Le lendemain de la soirée de Slughorn, à l'heure du petit déjeuner, Sirius Black et James Potter eurent droit à une réprimande furieuse de leur directrice de Maison. Lauren eut un sourire amusé en voyant l'expression de satisfaction pincée de Regulus. Sentant son regard sur lui, il tourna la tête vers elle et ils eurent cet instant de complicité, chacun à son bout de la table, instant qu'ils n'auraient jamais pensé pouvoir partager deux semaines plus tôt. Regulus fronça ensuite les sourcils et elle lui assura d'un signe qu'elle allait bien.
Puis tout alla très vite. Les couloirs du château se remplirent d'une vague de valises, de hiboux et de parchemins froissés. On vit des élèves courir jusqu'à leur Salle Commune pour récupérer des affaires oubliées. Les préfets faisaient de drôles d'agents de circulation.
À dix heures quarante-deux, le dernier élève passa la grande porte. Lauren était toujours à son poste, juste devant l'entrée et à côté d'un groupe de sorcier libertins dans un tableau. Elle prit congé d'eux et traversa le château dans un silence apaisant. À onze heures, elle arriva finalement dans son dortoir vide. Au même moment, à la gare de Pré-au-Lard, le Poudlard Express partait pour King's Cross.
Lauren sortit les restes de sa Montre à Grains et les déposa sur son lit. Elle s'assit en tailleur à côté. Inspira lentement. Il fallait d'abord qu'elle calme son rythme cardiaque. Elle était effrayée.
La sorcière n'avait jamais été victime d'une agression physique. Des menaces, oui, et elle avait toujours su répliquer en conséquence. Pendant sa première année, le divorce scandaleux de ses parents avait fait d'elle un souffre-douleur idéal. Alors, elle était devenue La Chouette. En Deuxième année, le Cerbère de Regulus l'avait insultée lorsqu'elle avait affirmé que son père Né-Moldu valait bien n'importe quel Sang Pur. Alors elle s'était tue. Rancunière d'un contrat dont elle était sortie perdante, Rita Skeeter avait passé plusieurs mois de sa Quatrième année à lui construire une réputation sulfureuse. Cette fois, La Chouette l'avait rapidement remise à sa place.
Ainsi, bien que davantage habituée à l'indifférence, Lauren n'en était pas aux premières menaces. En général, elle savait comment agir. Elle identifiait le coupable et ses faiblesses, et le faisait plier. Parfois, elle se soumettait avec diplomatie.
Cette fois pourtant tout était différent. Une agression physique par un inconnu pour un motif encore plus inconnu. Pourquoi elle ? D'ailleurs, était-elle seulement la cible initiale ? Et si Regulus était visé ? Personne n'aurait osé s'en prendre à lui. Quelqu'un d'autre, alors ? Qui ? Pourquoi ?
Lauren pataugeait dans l'incertitude, et c'était pour le moins inhabituel. Elle était plongée dans un bain d'angoisse, se sentait rapidement suffoquer. Merlin, et si on s'en prenait à sa sœur ?
Midi douze. Elle rangea ses affaires et se leva pour regagner la Grande Salle. Mais la main sur la poignée, elle se figea, prise d'un doute terrible. Était-il sûr de sortir seule ? Son cœur s'emballa à nouveau. Non, ce n'était pas sûr. Pas sûr du tout. Elle se rassit sur son matelas.
Son ventre se mit à gargouiller.
Elle passa en revue tous ses potentiels agresseurs. Elle commença par une liste. Elle réalisa que cette liste pouvait faire la taille de l'école. Son estomac se tordait douloureusement et elle ne savait si c'était à cause de son jeun absurde ou de son anxiété grandissante.
À deux heures trente-trois, elle se mit à rire. C'est qu'elle était ridicule. Elle n'allait tout de même pas passer ses vacances enfermée ici, si ? Elle détestait cette pièce. Et elle avait faim ! Elle pourrait rater ce repas, mais certainement pas celui du réveillon.
Elle devait être rationnelle. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle soit véritablement menacée. Et puis quelle menace, d'abord ? Elle ne savait même pas quel sort avait été jeté ! Ce pouvait être un ridicule Crache-Limace. Et quand bien même elle était effectivement visée, il lui fallait trouver le coupable. Ce qu'elle ne pourrait faire enfermée dans son dortoir.
