- Dis, tu me montres ta salle commune ?
Lauren se figea. Ce caprice-là était particulièrement dangereux. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle le lui avait systématiquement refusé ces quatre dernières années. Mais elle était de bonne humeur, et avec Suzanne tout paraissait possible. Alors elle hocha la tête, et sa sœur laissa échapper un cri de joie.
Elle regretta instantanément sa décision lorsqu'elle entra dans la Salle commune des Serpentards. Toute activité cessa, et des dizaines de paires d'yeux se braquèrent silencieusement sur les sœurs. Lauren était tout sauf courageuse, mais elle perçut le malaise de Suzanne, et prit aussitôt sur elle. Elle affronta un à un les élèves du regard, les mettant au défi de les chasser. La Chouette n'avait rien de menaçant et elle était connue pour être assez faible magiquement, mais il lui suffisait de quelques mots chuchotés pour les mettre en danger.
Finalement, l'épreuve des regards passée, elle entreprit de faire visiter la Salle à sa sœur. Elle lui désigna les deux chaises qui leur servaient de repère, à Jamila et elle. Le livre verdâtre posé sur un pupitre avait appartenu à Salazar lui-même. Elle lui montra cette grande table où siégeaient Regulus Black et ses fidèles. Les peaux de serpents scarifiées qui cachaient des passages secrets. Le fameux tableau verni de Merlin, ancien étudiant de la maison...
- Dégagez.
Mulciber était une armoire à glace, une brute qu'il valait mieux ne pas contrarier. Il était si grand que Lauren dut se reculer d'un pas pour ne plus faire face à son torse et lever son visage sur ses traits taillés au couteau.
- Je lui fais simplement visiter, expliqua-t-elle d'un ton neutre.
Mais il fit un nouveau pas vers elle, la dominant de toute sa hauteur, et Lauren prit sa sœur par le bras pour la placer derrière elle dans un geste protecteur un peu vain.
- Dégagez, répéta-t-il de sa voix sifflante.
Chez les Serpentards, chaque génération avait ses caractéristiques. La Chouette les avait classées.
Les Septièmes années étaient les Soumis. Peut-être était-ce à cause du grand nombre de Sang-Mêlés (il y avait même un Né-Moldu !) qui la composaient. Aucun Sang-Pur de premier rang, aucune véritable ambition. Ils étaient entrés à Poudlard à l'époque de la suprématie totale des sœurs Black, et avaient tous fini par se soumettre. Car s'il fallait bien comprendre quelque chose, c'était qu'il suffisait d'un ou deux élèves influents pour tout changer.
Les Première année étaient encore Indéfinis. Les Deuxième année étaient les Hypocrites ; il y régnait une dangereuse comédie. À l'opposé de cela, les Troisième année avaient instauré un système brillant de Loyauté indéfectible : tous, quel que soit le sang, se soutenaient pour faire front commun à des menaces régulièrement réétudiée. Les Quatrième année étaient Déchaînés. Incontrôlables. Ils agissaient sans la moindre mesure et la moindre pensée. Ils étaient de la même année que Suzanne et cela effrayait Lauren.
La promotion Regulus Black était celle des Politiciens. Les cinq Sang-Purs incontestés prenaient leur rôle très au sérieux, se réunissant quotidiennement à leur table habituelle. Ils discutaient mesures ministérielles, statut du sang, politique éducative d'Albus Dumbledore. Ce cirque aurait fait rire Lauren s'il n'était pas si sérieux. Car la violence était bien là, insidieuse et policée. La hiérarchie qui régnait au sein du petit groupe était une hiérarchie de fait, et Merri-Lynn Travers et Sony Spike agissaient en elfes de maison sans même interroger leur condition. C'était une promotion obéissante et ambitieuse.
Mais la génération Mulciber, elle, était glaçante. Il suffisait d'un ou deux élèves pour tout changer ; dans leur cas, c'était l'absence d'un élève qui avait tout bouleversé. Sirius Black avait laissé un vide impossible à combler, un vide rempli par une haine furieuse, une fascination démesurée pour la magie noire. Alors, Mulciber, pourtant issu d'une famille de Sangs Purs mineure, était parvenu à jouer sur la primauté de son père aux côtés du Seigneur des Ténèbres. Leur chef serait Lord Voldemort. Cela ne faisait désormais aucun doute. La génération de Mulciber était celle des Guerriers.
L'atmosphère était devenue irrespirable, et les cris de Suzanne qui l'appelait ne faisaient que renforcer l'angoisse sourde de Lauren.
