama Ulric Crabbe. S'ils n'étaient pas arrivés, il n'y aurait eu aucun mort - mais ça, la Gazette se garde bien de le dire !
Cris d'approbation. Lauren fut satisfaite de voir Regulus froncer les sourcils, sceptique.
- D'où tiens-tu ces informations ? l'interrogea-t-il froidement.
Crabbe se retrouva un instant décontenancé.
- Je... C'est évident !
- Tiens-toi en aux faits, répliqua-t-il d'un ton sec. Un combat ne se construit pas sur des inventions.
Hochements de tête. Nul n'aurait osé le contredire, après tout.
- Le père de Mulciber était présent, enchaina immédiatement pompeusement une autre tête de Cerbère comme pour gagner l'approbation de Regulus. Il doit sûrement avoir des informations supplémentaires.
Chloe Avery acquiesça gravement avant de se tourner vers Lauren qui se crispa. Elle savait que ce moment viendrait et son silence parfait depuis sa première question n'avait apparemment pas suffit à la faire oublier.
- Ton oncle aussi, n'est-ce pas ? J'ai lu que Torqil Yaxley avait pris part aux combats.
Il y eut quelques exclamations impressionnées qui lui donnèrent la nausée.
- C'est aussi ce que j'ai lu, répondit la sorcière d'une voix neutre.
- Penses-tu pouvoir lui en parler ?
Et Lauren se demanda comment toutes ces personnes pouvaient encore croire qu'avec son père né-Moldu, elle avait pu garder des liens avec sa famille Sang-Pur fanatique. Elle sourit poliment.
- C'est un homme occupé, je doute qu'il trouvera le temps.
Elle avait préparé une réponse dans le cas où on lui demanderait sa position personnelle mais par la suite, nul ne sembla s'intéresser outre mesure à elle. Elle se tut donc pour le restant de la réunion, avec le sentiment d'avoir été reléguée au rang des futures épouses silencieuses.
***
Jamila Alnabil pouvait entendre depuis le dortoir la discussion passionnée de la Salle commune. Elle imaginait nettement le petit Regulus tenter vainement de faire les gros bras, son Cerbère sagement à ses pieds, et Chloe Avery dans le rôle de la parfaite hôtesse. Elle ne se plaignait pas d'en être bannie ; Jamila fuyait comme la Dragoncelle ces réunions bourrées de faux-semblants où Lauren excellait. C'était d'ailleurs la seule chose qu'elle méprisait, chez elle. Son hypocrisie. Elle la savait silencieuse, attentive aux jeux de pouvoirs, prête à tout pour être épargnée.
Et Jamila...Jamila se trouvait reléguée au rang de paria. Elle était pourtant l'équivalent d'une princesse, en Egypte. Son père était à la tête de la petite oligarchie de Sangs Purs qui dominaient les terres de la Méditerranée à la mer Rouge, du désert Libyque au Sinaï. À onze ans, elle n'avait pas croisé plus d'une dizaine de regards. Elle ne connaissait que les fronts serviles, les dos courbés, les yeux fuyants. Héritière respectée et admirée, en entrant à Poudlard, elle avait été troublée. Des enfants se permettaient de la fixer. Et s'ils ne croisaient pas son regard, ce n'était que preuve de leur mépris. Une Sang-Pure, oui, mais une étrangère.
Jamila ne comprit pas tout à fait pourquoi ses parents l'avaient envoyée en terres hostiles. Elle était éduquée, son précepteur doué, et en comparaison, les cours anglais l'ennuyaient. Qu'ils étaient mauvais. Mais sa fierté était trop grande pour qu'elle protestât. Elle réalisa donc, années après années, ce qui la forçait à rester là. Conflits de succession, il fallait éloigner l'héritière. Une fille, il fallait sauver la face. Diplomatie, aussi, de l'ancienne colonie. Et puis, l'été de sa Quatrième année, elle comprit : il lui fallait trouver mari. Car en Égypte où sa famille était la plus grande, tout époux aurait été médiocre ; un anglais de noble famille, lui, serait un meilleur parti.