Elle se releva brusquement, remit de l'ordre dans ses cheveux, passa une nouvelle montre, et fila aux cuisines que lui avait montré Suzanne. Puis la volière. Le parc enneigé. À chaque fois qu'elle se rendait quelque part, elle en informait un habitant d'un tableau.
Elle observa.
À vrai dire, il n'y avait pas grand-chose à observer. Poudlard était presque vide, en particulier du côté des Serpentards. Les nombreuses familles Sang Pur avaient à cœur de passer Noël en famille, et les vacances étaient en général ponctuées de réceptions élitistes à ne pas rater. Elle était donc la seule élève de Cinquième année à être restée au château ; en Sixième année Severus Rogue et Gaspard Shingleton ; et deux fillettes de Première et Troisième Années.
Les Serdaigles et les Gryffondors étaient un peu plus nombreux ; les Poufsouffles, désagréablement omniprésents. Ils semblaient s'être concertés pour passer les vacances ensemble.
Les jours suivant, La Chouette les passa donc comme ses nuits : devant la cheminée de sa Salle commune à contempler le feu dans l'âtre. L'activité fonctionnait au ralenti au château, elle n'avait que très peu d'informations à collecter et d'évènements à observer. Elle enquêtait sans grand succès sur son agression.
Le soir de Noël, Lauren consentit à s'asseoir à côté de sa sœur tout en s'appliquant à ne pas prendre part à la discussion de ses amies Poufsouffle. De toute façon, ces dernières n'osaient pas lui adresser la parole. Elles lui lançaient régulièrement des petits regards furtifs. Margaret Williams en particulier semblait décidée à ne pas la perdre de son champ de vision.
- Tu les impressionnes, lui apprit Suzanne.
L'ainée ricana. Elle s'estimait elle-même très peu impressionnante. Et sa sœur également, puisqu'elle rit aussi.
- C'est parce que tu es allée avec Regulus Black à la soirée de Slughorn, expliqua-t-elle. Et puis tu es une Cinquième année... à Serpentard. Et cette histoire de Chouette...
Et le fait qu'elle avait secrètement menacé l'intégralité des élèves de l'école de détruire leur réputation s'ils touchaient à un cheveu de sa sœur. Mais cela, Suzanne n'avait pas besoin de le savoir. Comme elle n'avait pas besoin de savoir ce qu'il s'était passé la nuit du réveillon de Slughorn.
Elle attendit patiemment que Holly Walpot, qui tapotait nerveusement la table, lui pose la question qui lui brûlait apparemment les lèvres. La Poufsouffle était la meilleure amie de Suzanne et une jeune fille à la douceur incroyable. Ses cheveux blonds étaient coupés très courts, à la garçonne. La Chouette l'aimait bien alors elle l'aiderait avec plaisir. C'était Noël, après tout.
- Dis, euh... Lauren ?
- Oui ? répondit elle en levant la tête sur la sorcière.
Elle vit Suzanne lui lancer un regard d'encouragement.
- T'es amie avec Regulus Black, c'est ça ?
Elle fut un peu prise au dépourvu.
- Alors... commença-t-elle sans vraiment savoir comment terminer sa phrase.
Mais Holly ne lui laissa pas le temps de répondre et demanda d'une traite, comme de peur de se dégonfler :
- Tu sais s'il est intéressé par une fille ? Enfin, c'est pas... Juste pour savoir...
Son hésitation lui donnait terriblement envie de se moquer, mais Lauren dut réfréner sa pulsion devant le regard noir de sa sœur. Elle considéra la Poufsouffle. Comment lui dire la vérité sans la blesser ? Comment lui dire que Regulus Black, s'il venait à s'intéresser à quelqu'un, se tournerait immanquablement vers une jeune fille de son rang ? Holly Walpot était Née Moldue.
- Black est...
- Je sais, la coupa-t-elle encore, c'est impossible de savoir avec lui. Il est complètement incompréhensible, limite inexpressif, mais je me disais... peut-être que sous son masque...
Lauren avait cessé d'écouter. Elle le trouvait très compréhensible, Regulus Black. Il avait une foule de manières qui le rendaient parfaitement transparent. Sa raideur, ses silences étaient toujours très éloquents. Oh, bien sûr, parfois il la surprenait. Souvent, même. Mais tout le monde le trouvait-il si opaque ? Était-elle vraiment la seule à lire en lui ? Elle se sentit étrangement privilégiée.
- Lau' ?