- Lauren ! Trente-deux secondes que je vous attends, toi et ta pleurnicheuse de sœur. Mulciber, éloigne-toi d'elle. Je sais que tu as un faible pour les plus jeunes, mais je ne suis pas sûre que le grand frère Avery apprécie que tu trompes sa petite sœur chérie.
Mulciber se retourna légèrement sur la jeune égyptienne, permettant à La Chouette de respirer un peu mieux. Il parut tenté de la provoquer, mais Jamila était une sorcière douée et puissante, une Sang pure certes peu reconnue, mais suffisamment influente pour le mettre en difficulté. En outre, il ne pouvait prendre le risque de perdre face à une fille plus jeune que lui. Il se contenta donc de contourner les sœurs avec une attitude prédatrice.
- Lauren Kunigonde Veerman, je n'ai pas toute la journée.
Celle-ci ne se fit pas prier et tira sa sœur par le bras pour rejoindre son amie dans le dortoir. Jamila se détourna de la porte après un « Collaporta », et considéra sévèrement Lauren, les mains sur les hanches. Mais La Chouette l'ignora.
- Tout va bien, Sue ? demanda-t-elle doucement. Je suis désolée...
Elle voyait bien que sa sœur retenait ses larmes devant la Serpentard. Elle la laissa donc enfouir sa tête dans son épaule, et se tourna enfin vers son amie.
- Merci.
- Il n'y a pas de quoi.
- Où sont les autres ? s'enquit-elle avec un mouvement de tête vers les autres lits.
- Miss Chloe Avery préfère la salle de bain des préfets pour se faire belle pour son troll, expliqua-t-elle d'un ton agacé.
- Et je suppose que tu as fait fuir Merri-Lynn ?
- Tout à fait.
- Bien.
Un silence pesant suivit.
- Tu n'es pas censée faire venir des Maisons rivales, reprit Jamila qui ne laissait jamais les non-dits très longtemps. Surtout pas une Poufsouffle. Surtout pas une Sang Mêlée.
- Je sais.
- Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais notre salle commune n'est pas vraiment un enclos à licornes...
- J'ai compris.
Elle lui lança un regard noir, voyant que sa sœur allait se mettre à pleurer sous le coup de la culpabilité. Mais Jamila ne s'arrêterait pas tant qu'elle n'aurait pas terminé.
- Sans parler du fait que Mulciber ne t'aime pas trop - et si tu veux mon avis il a ses raisons. Je l'ai entendu dire que...
- Mila, je sais ce qu'il dit, l'interrompit Lauren d'un ton dur.
La jeune égyptienne fit papillonner ses yeux, mi-agacée, mi-vexée.
- T'as fini de pleurer, toi ? demanda-t-elle d'un ton brusque à Suzanne. Quoique tu peux continuer, tu es ravissante, comme ça. Je n'ai jamais vu une fille pleurer de manière aussi jolie, grogna-t-elle.
Cela fit rire les deux sœurs, et Jamila échangea un regard entendu avec Lauren avant de s'enfermer dans la douche.
L'ainée sécha les larmes de sa cadette et remit un peu d'ordre dans sa frange. Il était cinq heures trente-huit de l'après-midi. Elle devait retrouver Regulus à huit heure pile. Elle estima qu'elle avait amplement le temps de calmer sa sœur avant de se préparer pour le réveillon du professeur Slughorn.
Allongées sur le lit, elles s'amusèrent donc à faire des prédictions sur les élèves de Poudlard. C'était un de leurs jeux favoris. Le jeu des Prédictions. Elles choisissaient un élève, et lui imaginaient un destin incroyable - ou pathétique. Lauren se chargeait des détails, et Suzanne de l'imagination. C'était une des raisons pour lesquelles les sœurs Veerman étaient si douée en Divination.
Quand Jamila sortit de la salle de bain, elles riaient aux éclats. L'égyptienne se posta devant elles, superbe dans sa tunique brodée de fils d'ors et ceinturée d'un long tissu écarlate.
Jamila n'était pas particulièrement belle. Elle avait certes ces longs cils et ces cheveux soyeux, mais ses traits étaient plutôt fades. Un nez un peu épaté. Des joues un peu trop pouponnes. Ce qui la rendait superbe était cette incroyable assurance qu'elle dégageait.
