- Gaspard Shingleton ?
Lauren hocha la tête avec résignation. C'était la quarante-septième fois qu'elle entendait ce nom depuis le retour des élèves de leurs vacances de Noël, et elle savait de source sûre qu'il avait été prononcé au moins huit fois plus dans son dos. Souvent accompagné de « La Chouette ».
- Pourquoi lui ? insista Jamila.
Lauren fit patienter son informatrice - une des nombreux élèves de Première année à venir la voir au petit déjeuner - et prit le temps de lui répondre.
- Parce qu'il est amusant, malin et libre.
Elle laissa à son amie le temps de méditer ses mots pendant qu'elle se tournait vers la fillette qui lui décrivit à voix basse les évènements de la soirée organisée par son frère de Septième année pendant les vacances.
- Bien, acquiesça finalement l'égyptienne.
Ce fut le seul commentaire qu'elle eut à faire sur son nouveau petit ami. L'égocentrisme de la sorcière avait ses bons côtés.
- Gaspard Shingleton ?
- Quoi, toi aussi ? s'étonna Lauren.
Ils n'allaient quand même pas tous lui poser la question, si ?
- Pourquoi lui ?
Lauren sourit devant l'étonnement sincère de Regulus. Sur son tabouret, assise un peu à distance de son chaudron, elle réfléchit. Pouvait-elle lui donner la véritable raison ? Oh, bien sûr, Gaspard Shingleton était amusant, malin et libre. Mais en toute honnêteté, il y avait autre chose.
- C'est en rapport avec ton attaque ? devina-t-il.
- Tu me penses si manipulatrice que ça ? répliqua-t-elle aussitôt.
Regulus haussa un sourcil amusé et la jeune fille sut qu'elle venait de se trahir. Elle décida de garder la face.
- Il me plait, dit-elle d'un ton neutre. Et il peut se montrer très persuasif, tu sais. Tu veux aussi que je te parle de l'effet que me font ses yeux bleus ?
- Non, merci.
Il lui jeta un bref regard, un léger sourire sur les lèvres. Puis il retourna à son travail. Il hacha ses tentacules de Murlap d'un geste précis tout en surveillant le contenu de son chaudron. Il y jeta la préparation à un moment qu'il dut juger parfaitement opportun, car il le fit avec la rapidité de celui qui a calculé son coup. Estimant enfin que sa potion devait reposer, il pivota sur son tabouret pour se concentrer sur Lauren. Il la fixa, l'air d'attendre la suite.
Elle soupira et se pencha en baissant la voix.
- D'accord. Mon agression n'y est pas tout à fait pour rien. En fait, j'ai réfléchi et je crois que j'étais trop impliquée, ces derniers temps. Je devais prendre du recul, être plus...
- Indépendante ?
- Voilà. Et Gaspard est apprécié par toute l'école. Il n'est pas populaire, mais il semble décent. Sympathique. Et avec mon image pas très glorieuse, j'espérais pouvoir en profiter...
- C'est ce que je pensais.
Elle ne sut quoi répondre, car son expression se durcissait.
- Tu fais la même chose avec moi ? dit-il un peu sèchement. Tu te sers de moi pour te faire une réputation ?
Lauren se trouva un instant surprise, avant de réaliser que Regulus était doté d'un code moral qu'elle n'avait pas. Elle tenta de le dérider en le taquinant.
- Je ne savais pas qu'on sortait ensemble, toi et moi.
- Arrête. Tu as tout à fait compris ce que je voulais dire.
Son ton grave lui fit retrouver son sérieux. Lauren vérifia que personne ne pouvait les entendre, lança un ingrédient au hasard dans son chaudron pour satisfaire leur professeur qui les regardait curieusement.
- Tu sais, murmura-t-elle, tout est plus compliqué depuis que tu m'as invité à la soirée de Slughorn. Les filles sont jalouses. Certains n'osent plus venir me voir. On me trouve menaçante, trop influente. Je sors de l'ombre et ça nuit à mes affaires. Sans parler de cette...attaque, quelle qu'elle soit... Alors non, je ne me sers pas de toi pour me faire une réputation.