Jamila avait beau feindre la normalité, elle savait que Lauren avait raison de se moquer. Chercher époux à seize ans, c'était...ça n'aurait pas dû être. Elle se savait aussi trop entreprenante - indigne de son rang - mais elle était décidée à accomplir ce qui l'avait menée ici. Elle trouverait un garçon - un homme - correct, fort, respectable, qui ne craindrait pas sa liberté et son indépendance. Frank Londubat était encore mieux que cela.
Alors la veille, elle avait abandonné son dégoût pour la trop populaire Saint-Valentin et s'était résignée à accepter son invitation. Elle s'était même un peu préparée, dans son dortoir déserté de son unique amie affairée avec sa sœur chez les Poufsouffles. Elle avait lissé ses longs cheveux noirs, assombri ses cils, revêtu une robe traditionnelle égyptienne rouge. Elle se savait moyennement belle mais elle s'en moquait, car elle se savait surtout extraordinaire. Elle était puissante, brillante, honnête, et Frank Londubat et sa perfection ne l'intimidaient pas.
Elle l'avait retrouvé à l'entrée de sa propre Salle Commune. Courageux, le Gryffondor, de se présenter à la porte des Serpents. C'est ce qu'elle lui avait fait remarquer.
- Après avoir trouvé le courage de t'inviter, tout semble bien facile, répondit-il avec un sourire.
- Je te fais peur ? demanda-t-elle avec une pointe d'espoir qu'elle n'essaya pas de dissimuler.
Elle avait parié avec Lauren qu'elle parviendrait un jour à devenir l'Epouvantard de quelqu'un.
- Oh, non, rit Frank, tu ne me fais pas peur. Tu es simplement impressionnante.
Il ne faisait que statuer une vérité, alors elle avait acquiescé et s'était mise en route pour sortir du château, laissant Londubat la rattraper. La Salle commune Poufsouffle se situant également au sous-sol, ils croisèrent Suzanne et ses amies remplissant les couloirs de leurs rires. Frank faisait la conversation, mais Jamila était trop concentrée sur la petite sœur de Lauren pour y prêter attention. C'est qu'elle ne comprenait tout simplement pas comment son amie pouvait faire confiance à de vieux portraits endormis pour veiller sur elle. Alors, en secret et dès qu'elle le pouvait, elle gardait un œil sur Suzanne. Ce jour-là, la présence de ses amies la rassura.
- Jamila ?
Elle tourna la tête sur Frank. Ils étaient arrivés à l'entrée du château.
- Que disais-tu ? Je ne t'écoutais pas.
Il resta un instant surpris, silencieux, et cette fois, sa franchise sembla lui déplaire.
- C'est très impoli, Jamila, dit-il un peu froidement.
La sorcière haussa les sourcils sans trop s'en soucier.
- Où allons-nous ? demanda-t-elle alors qu'il n'empruntait pas le chemin de Pré-au-Lard.
- Au Lac. J'ai pensé à un pique-nique.
Son ton était toujours sec, même elle pouvait le remarquer. Elle voyait bien qu'elle l'avait vexé mais jamais elle ne se serait excusée. Et dut reconnaître à contrecœur que les prédictions de Lauren n'avait encore pas manqué ; elle avait tout ruiné. Heureusement, elles avaient toutes les deux convenu qu'il était nécessaire de déjouer la prophétie, et La Chouette avait donc griffonné sur un bout de parchemin une série de questions qui sauraient peut-être la sauver.
- Alors comme ça, tu veux devenir Auror ? l'interrogea-t-elle alors que Frank mettait en place leur pique-nique, le visage fermé.
Il fallut d'abord qu'elle se force à s'intéresser à lui. Ensuite, elle le trouva sincèrement intéressant. Il lui apprit qu'avant de combattre les mages noirs, il espérait voyager. Elle lui parla ainsi de son pays d'origine, il l'interrogea sur la vie des sorciers égyptiens, et elle en vint à se confier sur sa vie là-bas.
- Alors tu comptes y retourner après Poudlard ? lui demanda-t-il alors qu'ils regardaient le lac, une tasse de thé entre les mains.
- Oui.
- Tu en as envie ?
Sa question la surprit.
- Quelle importance ? dit-elle, perplexe.
À son tour de lâcher un rire incrédule qui l'agaça.