Après une rapide douche, Suzanne s'attela à lisser les longs cheveux châtain de Lauren et résista à la tentation de les nouer en une coiffure complexe sous les protestations de sa sœur. La robe lui allait à merveille. Elles en étaient à l'étape du maquillage lorsque la cadette des Veerman demanda innocemment :
- Et toi, Jamila, qui est ton cavalier ?
Lauren cacha un petit sourire moqueur.
- J'y vais seule, répondit l'égyptienne de son ton le plus hautain.
- Pourquoi ?, fit Suzanne, la brosse de son mascara suspendue dans les airs.
Elles eurent droit à un long discours sur l'indépendance et le pouvoir, et surtout sur les grands talents de Jamila. Les deux sœurs auraient sûrement fini par aller se noyer dans le Lac de Poudlard si elle n'avait pas pu se moquer ensemble de l'égyptienne.
En vérité, Lauren était heureuse. Elle était avec les deux personnes qu'elle appréciait le plus au château. Si seulement elles ne la forçaient pas à être attentive à toutes leurs sautes d'humeur...
Il était sept heures quarante-neuf quand Suzanne acheva de maquiller sa sœur. Disparus les cernes et le teint blême, elle avait perdu son air fatigué. Ne restaient que ses traits délicats, ses grands yeux noisette presque troublants accentués par les fards. Sa bouche mutine était habillée d'un rouge discret. Elle qui semblait constamment chercher à se fondre dans les murs de l'école en portant des couleurs sombres et l'inévitable vert Serpentard, Lauren était tout simplement lumineuse dans sa robe bleu pâle, ses longs cheveux s'écoulant de part et d'autre de son visage. Le tout était complété - et cela elle n'aurait su s'en passer - d'une montre à gousset étrange au cadran étoilé de minuscules sabliers, qu'elle passa autour de son cou comme un collier.
Pour une fois, la franchise de Jamila fut la bienvenue en confirmant l'impression générale :
- Tu es ravissante, Lauren.
Suzanne hocha la tête, un brin envieuse. Mais elle ravala sa jalousie, en réalité rapidement remplacée par l'angoisse de devoir traverser la Salle commune des Serpentards pour rejoindre ses propres amis. Sa sœur l'avait anticipé et lui prit la main.
- Ça ira, je te raccompagne à la sortie.
- Bien, jeunes filles, alors attendez encore un peu, je pars devant et je préfère faire mon apparition seule !
La tête haute, plus confiante que jamais, Jamila passa donc la porte du dortoir et Lauren put imaginer la réaction qu'elle provoquerait. Perchée sur ses talons, enveloppée de sa tunique pudique, scintillant de ses mille bijoux dorées, l'égyptienne ferait grande impression, c'était certain. Une femme, confiante, puissante. Elle n'avait que quinze ans mais elle semblait en avoir cinq de plus.
Mais dans cinq ans, Jamila serait mariée à un homme qu'elle n'aurait pas choisi, un homme certainement médiocre pour elle ; un homme qui ne verrait jamais combien elle était unique. (Un homme un peu malchanceux, aussi certainement.) Pour l'heure, Jamila voulait croire à son indépendance, sa liberté d'esprit et son pouvoir. Alors elle traverserait la Salle commune et arriverait avec quelques minutes d'avance à cette fête, car Jamila était toujours en avance sur tout.
- Tu dois descendre toute seule, toi aussi, murmura Suzanne, interrompant ses pensées.
- Certainement pas, claqua-t-elle avant de s'adoucir. Tu été extraordinaire, ma Sue, je ne sais pas comment j'aurais fait sans toi - enfin, pas que ça me réjouisse d'avoir l'air d'une poupée, mais tu as vraiment été extraordinaire. Alors tu viens avec moi.
Sept heure cinquante-six. Elle descendit très simplement les marches qui menaient à la Salle commune, sans solennité ni grâce. Elle tenait toujours fermement la main de sa sœur, sans savoir laquelle des deux se raccrochait le plus à l'autre.
Regulus Black était assis dans cette posture figée qui le caractérisait tant. Quand il la vit, il se leva ainsi que ses parents l'avaient éduqué. Cerbère à ses coté grogna. Un Black qui témoignait du respect à une Sang Mêlée... De toute façon, Cerbère n'était pas invité.
Regulus était très élégant et paraissait plus âgé. Ses cheveux noirs étaient sagement plaqués sur son crâne, et il portait une robe de sorcier noire qui devait valoir son pesant d'or. Il s'approcha de la sorcière, conscient des regards sur eux. Il devait être subtil : il était hors de question que l'on pense qu'il s'abaissait aux Sang Mêlés. Mais son choix de cavalière ne devait être en aucun cas questionné. Il était un Black, et peu importe sa compagnie, il gardait son rang.