Les élèves rentrés de vacances, il lui avait suffi de quelques heures pour réaliser que le statut de La Chouette avait un peu trop changé à son goût. La liste des potentiels coupables ne cessait de s'allonger.
Regulus dut le comprendre car il se radoucit. Il passa une main fatiguée dans ses cheveux sagement plaqués sur son crâne, dérangeant une mèche qui vint retomber devant ses yeux.
- Tu as raison, dit-il d'un ton formel. Je suis désolé.
Elle ressentit une pointe de culpabilité. Elle ne voulait pas ajouter au fardeau invisible qui sembler constamment peser sur ses épaules, et elle aurait aimé lui parler de sa lettre, mais elle n'en eut pas le courage alors elle retourna au sujet principal.
- Et puis Shingleton ne se gêne pas pour se servir de moi, tu sais, sourit-elle doucement. Je vais te dire : je suis en train de lui chercher des investisseurs pour ses Chaudrons Sauteurs.
Il eut son petit rire étouffé et tout sembla aller.
- Vous faites un couple un peu monstrueux, tous les deux.
Il l'avait dit comme un fait et avec tant d'honnêteté qu'elle éclata de rire. Oh oui, il n'y avait pas à dire, Gaspard Shingleton et elle, c'était une alliance infernale.
C'en était tout simplement effrayant. Ils s'étaient mis ensemble en passant un contrat.
C'était le lendemain du Nouvel an. Ils s'étaient plus ou moins accidentellement embrassés la veille. Au petit-déjeuner, les élèves se faisaient très rares, la plupart d'entre eux étant encore au lit. Le nez dans son café, Lauren fut donc surprise de voir Gaspard entrer gaiement dans la Grande Salle pour s'asseoir face à elle. Elle resta figée, ne sachant que dire, et le garçon entama les négociations.
- Bonjour mon pic-vert !
- Bonjour.
- Bonjour les gamines !
Il fit un signe aux deux fillettes de Serpentard qui les dévisageaient étrangement. Elles s'approchèrent.
- Je préfère quand il y a des témoins pour passer un contrat, expliqua-t-il.
Lauren sembla enfin comprendre, et acquiesça sans dire un mot. Parfois, il vaut mieux laisser l'autre parti commencer.
- Je propose une liaison de nature sentimentale, se lança Gaspard.
- Une liaison ?, le défia La Chouette.
- Une alliance.
- Je préfère.
Ils se jaugèrent du regard, prenant un plaisir manifeste à ces négociations puériles.
- Le terme « sentimentale » me parait en revanche trop vague, continua Lauren.
- Tout à fait. Que dirais-tu d'une alliance de nature « charnelle » ? fit-il avec un sourire enjôleur qui ne lui plut pas du tout.
- Rejeté.
- « Affectueuse » ?
- Si nous étions des chiens...grommela-t-elle. Rejeté.
- « Cordiale » ?
- Pompeux.
- « Romantique » ?
- Effrayant.
- « Amoureuse » ?
- Inconcevable.
- « Courtoise » ?
Ringard.
- Accepté.
Il sourit.
- Devant nos deux témoins, je m'engage donc à une alliance de nature courtoise avec Miss Lauren Veerman.
Ils se serrèrent la main, puis s'embrassèrent.
Lauren mit une minute et quatre secondes à remarquer que Regulus s'était raidi. Ses gestes manquaient de fluidité. Il essayait en vain, avec le dos de son poignet, de remettre en place sa mèche rebelle sans utiliser ses mains couvertes de liquide gluant.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda la sorcière à voix basse alors que le professeur Slughorn passait dans leur rangée pour constater qu'elle avait à peine commencé sa potion.
Il eut un mouvement d'irritation contenue et s'en alla laver ses mains. Il revint, la mèche en place, légèrement moins sur les nerfs.
- Nous aussi, nous avons passé un contrat, dit-il froidement. Maintenant qu'il est terminé, peut-être devrions nous arrêter de nous parler, tu ne penses pas ?
Regulus termina sa phrase en la regardant droit dans les yeux. Elle resta sans voix. Il avait raison, un ou deux cours de Potion supplémentaires et leur contrat prenait fin.
