« Vous devriez mettre un peu de sel dans les pâtes, Severus, insista une ultime fois Minerva McGonagall. »
Severus Rogue se tourna lentement vers sa collègue Minerva McGonagall, la mine affreusement neutre et affreusement sceptique. Il cligna des yeux et sentit sa bouche se tordre de dégoût une fois de plus.
« L’expression vient-elle de Dumbledore ou de vous-même, Minerva ? demanda-t-il lentement d’une voix caverneuse d’où perçait une pointe d’ironie.
— C’est une expression traduite du Gobelbabil de manière littérale qu’utilise Filius avec moquerie, répondit avec sérieux Minerva McGonagall. Je crois que l’un de ses élèves dans son cours de langue l’a…
— Vous auriez au moins pu dire du beurre dans les haricots, la coupa Severus avec agacement.
— Une expression moldue, Severus ? s’étonna Minerva McGonagall. »
C’était Lily qui utilisait cette expression à tours de bras. Lily. Encore Lily.
« La prochaine fois que vous m’incitez à accepter un rendez-vous… galant, trouva-t-il en grimaçant un peu plus, avec l’une de vos voisines, dites-le moi explicitement je vous prie, Minerva. Bonne soirée, conclut-il abruptement en tournant les talons. »
Sa longue cape noire vola derrière lui dans un mouvement fluide et il s’empressa de descendre dans les cachots, dans les caves, là où personne n’essayait de s’inviter dans sa vie.
« Réfléchissez, Severus ! Je vous assure que depuis mon mariage avec Elphinstone, j’ai du sel dans mes pâtes ! s’exclama Minerva McGonagall à travers le couloir désert. »
Severus s’arrêta en fronçant les sourcils. Il s’apprêta un instant à se retourner pour demander à sa collègue ce qu’elle voulait vraiment dire par là, se demanda s’il y avait un quelconque sous-entendu sexuel dans sa phrase, se sentit rougir de malaise et décida alors de ne pas s’attarder. Il reprit sa marche d’un pas un peu moins assuré, s’arrêta une nouvelle fois, se retourna vers sa collègue, réceptionna son sourire pincée et idiot avant de s’enfuir dans son appartement de fonction.
Du sel dans les pâtes ?
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Sibylle Trelawney avait toujours eu confiance en la science de la divination.
Une seule fois, une seule et unique fois, elle avait refusé de croire les prédictions de son jeu de tarot, et elle en avait payé le prix fort. Son Johnny avait demandé le divorce une semaine après leur mariage… tout cela parce qu’elle tenait à ne surtout pas habiter avec lui. Il ne fallait pas perturber son Troisième Œil, nom de nom !
Bref. Son Troisième Œil lui permettait de voir aussi sûrement que les deux énormes verres de ses lunettes.
Aussi, lorsqu’elle but son thé ce matin-là dans le sixième étage de sa tour et lorsqu’elle lut l’avenir dans sa tasse vide qu’elle avait renversée dans la soucoupe, la perplexité et la méfiance se gommèrent rapidement.
Pourquoi les feuilles de thé représentaient-elles une assiette de pâtes ? En train d’être assaisonnée de petite « s » ? Un « s » pour sel ? Du sel dans les pâtes ? Elle ne mangeait que très rarement des pâtes, c’était trop peu adapté à son Troisième Œil.
Mais si les feuilles de thé disaient qu’il fallait mettre du sel dans les pâtes… Ce midi, les elfes serviraient donc des pâtes… et elle devrait y mettre du sel, beaucoup de sel.
« Du sel dans mes pâtes, approuva-t-elle en mélangeant son jeu de tarot. Voyons. Un elfe de maison… Du céleri… Il faut donc du sel de céleri, je comprends mieux, dit-elle avec remerciement aux cartes. Un potionniste… Un potionniste ? Oh, il faut plus de xérès, bien sûr. »
Sibylle Trelawney tendit la main vers sa caisse de xérès pour en tirer une bouteille. Elle prit plusieurs secondes pour l’ouvrir sans lâcher les cartes tirées des yeux. Elle but au goulot deux, puis trois longues gorgées.
« Cupidon ? s’étonna-t-elle. »
Ses yeux écarquillés semblaient vraiment démesurément immenses à cause des verres de ses lunettes mais qu’importe. Que venait faire cupidon dans le tirage ?
Amour ? Retour de Johnny ? Son thé d’hier le lui avait montré en compagnie de deux brunes des tropiques, pfff. Minerva s’était mariée le mois dernier… Non, ce n’était pas pour Minerva, c’était pour elle qu’elle avait tiré les cartes. Alors quoi ?
Elle sursauta lorsqu’on toqua à la trappe. Elle se leva précipitamment, remis en ordre ses châles, ses bracelets et ses talismans en regardant le Professeur Dumbledore pousser la trappe en bois et passer la tête depuis le sol de sa salle de classe.