- J'ai des obligations, Londubat, expliqua Jamila.
- Envers qui ?
- Ma famille, répondit-elle sur le ton de l'évidence.
- Je pensais que tu avais le caractère d'une femme qui fait ce qu'elle veut, elle.
- Et pourquoi ne voudrais-je pas prendre la tête de la plus grande dynastie sorcière d'Égypte ?
- C'est une grande responsabilité, répondit-il avec flegme. Tu pourrais préférer être Médicomage, ou Briseuse de sorts, ou ne pas avoir d'héritier, vivre avec les Moldus, je ne sais pas... Sirius Black clame bien qu'il compte refuser l'héritage de sa famille.
Elle eut un rire suffisant.
- Sirius Black manque d'ambition, déclara-t-elle avant de se pencher sur lui, ses longs cheveux noirs encadrant son visage. Moi, je veux le pouvoir, Londubat.
L'avait-il comprise ? Elle n'en savait rien. Elle savait simplement que l'exprimer ainsi, à l'air libre et non dans l'air opaque des cachots, l'avait fait réaliser combien elle y croyait. Et alors qu'elle voyait Chloe Avery enfin entrer dans leur dortoir, exerçant ses miettes d'autorité sur la pauvre Merri-Lynn, elle ne s'en trouva que plus convaincue. Elle ressassa longuement ces pensées, et ce n'est que lorsqu'elle réalisa qu'elle ne parviendrait pas à dormir qu'elle se décida à se lever pour rejoindre la seule personne qui garderait les yeux ouverts toute la nuit.
***
La réunion avait pris fin une vingt-deux minutes plus tôt. Les élèves rentraient au compte-goutte dans leur dortoir. Un fond sonore de murmures conspirateurs ou anxieux teintait l'atmosphère d'angoisse. Lauren commençait à s'installer près du feu pour son habituelle nuit d'insomnie.
Il ne restait plus que deux ou trois élèves lorsque Regulus fit léviter deux chaises pour s'assoir à côté d'elle devant le foyer. Elle le remercia d'un hochement de tête, jeta un bref regard sur lui pour déceler dans sa cravate à moitié défaite, ses cheveux légèrement moins coiffés, son dos à peine vouté, toutes les traces de sa lassitude. Il l'imita, son regard s'attarda sur son nouveau pendentif et il haussa un sourcil auquel Lauren répondu par un léger rire.
- Laisse-moi deviner, sourit-il. Shingleton ?
- Excellente déduction, Mr Black, acquiesça-t-elle en prenant un ton pompeux. Et tu vas voir, il a une petite particularité... Donne-moi un nom d'oiseau.
À sa surprise, il se raidit immédiatement.
- Hors de question.
- Pourquoi ?
- Lauren, je ne vais pas t'insulter - et si ce pendentif fonctionne ainsi, Shingleton devrait avoir honte de te l'avoir offert.
Elle le fixa huit centièmes de seconde puis le déclic se fit et elle pouffa.
- Reg - Regulus, se corrigea-t-elle, je... un nom d'oiseau au sens propre, pas... Merlin, tu es la seule personne au monde à comprendre nom d'oiseau au sens d'insulte.
Il cligna des yeux, comprit, se détendit immédiatement.
- Oh, fit-il d'un air profondément surpris. Un vrai nom d'oiseau ?
- Oui.
- Comme une chouette ?
- Par exemple, sourit Lauren en désignant l'oiseau à son cou qui se métamorphosait en chouette.
Cela laissa Regulus perplexe.
- Je n'arrive pas à décider si c'est affreux ou fantastique, avoua la sorcière, les yeux pétillants.
- C'est...
Il croisa ensuite son regard et s'accordèrent pour laisser cette phrase en suspens. Puis le garçon fronça les sourcils.
- Tu es sûr qu'il n'est pas ensorcelé ?
- Il l'est, Regulus, expliqua lentement Lauren. Tu sais, sans magie, les objets ne se métamorphosent pas ainsi.
Il prit un air hautain qui l'amusa grandement.
- Je voulais dire - il est possible qu'un sortilège malveillant y soit intégré.
Son amusement retomba aussitôt.
- Tu penses que Gaspard aurait pu...