Pourtant, curieusement, Lauren n'en avait aucune envie. Comme elle ne savait comment l'exprimer, elle avoua :
- J'ai été touchée par ta lettre. Tu avais raison, je ne m'y attendais pas.
Regulus ajouta un quart de fiole de pus d'Hypogriffe à son chaudron avec un air indifférent que sa raideur détrompait.
- C'était de la politesse.
- C'était un peu plus. Je ne suis pas habituée à ce que quelqu'un veille sur moi.
Les mots flottèrent et ne trouvèrent pas de réponse. Trente-sept minutes plus tard, la cloche mit fin à leur silence.
Regulus l'évita tout le reste de la journée. Elle l'observait de loin. Il n'avait jamais autant tiré sur son col. Ses sourcils se fronçaient dès qu'il voyait un uniforme rouge et or.
Elle se fit rapidement une idée du problème. La question était : devait-elle s'en mêler ? Elle n'avait pas menti : fréquenter Regulus était bien plus contraignant que ce qu'elle avait imaginé. Et pourtant, il y avait quelque chose chez lui qui l'intriguait, qui l'apaisait, qui éloignait la solitude alors même qu'ils étaient séparés. Elle ne savait pas encore ce que c'était - elle peinait à imaginer une amitié avec quiconque, et encore moins avec Regulus - mais elle ne voulait pas le perdre tout de suite.
Alors Lauren fit quelque chose qu'elle exécrait. Elle rejoignit la petite réunion Sang Pur des Cinquième année dans la Salle Commune des Serpentards. Cela n'arrivait jamais. Sa chaise y était toujours réservé mais elle la laissait vide ; symbole de sa présence discrète. Elle avait sa place, et il était paradoxalement hors de question qu'elle la prenne véritablement.
Mais elle le fit ce soir-là. Elle subit les regards haineux du gardien à trois têtes du cadet des Black - Cerbère méfiant et hautain - tandis que Chloe Avery se contenta d'un étonnement poli. Sony Spike et Merri-Lynn Travers, généralement occupés à servir d'elfes de maison aux Sang Pur, ne surent trop comment réagir et décidèrent de la traiter avec un respect bizarre. Regulus l'ignora. Il énonça le débat du soir : la mise en place de frontières à l'entrée des Nés-Moldu en Angleterre. Des arguments tout à fait raisonnables furent énoncés, puis consignés sur parchemin. Lauren se tut.
À neuf heures douze, elle vit Jamila se moquer d'elle depuis leurs chaises habituelles. À neuf heures vingt-quatre, elle surprit le regard de Regulus sur elle. Elle l'accrocha, le mettant silencieusement au défi de l'ignorer à nouveau. Mais un Black ne détournerait jamais les yeux.
Lauren fut forcée de capituler lorsque Merri-Lynn - toujours debout et chargée de servir la réunion - l'ébouillanta en renversant accidentellement du thé sur son bras droit. Elle étouffa un cri, rassura la sorcière qui avait déjà l'air dans tous ses états, et voulut constater les dégâts lorsqu'elle s'aperçut que sa chemise venait de sécher. Regulus rangea rapidement sa baguette.
- Et toi Lauren, tu en sais plus ? l'interrogea gentiment Chloe Avery comme pour l'intégrer à la conversation. Ton oncle est à l'origine de la proposition de loi, c'est cela ?
La Chouette réfléchit à une réponse qui dissimulerait le fait qu'elle n'avait pas parlé à son oncle Mangemort depuis des années.
- Ce sont des informations confidentielles, confia-t-elle à voix basse. Mais il est certain que l'accès au territoire par Portoloin est difficile à réglementer.
Cela fit repartir la conversation. Regulus l'ignorait à nouveau.
À dix heures pile, tous se levèrent. Lauren prit un parchemin raturé que Merri-Lynn Travers et Sony Spike s'apprêtaient à ranger, et le mit en boule pour le lancer sur Regulus qui remettait sa chaise en place. La surprise le figea, laissant à La Chouette le temps de contourner la table et d'arriver jusqu'à lui pour lui faire signe de rester.
- Je sais que quelque chose ne va pas, dit-elle à voix basse alors qu'il croisait les bras, le regard fixé derrière elle. Dis-moi ce qu'il se passe, je pourrais peut-être t'aider.