Elle se reconcentra. Holly Walpot s'était tue et la fixait avec appréhension, tandis que Suzanne était clairement méfiante. Et elle n'avait pas tout à fait tort, car La Chouette déclara sans une once de pitié :
- Regulus n'est pas intéressé par toi, Holly. Il ne le sera jamais.
Suzanne poussa immédiatement une exclamation furieuse et l'insulta de « goule sans cœur » et de « morve de troll de Papouasie », avant de la bouder pour le reste du repas.
Elle finit par trouver un nouvel interlocuteur en la personne de Gaspard Shingleton, qui se joignit presque naturellement à la table des Poufsouffle. Il se mêlait aux autres avec une facilité déconcertante, se révélait rapidement agaçant, mais était accepté car il était, il fallait le reconnaitre, très divertissant. Lauren dut même s'avouer captivée par ses histoires de chaudrons.
Au dessert, la sorcière offrit à Suzanne son cadeau de Noël : une édition limitée de Sortilèges Oubliés des Mondes Oubliés pour la petite Serdaigle refoulée qu'elle était. Elle eut droit à un câlin qui devait signifier qu'elle lui pardonnait son insensibilité. C'était un beau réveillon.
***
25 décembre, six heure quarante-sept du matin dans la Salle commune des Serpentards. Comme à son habitude, Lauren y avait passé la nuit. Elle se leva et frissonna au contact de ses pieds nus sur la pierre froide des cachots. Resserrant son châle autour de ses épaules, elle s'approcha de la petite estrade qui servait généralement les réunions des futurs Mangemorts. Il y avait là les cinq tas de cadeaux des cinq élèves restant de la Maison. Certains étaient ridiculement petits.
La sorcière tira un fauteuil vers ses présents, s'y assit et se mit à les ouvrir dans le silence matinal.
La Montre à Retardement que lui avait offerte son père était accompagnée d'une brève lettre :
« Ma fille,
J'ai trouvé cette montre dans un marché aux puces Moldu à Rotterdam, et j'ai tout de suite pensé à toi. Je ne devrais pas te le dire, mais le vendeur me l'a presque donnée. Il pensait qu'elle était défectueuse. Je ne crois pas qu'elle soit particulièrement précieuse, mais étant donné ses inscriptions, elle doit être assez ancienne. À toi de me dire.
À part ça, le réveillon s'est bien passé, ta grand-mère a cramé 70% des plats, ce qui - il faut bien le reconnaître - représente une nette amélioration par rapport à l'année dernière. Le retour en Angleterre sera par contre plus compliqué, le charmant frère de ta mère est en train de passer des lois pour empêcher les Nés-Moldus de pénétrer sur le territoire. Ça ira sûrement cette fois-ci mais tout se complique.
Tout le monde t'embrasse et te souhaite un Joyeux Noël,
Ton père.
PS : Suzanne n'avait pas l'air très bien dans sa dernière lettre. Tu vois ça avec elle ? »
Lauren décida d'ignorer la moitié du contenu du courrier et considéra son cadeau. C'était en réalité un objet assez commun, peu utile, mais apprécié des collectionneurs d'artefacts. Dans le cadran très simple, une unique aiguille tournait...dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Elle faisait le décompte des minutes de douze heures à une heure. La sorcière ressentit une vague d'excitation en observant les runes à moitié effacée, vite éteinte par le souvenir de sa Montre à Grains en miettes.
Sa mère quant à elle lui avait offert trois robes, quatre chemises, un manteau et une paire de bottes - cadeaux pratiques et esthétiques qui lui éviteraient de faire les magasins. Dans sa lettre, elle décrivait de long en large ce qu'elle faisait avec une certaine tendresse, omettant volontairement de faire référence à la branche Mangemort de la famille.
Elle reçut également une broche en argent hors de prix de Jamila et une plume de Merri-Lynn (la sorcière faisait des cadeaux à tous ses camarades depuis sa Première année dans l'espoir vain de s'attirer leurs faveurs).
Lauren pensait avoir terminé lorsqu'elle aperçut une enveloppe à son intention, portant le sceau... des Black.
Elle la tint à une distance prudente pendant un instant, avant de se décider à l'examiner. Elle ne pouvait s'empêcher de se montrer suspicieuse depuis son attaque, et elle s'attendait au moins à une mauvaise blague. Mais après sept minutes douze d'observation minutieuse, elle dut bien conclure que tout était authentique. Elle décacheta donc l'enveloppe et découvrit une calligraphie élégante. Elle l'étudia avant même de la lire. Des mots espacés, des lettres petites et pointues, un trait fin ; aucun doute sur le destinataire. Mais pourquoi ?