- Tu le soupçonnais, non ?
- Je... - elle se frotta le poignet, pensive - je crois que je me suis un peu laissée gagner par la paranoïa.
- Alors tu ne le surveilles plus ?
Elle haussa les épaules.
- Et Margaret Williams ?
- Tu m'as dit qu'elle était jalouse, alors je vais me pencher sur son cas. Comment était le rendez-vous, au fait ?
- Bien... Tu as d'autres suspects ?
- Oui.
Il la fixa un instant, comme dans l'attente de précisions, mais elle se tut alors il se contenta d'admirer avec elle les flammes dans l'âtre. Lauren commençait à connaître Regulus, aussi attendit-elle qu'il exprime ce qui le préoccupait.
Et sept minutes et trois secondes plus tard...
- Pourquoi ne me dis-tu rien ?
Son ton était si accusateur et dur, blessé, que Lauren en resta muette quatre secondes.
- Sur quoi ? bredouill-t-elle, déstabilisée.
Il se leva dans un geste saccadé, lui fit face et regarda derrière elle comme pour vérifier que les autres étaient suffisamment loin, avant de se pencher sur elle.
- Sur ton rendez-vous, sur Sirius, sur ce que tu penses de cette attaque, énonça-t-il très rapidement, sur tous les secrets que tu transportes, sur toi, sur - Merlin je croyais que...
Il la considérait avec urgence et Lauren se sentit un peu désemparé, comme lorsque Suzanne était prise d'angoisse et cherchait son soutien. Alors elle fit comme avec sa petite sœur. Elle ancra un regard confiant dans le sien.
- Regulus, je te promets que je ne sais pas...
Il haussa un sourcil désabusé et secoua la tête d'un air déçu qui interrompit son mensonge. Bien sûr, qu'elle savait. Évidemment, qu'elle avait découvert le secret de Sirius. Elle avait passé la dernière nuit à se repasser le souvenir de son escapade à Londres et elle avait à présent une idée claire de ce qu'il cachait. Il ne lui fallait qu'une ou deux preuves supplémentaires. Quant à ce qu'elle pensait de cette attaque... Pouvait-elle seulement l'exprimer sans prendre le risque de perdre ce début d'amitié ?
- Toi aussi, tu ne me racontes rien, finit-elle par déclarer.
Il lui jeta un regard en biais, peu dupe de sa pauvre tentative de détourner le sujet. Il capitula tout de même et se laissa retomber à nouveau sur sa chaise.
- Tu sais déjà tout, soupira-t-il.
- C'est vrai, acquiesça-t-elle aussitôt, le faisant sourire.
Il s'enfonça dans son siège, croisa les bras, et prit un air de défi.
- Vérifions cela.
Confiante et amusée, rassurée d'avoir évité une dispute, Lauren se prit au jeu.
- Pose-moi n'importe quelle question, le défia-t-elle.
- Ma date d'anniversaire ?
Elle leva les yeux au ciel.
- Facile. Le 26 août.
- Mon Patronus ?
- Un corbeau.
Il sourit fièrement.
- Essaie plus difficile, Regulus. Même Jamila pourrait deviner ça.
- Ma confiture préférée ?
- Tu ne manges que du miel, répondit-elle aussitôt. Et tu utilises ta baguette pour que ça ne colle pas à tes doigts.
Regulus rit légèrement.
- C'est Sirius qui me l'a appris, expliqua-t-il avant de froncer les sourcils. C'est une mauvaise habitude, la magie devrait être utilisée pour de plus grands projets que de se faire une tartine.
Elle fit semblant d'acquiescer gravement et il ne comprit pas qu'elle se moquait gentiment de lui.
- Autre chose ?
- Ma pire note en Potion ?
- Efforts Exceptionnels, soupira-t-elle. Tu n'as pas plus difficile ? Regulus, je sais l'heure à laquelle Albus Dumbledore se réveille et celle à laquelle il se lave les dents.
Il y eut un silence.
- C'est inquiétant, fit remarquer le sorcier.
- Je suis en train de le réaliser.