- Un autre contrat ? demanda-t-il amèrement.
Ils étaient toujours devant la table et Merri-Lynn et Sony avaient l'air d'hésiter à les laisser tous les deux. Lauren inspira lentement en fermant les yeux.
- Pas nécessairement un contrat, souffla-t-elle. Je peux t'aider... comme ça. Gratuitement.
Regulus haussa un sourcil. Il secoua légèrement la tête, mais fit tout de même signe aux Sang Impur de s'éloigner, puis se rassit. Lauren l'imita. Elle attendit patiemment qu'il se lance.
Quatre minutes huit plus tard, il n'avait toujours rien dit alors elle prit la parole.
- C'est à cause de Sirius, c'est ça ?
Il eut l'air très ennuyé qu'elle ait si facilement lu en lui.
- Regulus, tu n'as pas arrêté de le regarder toute la journée, répondit-elle à la question si présente dans l'esprit du sorcier qu'elle avait le sentiment de pouvoir l'entendre. Qu'est-ce qu'il se passe ?
Il tira sur le col de sa chemise. Elle attendit encore.
- Ces vacances, commença-t-il enfin, Sirius a été... enfin... disons qu'il a été étrange. Plus que d'ordinaire.
Le Serpentard n'avait jamais qualifié son frère d'impulsif, de prétentieux, de courageux, de rebelle et autres adjectifs lui allant si bien ; non, Regulus décrivait toujours son frère comme « étrange ». Ils ne se comprenaient pas.
- Et quand on a pris le train... il n'était pas dans le train, en réalité. Il était avec James Potter (il prononça cela avec expression de dégoût) et je ne sais pas ce qu'ils ont fait, mais ils sont arrivés en retard, je ne sais comment...
Oui, les deux compères avaient encore fait une entrée mémorable, tenus par la peau du cou par le concierge.
- Je ne sais pas ce qu'il trafique, reprit-il, mais je sais qu'il se passe quelque chose. À vrai dire, j'ai peur qu'il ne fasse une erreur.
Lauren laissa planer encore trente-six secondes avant de prendre la parole.
- Pourquoi ne pas lui demander directement ?
La réponse était évidente mais la question méritait d'être posée, quitte à recevoir ce regard noir et froid qui la mit mal à l'aise.
- D'accord, abdiqua-t-elle. Je pourrais enquêter sur lui, si tu veux. Savoir ce qu'il trafique.
Elle espérait de toute son âme que cela n'avait rien à voir avec une histoire d'Animagi non déclarés, car elle savait qu'elle ne pourrait dire la vérité à Regulus sur le sujet. Elle remarqua qu'il la regardait avec attention comme pour la déchiffrer.
- Gratuitement, présisa-t-elle alors précipitamment. Sans contrepartie.
Mais la méfiance sembla se répandre dans tout le corps du sorcier, à tel point qu'il recula sur sa chaise, les avant-bras sur les accoudoirs et les mains croisées devant lui.
- Pourquoi tu ferais ça ?
- J'ai une sœur, moi aussi, répondit-elle sans même avoir à y réfléchir. Je sais ce que c'est que de s'inquiéter pour ceux qu'on aime.
Il sembla déstabilisé mais toujours aussi prudent, alors elle ajouta à voix basse :
- Et puis tu m'aideras pour identifier mon agresseur.
Regulus acquiesça enfin. Ils ne se serrèrent pas la main. Lauren ne savait pas ce que c'était, s'il s'agissait d'un contrat implicite, d'un échange de bons procédés, ou d'entraide entre amis, mais elle n'avait pas envie de mettre un mot dessus et Regulus non plus, alors ils ne dirent rien de plus ce soir-là.
Lauren laissa passer trois jours, le temps de mettre au point son plan. Elle devait aussi faire taire les rumeurs à son sujet, car elles ralentissaient son activité. En outre, Gaspard avait le don de vider son esprit avec ses inventions farfelues. Mais leur alliance de nature courtoise allait toujours pour le mieux.
Elle entra dans la première phase de son plan au petit-déjeuner du jeudi.