- Tu es très belle, lui dit-il courtoisement.
- Merci. Tu es...bien habillé toi aussi, termina-t-elle maladroitement car complimenter la beauté de Regulus lui semblait curieusement incongru.
Le sorcier lissa sa robe.
- On m'a dit que tu avais introduit une Poufsouffle chez les Serpents, fit-il avec un regard vers la jeune fille en question.
- C'est ma sœur, Suzanne, acquiesça Lauren, un brin protectrice. Elle m'a aidée à me rendre présentable.
- Avait-elle vraiment besoin de venir ici ?
Son ton froid la glaça.
- C'est ma sœur, répéta-t-elle.
Lauren serra très fort la main de Suzanne et ne baissa pas les yeux devant Regulus. Sa fine machoire contractée et ses mains délicates crispées sur le tissu de sa robe, il devait s'imaginer ressembler au grand Orion Black. Il en était assez loin. Lauren ne fit pas mine d'être impressionnée et conserva son ton neutre lorsqu'elle ajouta juste assez fort pour que lui seul puisse l'entendre:
- Elle passe avant ma Maison.
Le parallèle avec Sirius était implicite mais évident, si évident qu'elle craignit un instant qu'il ne lui dise d'aller se faire voir. Ce qui l'aurait plutôt soulagée.
- Je ne te défendrai pas devant Mulciber, la prévint-il plutôt de ce ton grave qu'il adoptait parfois et qui lui donnait cent ans.
- Je ne te le demande pas.
- Je ne te défendrai pas tout court.
- Je n'ai pas besoin de toi, répliqua Lauren sans pouvoir dissimuler son ton railleur.
Quelques élèves continuaient d'épier leur conversation. La Chouette n'avait pas autant été au centre de l'attention depuis sa Première année. Regulus fit un mouvement pour se rapprocher d'elle et éviter les oreilles indiscrètes, avant de se raviser en réalisant que cette proximité était tout à fait indécente pour un sorcier de Sang Pur.
- Je crois que tu ne réalises pas, Veerman. Les gens ne t'aiment pas.
- Ai-je atteint la côte d'impopularité de Severus Rogue ?
Elle faisait tout son possible pour apaiser les tensions. Regulus n'avait apparemment pas les mêmes projets.
- Non, répondit-il sérieusement.
- Alors tout va bien.
- Et si l'on décide de s'en prendre à ta soeur?
Il dut réaliser que cela sonnait un peu trop comme une menace, car il fronça les sourcils et fit un pas en arrière. Le pression retomba lentement. Les Serpentards s'étaient détournés d'eux. Lauren désigna Suzanne qui affichait le même air furieux que quand elle s'apprêtait à tirer sur un cognard ; immense soulagement pour La Chouette qui n'avait plus trop d'énergie pour calmer ses pleurs.
- Elle fera un bout de chemin avec nous, je préfère ne pas la laisser faire tout le trajet seule jusqu'à sa Salle Commune.
Regulus se raidit tant qu'il sembla se solidifier sur place.
- Bien. En ce cas, peut-être ferions-nous mieux de nous presser.
Le caractère pompeux de Regulus Black était en général proportionnel à son degré d'agacement. C'était une loi sans cesse vérifiée ; Lauren put donc calculer qu'il était particulièrement irrité.
Ils parcoururent les couloirs du château en silence, et quittèrent Suzanne avec un sourire crispé.
- Ça n'était pas dans le contrat, dit Regulus dès qu'elle eut disparu de leur vue.
- Je sais. Je me rattraperai.
Mais elle le sentait tendu, bien plus tendu que lorsqu'ils étaient tous les deux en classe. Aussi, elle ne savait toujours pas ce qu'elle faisait avec lui.
- Et justement, ajouta-t-elle en l'arrêtant peu avant l'entrée de la salle dédiée au réveillon de Slughorn. Qu'attends-tu de moi ?
Il croisa les bras.
- Ta mère est Rebecca Yaxley. Tu as donc le sens de l'étiquette.
- Si l'on veut...
- Tu l'as. Je t'ai vu manger, précisa-t-il comme s'il s'agissait d'une preuve évidente.
- Alors je sais manger..., fit-elle mine de s'étonner.