Ils bavardèrent avec légèreté pendant encore trente-six minutes, oubliant presque la réunion macabre qui avait eu lieu quelques heures plus tôt, puis Regulus partit se coucher. Peu après son départ, le châle de Lauren se mit à s'agiter. La sorcière avait compris assez tôt qu'elle ne pouvait investir la Salle commune de Serpentard toutes les nuits sans s'assurer d'être prévenue de l'arrivée nocturne de ses camarades. Son châle, en plus de lui servir à se réchauffer, était donc un artefact s'animant quand quelqu'un s'approchait.
Lauren se retourna aussitôt avec inquiétude, mais ses épaules se relâchèrent lorsqu'elle vit la silhouette élégante de Jamila se détacher de l'obscurité pour venir à elle. La sorcière s'était enroulée dans un long peignoir vert et ses pieds étaient nus sur la pierre. Lorsqu'elle fut assez proche pour que les flammes illuminent son visage, La Chouette put y déceler son inquiétude.
- Des remords ? demanda-t-elle légèrement.
Jamila haussa un sourcil interrogateur tout en s'asseyant sur le sofa, un peu en hauteur par rapport à elle.
- Des remords par rapport à ton assassinat de Londubat ? explicita Lauren avec un sourire.
La sorcière soupira.
- Crois-moi, le tien ne m'en donnera aucun.
Lauren sourit avec satisfaction avant de s'asseoir en tailleur à l'autre extrémité du canapé.
- Un problème ? demanda-t-elle tout de même, car il était plus qu'inhabituel que Jamila ne dorme pas à deux heures cinquante-huit du matin.
- Je vais devenir reine d'Egypte.
- Joli projet professionnel, commenta Lauren. Tu veux en parler à Slughorn ? Il doit connaître le neveu du petit-fils de la grand-mère du roi-sorcier d'Iran, ça peut toujours t'être utile pour gérer ta diplomatie.
Elle eut droit à un léger coup de pied.
- Je ne plaisante pas, Lauren. Hors de question que je sois juste épouse.
- Évidemment, acquiesça plus sérieusement La Chouette. Je pensais que le plan était de trouver un mari soumis pour prendre subtilement sa place ensuite ?
- Oui, s'agaça Jamila, eh bien c'est devenu officiel.
- Parfait.
- Voilà.
Mais la sorcière lissait ses mèches sombres d'un geste incertain qui lui était inhabituel.
- Eh, Mila, l'appela Lauren plus doucement. Tu sais que je suis douée en Divination ?
- La seule matière où tu ne te ridiculises pas, marmonna-t-elle.
- Merci. Bon, alors voilà une véritable prédiction : tu deviendras reine d'Egypte.
Jamila soupira.
- Tes prédictions se réalisent parce qu'elles sont évidentes ou bien parce que tu les réalises toi-même.
- Justement, soutint La Chouette avec un air entendu qui donna presque un sourire reconnaissant à son amie. Essaie simplement de penser à moi quand j'aurai besoin d'un asile politique pour avoir menacé les trois quart des sorciers de Grande-Bretagne.
Les deux sorcières échangèrent un regard amusé.
- J'ai aussi pensé que je pourrais commencer maintenant, déclara Jamila avec une pointe de malice.
- C'est-à-dire ?
- Éliminer les dominants, prendre leur place à Serpentard.
Lauren eut une grimace sceptique.
- Je crois qu'il est un peu tôt pour les assassinats politiques, Mila.
- Non non, il faut que je me fasse la main, répliqua cette dernière avec un geste nonchalant.
Cet argument parut convaincre aussitôt La Chouette qui acquiesça.
- Épargne Regulus alors. Et occupe-toi de son Cerbère en premier.
Elles se mirent à élaborer plusieurs stratégies de prise de pouvoir chez les Serpentards - l'une d'elle allant jusqu'à l'éviction d'Albus Dumbledore - et leurs idées devinrent plus absurde à mesure que leurs têtes s'enfonçaient dans leur accoudoir respectif.
- Mila ? appela brusquement Lauren en se relevant d'un air alarmé.
- Mmh...
- Je crois qu'on est en train de faire un truc horrible.
- Quoi ? s'inquiéta vaguement Jamila.
- Une pyjama party.
Les yeux de l'Égyptienne s'ouvrirent pour s'écarquiller d'horreur.