Comme à son habitude, elle s'arrêta à la porte de la Grande salle, et balaya la foule du regard. Mais au lieu de se diriger vers la table des Serpentards, elle alla s'asseoir à celle des Gryffondors. Peter Pettigrow dut se décaler pour qu'elle prenne place entre lui et James Potter, juste en face de Remus Lupin et Sirius Black. Elle fixa celui-ci sans ciller, jusqu'à qu'il n'en tienne plus.
- Je sais que je suis sublime, Veerman, mais tu pourrais arrêter de me regarder avec ces yeux de Merlin frit ?
Elle ne prit pas la peine de le corriger et continua de l'étudier du regard. Le jeune homme se tourna vers Peter.
- Queudver, je crois que ta copine a un truc à te dire.
- C'est pas ma... couina ce dernier, mal à l'aise.
- Je ne viens pas pour Pettigrow, l'interrompit Lauren, les yeux toujours rivés sur Sirius.
Elle piocha dans son bol de céréales, juste pour savoir si l'aîné des Black avait lui aussi une obsession avec la manière de manger. Son expression de dégoût confirma ses soupçons, redoublant son amusement.
- Qu'est-ce que tu fais là ? s'impatienta-t-il.
- Je t'espionne, expliqua-t-elle gentiment.
Elle eut droit à un concert de rires de la part des Maraudeurs au complet. Sirius la regarda de cet air condescendant que les grands frères utilisent pour parler à l'amie un peu bête de leur petit frère.
- Dis, Veerman, tu sais ce que signifie le mot « espionner », pas vrai ?
Elle hocha la tête, un sourire en coin, et il se résigna à l'idée que La Chouette était un spécimen bizarre.
- Qui t'envoie ?, demanda-t-il avec un mélange de méfiance et de curiosité.
- C'est pas comme si tu manquais d'admiratrices, Patmol ! s'esclaffa James. Moi je parie pour les Serdaigles de Quatrième année. Elles sont toutes folles de toi ces gamines.
- Ou MacGonagall, fit Remus avec un sourire en coin. Depuis le temps qu'elle nous surveille...
Ils rirent tous, sauf Peter.
- Euh... Lunard. MacGonagall est un peu vieille, non, pour être une admiratrice de Sirius ?
Les trois autres Maraudeurs échangèrent un regard amusé.
- Il n'y a pas d'âge pour l'amour, Queudver ! se moqua Sirius.
- Si Patmol a de si bonnes notes en Métamorphose, crois-moi ça n'a rien à voir avec son talent ! renchérit James. N'est-ce pas, La Chouette ?
Lauren sentit alors converger sur elle quatre paires d'yeux. C'était très déstabilisant, même pour elle qui avait pourtant l'habitude de soumettre les autres à ses troublantes inspections.
Elle choisit de se concentrer sur James Potter et se fit la réflexion qu'intégrer un groupe était toujours plus facile quand on se liguait contre une même personne. Mais elle ne se faisait pas d'illusion : le Gryffondor lui tendait un piège. Seuls les Maraudeurs pouvaient se moquer les uns des autres ; et quiconque oserait toucher à l'un d'entre eux essuyait rapidement leurs sorts. En simple : si elle raillait Peter Pettigrow, elle ne serait plus l'amie simplette du petit frère, mais une ennemie.
- Je ne révèlerai pas qui m'envoie, dit-elle simplement.
Elle pensait s'en être bien sortie mais Sirius eut un rire amer.
- C'est marrant comme tu te tais là-dessus et comme t'as pas hésité à nous dénoncer, James et moi, à la soirée de Slughorn.
Il était légèrement penché en arrière, les bras croisés. Ses traits tirés et ses mèches noires désordonnées indiquaient qu'il avait passé la nuit à vagabonder dans Poudlard. Elle nota avec amusement que la fatigue n'avait pas le même effet sur lui que sur elle ou Rémus : cela lui donnait un air mystérieux très loin de leur teint maladif.
Lauren ne se sentit cependant pas déstabilisée. Elle savait que le sujet arriverait un jour.
- Je ne crois pas vous avoir dénoncés, nota-t-elle d'un ton léger. Si mes souvenirs sont bons, vous vous êtes vendus tous seuls en confondant du Polynectar avec du rhum.