« Lauren (elle nota l'hésitation sur la première lettre ; peut-être avait-il hésité à ajouter un « chère », un « Veerman », ou un « Mademoiselle »...),
Cette lettre doit sûrement t'étonner. Mais n'as-tu pas dit toi-même que j'étais le seul à savoir te surprendre ?
En vérité, je suis inquiet. Je n'arrête pas de penser à ton attaque. Je ne me suis pas assuré que le maléfice ne t'avait pas vraiment touchée. Et s'il s'agissait de magie noire ? Dans le doute, tu devrais aller à l'infirmerie. J'ai aussi des craintes quant à ta sécurité. Sois prudente, évite de te retrouver seule, va à la bibliothèque s'il le faut. (Elle pouvait presque entendre son fameux petit ton professoral.) Sirius m'a dit que beaucoup d'élèves en-dehors de Serpentard connaissaient notre mot de passe. (Elle sourit ; c'était elle qui les avait marchandés.) En tant que préfet, je le changerai à la rentrée.
Je ne veux pas t'alarmer mais tu n'aurais pas eu à subir cela si je ne t'avais pas invitée et m'inquiéter de ton état me semble être la moindre des choses.
Je te souhaite malgré tout de belles fêtes,
Regulus Arcturus Black
PS : Sauf urgence, il n'est pas nécessaire que tu répondes à cette lettre. »
Lauren relut plusieurs fois le courrier sans trop savoir qu'en penser. Il était touchant, Regulus. Il était surtout à peine angoissant. Elle sentit ses craintes, légèrement apaisées ces derniers jours, refaire surface.
- Ah mon colibri, te voilà !
Elle sursauta violemment et rangea la lettre, décidant dans un même temps de ne pas y répondre - le post scriptum lui semblait signifier très clairement que Regulus ne préférait pas qu'elle le fasse. Elle se redressa. Gaspard Shingleton, habillé d'un pyjama en soie pervenche - il ne pouvait décidément porter aucune autre couleur -, se dirigeait vers son énorme pile de cadeau en répondant par un clin d'œil au regard fatigué de Lauren.
- Toujours pas, Shingleton, dit-elle d'un ton las.
Le Serpentard s'était mis en tête de remplacer La Chouette par un autre nom d'oiseau. Elle avait jusque-là eu droit au flamand rose, au pic-vert et au coucou.
Elle termina de ranger ses propres affaires et Gaspard se mit à déballer ses cadeaux. Il y en avait au moins une quarantaine. Ils venaient de ceux qu'il appelait « collègues » ou « partenaires » ; tous des inventeurs, marchands, chefs d'entreprise constituant un réseau digne de celui du professeur Slughorn. Gaspard Shingleton avait comme un instinct commercial, un pouvoir de persuasion qui faisait de lui le Serpentard à la fois le plus roublard et le plus fréquentable de tout Poudlard.
Lauren l'écouta donc raconter l'histoire de l'invention des objets à mesure qu'il les déballait. À sa surprise, le temps passa très vite, et put voir défiler les trois autres élèves venus chercher leurs cadeaux dans la Salle commune.
Quand arriva Severus Rogue, La Chouette se redressa sur son fauteuil. Le sorcier dut le remarquer car il prit soin de se cacher en ouvrant son unique cadeau. Il dissimula ensuite l'objet contre sa poitrine, sous ses larges manches.
Trop tard. Elle avait deviné sans grande difficulté.
- Tu ne veux pas nous proposer une partie de Bavboules ? demanda-t-elle avec un sourire moqueur.
Le teint cireux du Serpentard vira au verdâtre - et le lac sous lequel leur Salle commune était située n'y était pour rien. Il plissa ses petits yeux noirs et fit mine de regagner son dortoir sans répondre à sa provocation.
Mais Lauren avait une idée. Une idée géniale, digne d'Albus Dumbledore, ou de Merlin. Voir même de Salazar Serpentard lui-même.
- Attends, Rogue, l'appela-t-elle. Ça te dirait de jouer une partie avec moi ?
- Non.
Avec lui, on ne s'embarrassait pas de formules de politesse. La sorcière ne se démonta pas et lança plus fort alors qu'il avait un pied sur les marches menant au dortoir :
- Et si on ajoute des enjeux ? Si tu gagnes, je te dois une faveur.
- Je ne marchande pas avec toi, Veerman.