« Vous joindriez-vous à nous pour le petit-déjeuner ce matin, Sibylle ? lui demanda-t-il en regardant tout autour de lui, sans doute pour admirer la timide décoration qu’elle avait entamée. Minerva et Filius ont redécoré toute la Grande Salle pour l’occasion. Les élèves s’envoient déjà des lettres d’amour. C’est si mignon. Moi-même j’en ai reçu deux depuis mon réveil.
— La Saint-Valentin est une fête atrocement codifiée mais adorablement prévisible, en convint-elle. »
Cupidon le lui avait dit un instant plus tôt. Les feuilles de thé ne mentaient jamais, elle le disait toujours.
Sibylle Trelawney descendit l’échelle à la suite du Professeur Dumbledore sans oublier de fermer la trappe derrière elle.
Elle devait penser à mettre du sel de céleri dans ses pâtes.
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Ce matin-là, Severus Rogue descendit d’un pas trainant mais assuré dans la Grande Salle.
Les couleurs rose et rouge avaient envahi le château de l’École de Sorcellerie Poudlard comme un virus pestilentiel le corps d’un malade. Si les ballons de papier-mâché en forme de cœur, les paillettes d’un rose argenté et les angelots chanteurs de madrigaux le répugnaient, ce n’était rien en comparaison de l’attitude libérée et écervelée des élèves. Sans compter qu’ils seraient bien trop surexcités pour écouter quoi que ce fût des cours d’aujourd’hui. Définitivement, Severus Rogue détestait le quatorze février et les sentiments dégoulinants qui engluaient cette fête ridicule et écœurante. Oui, cette fête du cœur donnait plutôt des haut-le-cœur, constata-t-il avec sarcasme en voyant l’effroyable spectacle de deux élèves de sixièmes années après avoir tourné dans un raccourci étroit. Il remarqua facilement la main du garçon en train d’écraser la poitrine de la fille, leurs langues déborder de la bouche de l’autre, et leurs tenus débraillées. Les bruits de succion répugnants achevèrent la tâche ingrate de cette journée de le dégoûter années après années du contact humain.
« Les démonstrations affectives ne sont pas tolérées dans l’enceinte de l’École de Sorcellerie Poudlard, article 14 paragraphe 3 du règlement intérieur, rappela-t-il en attrapant l’élève par le col de sa robe d’uniforme pour le tirer en arrière. Je vous retrouve ce soir en retenue, Mr Debbins et Miss Fletcher. »
Il ignora les protestations des deux étudiants et reprit son chemin vers la Grande Salle, partiellement satisfait de remettre les idées en place dans la tête de ces deux imbéciles. Pas de Saint-Valentin pour eux.
Il remonta la Grande Salle en passant entre les tables de Serdaigle et Poufsouffle. Comme à chaque fête, Dumbledore se ruait sur l’occasion pour… faire la fête. Severus était professeur pour la cinquième année à présent mais il s’étonnait à chaque fois de l’entrain d’Albus Dumbledore pour les fêtes populaires, niaises et ridicules.
« Ah, Severus, nous n’attendions plus que vous, se réjouit Minerva. Je vous ai gardé une place entre Sibylle et moi, venez. »
Il ne prit surtout pas la peine d’expliquer pourquoi et par quoi il avait été retardé. Dumbledore aurait levé la sanction. Minerva l’aurait peut-être fait elle aussi. Elle était devenue si obsédée par les problèmes de cœur depuis qu’elle avait épousé le vieil Elphinstone Urquart. C’était d’ailleurs étonnant qu’elle soit ici et non avec son mari ce matin.
Il s’assit à la place qu’on lui avait gardée et n’attendit pas le discours de Dumbledore pour se servir une tasse de thé amplement méritée. Il se contenterait d’un peu de baked beans et d’un toast beurré aujourd’hui. Son estomac était trop noué par ce déluge de bons sentiments pour espérer se nourrir plus.
« Ex… Excusez-moi Severus, le dérangea Sibylle Trelawney. Pensez-vous… pensez-vous que je pourrais demander des pâtes aux elfes de maison ? »
Il tourna lentement la tête vers sa collègue et remarqua ses yeux bleus paniqués derrières ses verres grossissants. Des pâtes ?
« Peut-être, répondit lentement en revenant perdre son regard sur le seul point encore propre de rose du mur de la Grande Salle. »
Elle est foldingue, il ne faut pas chercher à comprendre, se rappela-t-il en portant sa tasse de thé à sa bouche. Il sentit sa main froide baguée dix fois se poser sur son bras, se crispa, reposa sa tasse et se retourna vers elle. Ses lèvres gercées tremblaient.
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Sibylle Trelawney commençait à paniquer. Pas de pâtes, pas de sel de céleri, pas de…
« Et… et du sel de céleri ? Puis-je aussi demander aux elfes du sel de céleri ? »
Son collègue Severus Rogue ne laissait rien transparaître de ses émotions. Sibylle n’en avait pas besoin pour savoir que son âme était triste, solitaire et animée par le regret (son Troisième Œil l’avait tout de suite compris) mais là, elle crut voir une pointe de compassion (ou d’impatience ?) dans ses iris couleur boue.
« Peut-être, répéta-t-il.
— Mais pensez-vous qu’ils aient du sel de céleri dans leur réserve ?