Elle n'y pouvait rien, elle ne pouvait pas s'empêcher de se moquer de lui. C'était encore plus fort après toute cette tension. Elle éprouvait comme le besoin de connaitre les limites du garçon. Et elle s'étonnait toujours de voir que sa tolérance était bien plus large qu'elle ne l'avait imaginé.
Fidèle à lui-même, il continua au premier degré :
- Oui. Et j'ai aussi observé que tu étais discrète - ce qui n'est pas le cas de certaines (il pensait très nettement à Jamila).
- Tu sais, si tu voulais une jolie plante verte à ton bras, certaines auraient été ravies de t'accompagner (elle pensait très nettement à Chloe). Avery mange bien elle aussi.
- C'est faux, tu ne l'as jamais observée. Elle mange très mal.
Lauren se fit la réflexion qu'en effet, entre tous les détails qu'elle notait chez les gens, elle n'avait jamais considéré leur manière de manger. C'était quelque chose de très Black, ça.
- Et le fameux...duel verbal ? demanda-t-elle sans pouvoir retenir un sourire moqueur.
Ils durent se décaler dans le couloir pour laisser passer un groupe de quatre Poufsouffles. Regulus leur jeta un regard froid, fit un geste comme pour s'appuyer sur le mur, mais rabattit sa main le long de son corps.
- Ce n'est pas un duel à proprement parler, dit-il. En fait, il s'agit plutôt de savoir discuter. Bien discuter.
Ce qui, dans la belle société, revenait à combattre par les mots. Un duel, donc. Lauren eut une expression désolée.
- Dans ce cas, je risque de te décevoir. Je m'y connais mal en conversations mondaines. Ma mère m'a enseigné un certain sens de l'étiquette, mais je n'ai jamais réellement côtoyé la branche Yaxley de la famille, conclut-elle en un euphémisme qu'elle espérait diplomatique.
- Je te pensais capable de t'adapter à toutes les situations.
- Tu me surestimes. Je n'y connais rien à la banque, la politique, les cigares...
- Et ta passion pour les artefacts ?
La bouche de Lauren demeura ouverte un peu trop longtemps, contredisant son supposé sens de l'étiquette.
- C'est le sujet de conversation le plus noble chez les Sang-Purs, nota Regulus.
Huit heures vingt-sept.
Lauren inspecta un couple qui se dirigeait vers la salle. Elle passa une main derrière sa nuque et finit par sourire, intriguée.
- Comment as-tu deviné ? l'interrogea-t-elle après s'être raclé la gorge.
- Nous sommes dans la même Maison depuis cinq ans.
- Mais on ne s'est jamais vraiment parlé. Et je n'en ai jamais parlé tout court.
- C'est un secret ? s'amusa-t-il.
Lauren se retint de lui jeter un regard outré. Depuis quand se moquait-il d'elle ? Regulus était distant, guindé, froid, dépourvu de second degré, mais certainement pas moqueur. Elle commençait à être réellement désarçonnée.
- Pas officiellement, non.
La Chouette était simplement d'avis qu'il valait mieux préserver ces choses-là. Révéler ses passions, c'était prendre le risque qu'on les instrumentalise pour la manipuler.
- Comment as-tu deviné ? répéta-t-elle.
- Tu portes une nouvelle montre tous les jours, expliqua simplement Regulus. Lundi, son cadran était vide ; ce ne peut être qu'un objet magique. Et aujourd'hui... une Montre à Grains, si je ne me trompe pas. C'est plutôt rare et complexe à déchiffrer, j'imagine que tu es légèrement experte.
Lauren recouvrit instinctivement la montre à gousset de sa main droite. Elle ouvrit à nouveau la bouche pour répondre, mais Regulus la devança pour conclure :
- L'Étude des Runes est la seule matière qui semble véritablement t'intéresser. Et elle est indispensable à la compréhension des artefacts. Donc... tu seras capable de tenir une discussion mondaine et intéressante sur le sujet.
Lauren hésitait. Vraiment. Elle hésitait à montrer son admiration - parce qu'elle était admirative - ou son agacement - car Salazar, pour qui se prenait-il ? - et resta par conséquent ridiculement silencieuse pendant quatre secondes.
Elle opta finalement pour son éternel sourire moqueur et son regard déstabilisant.
- Compris, affirma-t-elle avec légèreté. Bien manger, rester discrète et orienter de nobles conversations sur les artefacts.
Il hocha la tête, elle s'accrocha à son bras, et ils entrèrent dans la salle bourdonnante.
Il était huit heures trente-six.