- Ce n'est pas un contrat classique. Si tu gagnes, tu n'as rien à me donner. Aucune contrepartie.
Il daigna enfin se retourner sur elle. Ses yeux étaient désormais deux fentes suspicieuses. Lauren les soutint tranquillement.
- Quelle que soit ta demande, elle demeurera secrète, ajouta-t-elle d'un air entendu.
Elle espérait jouer sur la corde Lily Evans. En fait, elle aurait bien pu essayer d'obtenir des informations en le menaçant de cafter son lien avec la Née-Moldue, mais Rogue était plutôt effrayant dans son genre. Pas question de s'en prendre frontalement à lui. Elle avait assez à gérer.
Lauren s'attendait tout de même à un refus. Un grognement ou un reniflement de mépris de la part d'un des rares élèves à ne jamais avoir passé de contrat avec elle. Mais Severus Rogue se retourna complètement et étira un rictus mauvais.
- Avec plaisir, dit-il très lentement.
Shingleton émit un son guttural qui fit écho à sa propre surprise. Elle resta hébétée le temps d'une seconde, se ressaisit immédiatement, et sauta de son siège en cuir, aux anges.
Faire jouer Severus Rogue aux Bavboules. Il s'agissait peut-être de son plus beau cadeau de Noël cette année.
- Gaspard, tu te joins à nous ? interrogea-t-elle comme si la situation était des plus banales.
- J'arrive tout de suite ! se réjouit le sorcier en délaissant ses innombrables cadeaux.
Severus Rogue eut un coup de baguette négligent qui fit s'envoler tous les papiers dorées dans un coin de la Salle Commune. Puis il traça, un air de défi sur le visage, le cercle de jeu sur l'estrade.
Lauren sourit, s'assit tout naturellement par terre. Elle fut vite rejointe par Gaspard qui s'extasiait peut-être un peu trop. Toujours debout, Rogue la fixait avec ce rictus qui, au lieu de l'inquiéter, lui donna encore plus envie de le provoquer.
- Allez, Rogue, fit Lauren d'un air faussement gentil. Tu as ça dans le sang.
Elle crut qu'il allait l'assassiner sur place avec l'un de ses charmants sortilèges de son invention, et elle pensa qu'elle cèderait aux avances de Gaspard s'il acceptait de lui servir de bouclier humain.
Mais le fils d'Eileen Prince s'accroupit pour poser la boîte de jeu et s'assit à son tour sans quitter Lauren des yeux. Ce combat silencieux était si ridicule que la sorcière mit une main devant sa bouche pour réfréner un éclat de rire.
- Bon, je vous laisse commencer, dit Gaspard tout sourire. Vous avez l'air d'avoir des histoires à régler.
Ils disposèrent chacun quatorze bavboules au milieu du cercle, et en gardèrent une qu'ils placèrent à l'extérieur.
- Honneur aux dames !
Mais Lauren secoua la tête d'un air quelque peu diabolique et la mâchoire de Severus Rogue se contracta d'anticipation.
- Non, sourit-elle. Honneur au Prince.
Elle lâcha un petit ricanement, follement fière de sa réplique qui laissa Gaspard incertain et Severus encore un peu plus furieux.
Il se composa cependant une face impassible avec une patience remarquable. Et visa. Avec succès.
Le sourire de Lauren se déforma légèrement en une grimace inquiète. Ce ne pouvait être qu'un coup de chance.
Elle joua son tour et parvint elle aussi à sortir une bavboule de Rogue hors du cercle. Elle se sentit d'un coup mieux respirer...jusqu'à ce que le sorcier fasse de même, mais avec deux de ses bavboules.
Il était doué. Incroyablement doué ! Il avait vraiment ça dans le sang. Gaspard Shingleton était pris d'un fou rire auquel elle se serait volontiers jointe si elle n'avait pas douloureusement conscience des conséquences de sa future défaite.
Elle avait proposé ce jeu avec la conviction qu'il perdrait et qu'elle obtiendrait des informations sur son potentiel agresseur. Elle n'aurait tout simplement jamais cru que Severus Rogue était un excellent joueur de Bavboules. C'était absurde. Même avec une mère présidente du club, cela paraissait tout à fait improbable. Severus Rogue et bavboules. Non, non. Non.
Lauren se résigna rapidement et décida qu'à défaut de gagner la partie, elle pouvait en profiter pour glaner des informations au fil d'une discussion... Si une telle chose était possible avec Rogue.