- Sauf que tu étais au courant depuis le début que c'était nous. Qu'est-ce qui nous dit que t'étais pas responsable de la manœuvre ?
Elle haussa les épaules.
- Désolée de vous décevoir, mais je maîtrise assez mal l'Imperium, déclara-t-elle innocemment avant remarquer leur air franchement rancunier. Quoi ? Vous m'en voulez vraiment ?
- Une année entière de retenue...
- Vous l'aviez déjà, votre année de retenue, fit-elle remarquer. Et depuis la rentrée.
Remus Lupin hocha la tête d'un air amusé, à peine dissuadé par les regards noirs de ses deux amis. Peter observait toujours attentivement l'échange comme un match de Quidditch particulièrement serré.
- Et si c'est Evans qui t'inquiète, ajouta Lauren en se tournant vers James, sache qu'elle ne t'en veut pas.
Le Gryffondor chercha immédiatement Lily du regard au bout de la table, et La Chouette eut un petit rire en voyant cette dernière rougir, surprise dans sa propre contemplation du garçon.
- C'était quoi, ça ? demanda-t-il, un sourire incertain sur les lèvres et les yeux toujours braqués sur la sorcière se dissimulant désormais derrière sa chevelure rousse.
Lauren ne put dissimuler sa satisfaction.
- L'information n'est pas gratuite, Potter. Mais si tu veux savoir, je peux...
- Cornedrue, l'interrompit Peter d'une petite voix, t'avais dit que tu ne passerais pas par elle pour Lily.
Le Poursuiveur fronça les sourcils. Il hocha pensivement la tête, puis fit passer son bras devant une Chouette incroyablement frustrée pour tapoter l'épaule de son ami dans un geste reconnaissant.
Lauren réalisa alors une chose cruciale : les Maraudeurs étaient inatteignables. À chaque fois qu'elle trouvait une brèche d'un côté, un autre rappliquait pour l'évacuer. Ils étaient unis par une solidarité, une loyauté indéfectible qui faisait rempart à toute agression extérieure. Elle pouvait même voir, à cet instant-là, qu'ils communiquaient silencieusement sous ses yeux. Elle saisissait des bribes, bien loin de ce qu'elle percevait chez les autres élèves.
La sorcière décida d'ignorer leurs dialogues mystérieux pour se reporter à nouveau sur Sirius Black, qui avaient fini de petit déjeuner et ordonnait ses couverts en attendant Pettigrow.
Elle allait attaquer. Fort.
- Et toi, Black, pourquoi tu m'en voudrais ? Après tout, Regulus ne t'a pas dénoncé et ta mère n'est même pas au courant.
Elle n'en savait rien, en vérité. C'était une supposition - heureuse à en croire la colère qui se mit à tendre les muscles du garçon. Il se redressa, et c'était bien plus impressionnant que l'irritation contenue de Regulus.
- Je t'interdis d'évoquer La Folle ici, dit-il d'une voix grave et sourde insensible aux gestes apaisants de ses amis.
- Walburga Black ?
- La ferme.
- Peut-être que tu aurais aimé qu'elle l'apprenne, finalement, continua La Chouette sur un ton moqueur. J'ai cru comprendre que tu adorais la provoquer.
Ce disant, elle vérifia, par sécurité personnelle, que Sirius n'avait pas sa baguette en main. Mais ses poings étaient serrés, son corps penché en avant. Il semblait faire un effort surhumain pour ne pas la frapper.
Elle y était presque.
- Qu'est-ce que tu fous ici, La Chouette ? finit-il pas grogner entre ses dents serrées.
Lauren sourit tranquillement.
- Je te l'ai dit. Je t'espionne.
Il allait exploser. Elle en était certaine. Il allait exploser et peut-être laisserait-il échapper le secret que Regulus soupçonnait - et qu'elle était désormais sûre qu'il n'avait pas inventé. Qu'il était loin, le Sirius solaire et nonchalant. Là, il était Black. Juste Black.