— Il vous suffit de demander. »
Mais oui, il suffisait toujours de demander. Elle demandait souvent à sa boule de cristal et sa boucle de cristal lui répondait toujours.
« Merci Severus, vous êtes charmant, approuva-t-elle. »
Les deux plaques rouges qui colorèrent les joues de son collègue potionniste la laissèrent perplexe. C’est que Severus Rogue ne rougissait jamais. Avait-elle réussi à troubler assez son âme pour que son Troisième Œil puisse mieux comprendre les soucis de son collègue ?
Elle toucha le bord de son assiette et demanda à mi-voix des pâtes et du sel de céleri. Son assiette se remplit aussitôt de pâtes et une coupelle de sel de céleri apparut sur la table, entre Minerva et Severus. Les elfes visaient souvent mal mais c’était toujours prédit par les cartes. Elle aurait dû tirer une carte de plus ce matin.
« Minerva, pouvez-vous me passer la coupelle de sel de céleri ? demanda-t-elle. »
Severus était un bon collègue, mais il semblait perdu à présent.
« Le sel, Sibylle ? s’étonna Minerva en le lui tendant néanmoins.
— J’aimerais mettre du sel dans mes pâtes, approuva-t-elle. »
Pourquoi Minerva pinçait-elle les lèvres pour se retenir de rire ? Pourquoi Severus avait-il lâché sa tasse de thé et pestait-il après le sel et les pâtes ?
« Enfin, Severus, il faut mettre du sel dans les pâtes, Sibylle a raison, l’approuva Minerva.
— Je vous remercie, Minerva, renchérit Sibylle en salant généreusement son assiette de pâtes. »
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Severus Rogue voulait fuir. Il n’était pas lâche, du moins lui semblait-il. Mais là, il avait besoin de lâchement fuir le regard compatissant, réprobateur et affectueux de Minerva McGonagall.
Du sel dans les pâtes de Sibylle Trelawney ? Vraiment, Minerva ?
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Sibylle Trelawney sortit son paquet de cartes de tarot de sa large poche et se décida à redemander à Severus pour lui tirer les cartes. Le potionniste.
« Severus, venez, c’est votre jour de tirage, annonça-t-elle posément. Les planètes sont alignées conformément à votre âme et mon Troisième Œil est braqué sur vous. S’il vous plaît, mélangez mon jeu.
— Eh bien, Severus, mélangez le jeu de Sibylle, l’encouragea Minerva. »
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Severus Rogue, dans un bref moment de faiblesse, accepta de battre le jeu de cartes de Sibylle Trelawney. Tout ce rose et ces effluves floraux embrouillaient ses sens aigus de maître des potions. Après le cœur, c’était au tour de la tête de tourner et d’être ankylosée.
Il avait oublié quelque chose ce matin.
« Cupidon, tira Sibylle. Bien sûr, c’est la Saint-Valentin et rien n’est improbable en ce jour ! Voyons… Associé… au céleri… vous allez faire une rencontre qui va assaisonner votre vie, Severus. Une lune pleine ? Un loup-garou ? Ou bien une astrologue ? La lune est pleine, vous êtes de toute évidence d’ores et déjà rempli d’amour. Un chaudron… gardez-vous d’un philtre d’amour, Severus et…
— Un instant, se reprit Severus Rogue en se levant brusquement. C’était la pleine lune hier soir, j’ai besoin de cueillir du céleri baigné de lune pour un antidote.
— Du céleri, bien sûr ! sembla se réjouir Sibylle Trelawney. Puis-je venir avec vous, Severus ? J’aimerais en infuser. »
Severus cessa de remettre sa cape en place sur ses épaules et tourna la tête vers sa collègue voyante. Pendant plusieurs mois, il n’avait pu s’empêcher de voir en elle la responsable de ses malheurs et il l’avait évitée comme la peste. Elle ne semblait pourtant même pas se souvenir de cette prédiction qui avait scellé le destin du Mangemort incertain qu’il était.
À présent, il était plutôt dépité de voir à cause de quel détail sa vie avait encore une fois était retournée. Une sorcière un peu bizarre qui vivait en ermite tournée vers un futur qu’elle décryptait sans jamais le vivre. Une sorcière un peu stupide avec sa croyance invétérée dans les astres et les étoiles. Une sorcière un peu folle dans ses manières incohérentes.
Un peu ermite et perdu dans le temps, un peu stupide de croire en quelque chose qui n’existait plus, un peu fou et incohérent.
Il regarda intensément Sibylle Trelawney, perplexe devant la description relativement similaire à celle qu’il se faisait parfois de lui-même.
Une chose est sûre, néanmoins : j’ai bien plus de classe qu’elle, releva-t-il en la voyant s’emmêlée dans ses châles et ses talismans.
« Je vous en apporte ce soir, préféra-t-il trancher. »
Il n’attendit pas sa réponse pour s’enfuir de la Grande Salle. Des paillettes rose argenté et des odeurs de fleurs le suivirent jusqu’au serres de l’école.
Lui, ressembler à Sibylle Trelawney ? Il ne fallait pas rêver.