- Potter et Black, dit-elle en s'installant un peu plus confortablement sur le sol. C'était ridicule, hein ?
- Rien de surprenant venant d'eux.
- Evans était tellement furieuse qu'elle est immédiatement partie. Vous aussi ?
Il lui jeta un regard perçant.
- Vous ?
- Mulciber et toi, répondit-elle l'air de rien.
Elle s'y prenait comme un pied. Vraiment, elle parlait aussi mal qu'elle jouait. Rogue était en train de lui mettre une raclée à tous les niveaux.
Elle essaya alors de capter quelque chose dans sa manière d'être qui le trahirait, mais le regard noir du sorcier agissait comme un aimant. Impossible de se concentrer, elle avait l'impression d'être elle-même passée au scanner. Une mauvaise intuition lui vint. Et s'il était Legilimens ?
Une bavboule lui explosa à la figure. Gaspard rit discrètement et elle put même voir une expression de satisfaction se peindre sur le visage de Rogue. Il avait l'air de bien s'amuser, finalement. Elle décida que si cela pouvait le mettre dans de bonnes dispositions pour parler, elle était prête à subir l'humiliation qui viendrait fatalement. Et comme il ne répondait pas, elle lui posa directement la question.
- Tu es Legilimens ?
- J'ai des bases théoriques.
Il dit cela avec une pointe d'orgueil qui poussa Lauren à creuser de ce côté-là.
- Impressionnant. Tu t'entraines sur les autres ?
- Oui.
- Comment ?
- Je commence par les plus faibles. Tout le monde n'a pas la même résistance aux intrusions mentales.
- Ah oui ?
- Toi par exemple, tu es très mauvaise.
Un frisson désagréable la parcourut. Neuf heures vingt-quatre. C'était Severus Rogue, l'un des élèves les plus doués de l'école, et nul doute qu'il avait des talents cachés. C'était un génie des Potions. Il avait inventé son premier sortilège en Cinquième année. Sa connaissance de la magie noire dépassait celle de nombreux élèves ayant pourtant baigné dedans.
Mais la Légilimencie ? À seize ans ?
Lauren vit sa main droite, un peu en arrière, manipuler fébrilement les bavboules gagnées. Elle respira un peu mieux.
- Tu mens, annonça-t-elle calmement.
Il haussa les épaules sans la regarder. Elle ressentit alors une vague de satisfaction, immédiatement suivie d'une profonde envie de se donner une claque. Elle aurait dû le laisser parler ! Rogue pouvait étonnamment s'ouvrir lorsqu'il ne se sentait pas agressé. Là, tout était définitivement perdu. Elle ne parvint pas à le faire décrocher un mot de plus et Shingleton fit une fois de plus la conversation jusqu'à la fin de la partie.
Lauren termina perdante et couverte de liquide pestilentiel. Elle se leva en tentant de cacher sa contrariété, puis serra la main un peu moite de Rogue.
- Tu as gagné, dit-elle le plus fermement possible. Qu'est-ce que tu veux en échange ?
Il eut une expression mauvaise qui sembla durer les soixante secondes restantes de ce neuf heures trente-sept du matin.
- Je préfère garder ça pour plus tard, dit-il finalement dans un ricanement.
Lauren inspira un grand coup et se força à sourire.
- Bien sûr. Fais-moi signe.
Rogue lança un sort et le jeu se rangea de lui-même. Il partit ensuite de son pas de chauve-souris, un peu moins saccadé que d'ordinaire.
La tension s'effaça. Lauren se laissa retomber dans le fauteuil en cuir. Gaspard s'était rassit à côté de ses cadeaux encore emballés et affichait encore une expression réjouie.
- Severus Rogue meilleur joueur de bavboules de Poudlard... Quand j'en parlerai à Mulciber et Avery !
Elle imagina le trio accroupi, Mulciber et sa carrure de batteur, Avery et son air dédaigneux, tous couverts de pus de bavboule. Puis le Seigneur des Ténèbres entra dans la partie, et elle éclata de rire sous le regard amusé de Shingleton.
Il lui désigna un paquet qu'il venait d'ouvrir.
- Bon, un copain m'a envoyé son tout nouveau jeu de Quilles Volantes. Ça te dit d'essayer ? Si je gagne, j'ai le droit de te donner tous les noms de volatiles que je veux !
Elle soupira et se maudit lorsqu'elle acquiesça. Était-elle tombée si bas ?