Il n'explosa pas. Lauren ne comprit pas exactement le processus, mais l'un des quatre Maraudeurs dut déclencher le mécanisme, puis ce fut comme la plus belle horlogerie. Sirius se décrispa imperceptiblement en se penchant à nouveau en arrière tandis que Rémus posait les coudes sur la table dans une attitude calme et ferme. Peter surveillait le tout, ses yeux jonglant entre ses amis, et James posa le dernier rouage en bifurquant sur un sujet qui mettrait tout le monde d'accord.
- Bon, puisque tu es là, La Chouette, dis-nous : tu dois bien connaitre tous les petits secrets de Servilius ?
Lauren observa avec fascination la normalité retrouver le groupe. Pettigrow eut un petit rire tandis que Lupin lançait un regard d'avertissement à ses amis, comme à chaque fois que leurs moqueries revenaient.
- Rogue n'a jamais passé de contrat avec moi, répondit-elle d'un ton neutre en essayant de s'adapter à ce brusque changement d'atmosphère.
Elle eut même une pensée dépitée pour sa défaite au jeu de Bavboules à Noël.
- Intéressant... Mais tes informateurs ont bien dû te filer les détails... Allez Veerman, même sa marque de shampoing, ça nous conviendrait ! la supplia James avec un clin d'œil vers son meilleur ami.
Cela ne suffit pas à dérider ce dernier, qui gardait les bras croisés sur sa poitrine.
- Désolée, mais je ne peux divulguer aucun secret.
Sirius lâcha alors un rire ironique.
- Je comprends que vous vous entendiez si bien avec Regulus, dit-il sombrement. Vous êtes tous les deux chiants comme la pluie.
Il y avait là quelque chose de très vrai et très franc, proche des affirmations de son frère, qui fit éclater de rire Lauren. Ce n'était pas voulu, mais cela dut la rendre plus sympathique aux yeux des autres Maraudeurs, qui rirent à leur tour.
Elle les suivit comme leur ombre jusqu'à leur premier cours de la journée - Histoire de la magie. Au départ amusés, ils commençaient à s'inquiéter de sa présence constante à leurs côtés.
- Tu n'as pas cours, toi aussi ? lui demanda Remus, soucieux.
- Si, bien sûr.
- Tu vas être en retard, fit-il remarquer.
- C'est vrai, acquiesça-t-elle après un coup d'œil sur sa montre. Je devrais avoir quatorze minutes de retard.
- Je croyais que t'étais une gamine sage... dit James qui ne pouvait s'empêcher d'être intrigué.
- Je le suis ; je suis même en train de faire un devoir, en ce moment même.
Ils marchaient très vite dans le couloir en une ligne de front qui forçait les autres élèves à s'écarter sur leur passage. Sirius se sentait constamment épié par les iris bruns de La Chouette qui auraient mis mal à l'aise n'importe quel être normalement constitué. Mais le sorcier avait trop l'habitude d'être admiré partout où il allait pour s'en troubler.
- Un devoir de quoi ? se résigna-t-il à demander.
- Divination.
Et devant l'air circonspect des sorciers, Lauren se résolut à expliciter.
- Ma dernière prédiction était que j'aurais quatorze minutes de retard au prochain cours. D'ailleurs, si nous pouvions ralentir...
Lauren n'essayait même pas de fanfaronner. C'était le genre de choses qu'elle se permettait souvent de faire en cours de Divination. La professeure était une escroc et elle adorait ce genre d'initiatives.
Ils arrivaient en face de la porte de la salle de Sortilège. Un petit groupe d'élèves de Sixième année de Serpentard étaient également là. Gaspard Shingleton se détacha de Mulciber et Avery pour se tourner avec étonnement vers Lauren.
- Qu'est-ce que tu fais là, mon flamand rose ? lui demanda-t-il avant de l'embrasser sur les lèvres.
- J'espionne Black, expliqua-t-elle.
Les yeux bleus du garçon se posèrent tranquillement sur Sirius et il acquiesça comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde. Puis il se mit à raconter ses histoires de chaudron sous le regard hautain du sorcier - ce regard très Black, que Regulus affichait le plus souvent.
Lorsqu'ils entrèrent dans la salle, Lauren fit un signe à Gaspard, et repartit en direction de la tour qui accueillait le cours de Divination. Elle arriva avec exactement quatorze minutes de retard, et fut félicitée par la professeure, Miranda Crook.