Walburga aimait ses fils.
Ils étaient son Sang. Un Sang Pur, pur produit d'un Black et d'une Black, un sang à préserver et réserver à une descendance saine et puissante.
Ils étaient son Sang. Elle était leur mère. Elle n'aurait jamais sacrifié son honneur pour eux. Jamais non plus sa fierté. Mais sa vie - sa vie oh ça oui. Sans concessions, absolument, façon Black.
Sa belle-sœur Druella prétendait aimer ses filles également. Hypocrite. On ne peut aimer indifféremment une bague, une rien-du-tout et une dague. Walburga aimait ses fils différemment.
Walburga aimait Sirius. Elle l'aimait parce qu'elle s'aimait, et que Sirius était elle - ou presque. Un champ de bataille. Ils continuaient de se battre car ils savaient qu'une fois la lutte terminée, ne resterait plus qu'une plaine aride et terne. Pour l'heure, ils préféraient la pluie fine sur les décombres et les chairs qui n'éteignait pas le feu et n'essorait pas le sang.
Walburga aimait Regulus. Elle l'aimait quand elle ne s'aimait plus. Car Regulus n'était pas elle et Regulus l'aimait. Il avait une manière bien à lui de dire « mère » ; comme une reconnaissance éternelle, une dette jamais épuisée. Ils étaient liés par le fil infrangible de ceux qui se façonnent mutuellement : Walburga devait se faire « mère », protectrice, inébranlable, tyrannique. Regulus devait se fondre en fils, sage, docile, passif.
Walburga aimait la colère de Sirius. Elle se demandait parfois si elle n'avait pas volontairement provoqué sa rébellion. Gryffondor... Elle jubilait. Les photos des motos et des Moldues dénudées, la nonchalance... Elle s'en enivrait. La fugue. Elle triomphait. Cette colère, ce souffle, c'était la preuve qu'il était son Sang, c'était la preuve qu'il l'avait observée, admirée sûrement, qu'il l'avait mimée. Walburga se demandait ce qui pourrait vaincre la colère. La sienne n'était jamais partie. Alors Azkaban... elle était curieuse. Oui, la prison lui irait bien. Coupable !
Walburga aimait l'innocence de Regulus. Il était enfermé en enfance, enfermé dans ses façons et ses formules, dans cette confiance infinie. Il étirait les jambes pour coller à ses pas. Il présentait la Marque sur son bras, dans l'attente d'une autre marque qu'elle ne lui offrirait pas. Regulus était éternellement petit. Et tant mieux s'il mourait jeune.
On dit pourtant qu'il n'existe rien de plus terrible que de survivre à ses enfants. Walburga n'était pas de cet avis. Elle s'était assurée de pouvoir les aimer du début à la fin ; jamais ils ne souffriraient son absence. Elle avait consumé Sirius avant de ne plus l'aimer. Elle avait écrit elle-même la date de la disparition de Regulus. Elle n'avait pas attendu qu'il reparaisse. Elle l'avait tué avant de l'oublier.
Il y avait donc une brûlure et une date de trop sur la tapisserie de la Noble et Très Ancienne Maison des Black. Walburga passa ses derniers jours debout face à elle, traçant inlassablement du bout des doigts les deux fils dorés amputés. Le reste des heures, elle les expira face à son cadre. Elle et la peinture se déchiraient. C'est ainsi que l'on apprend à être Walburga Black.
Leurs cris et leurs insultes résonnaient dans la demeure opaque. Walburga n'aimait plus, son double n'aimerait pas. De toute façon, elle aurait été bien incapable de lui apprendre à aimer ses fils. Elle ne savait pas le dire. Elle ne pouvait lui montrer. La femme à la peinture écaillée entendrait des années plus tard glisser amèrement des lèvres du Traître : « Ma mère n'avait pas de cœur, Kreattur. »
Comment aurait-il pu imaginer le contraire ? Walburga Black aimait ses fils, mais le mot n'avait été prononcé qu'une fois et demie à voix haute dans la demeure familiale.
La première fois, c'était Sirius et il l'avait nié.
« Je vous hais. Vous comprenez, cela, mère ? Je ne vous aime pas. »
La deuxième demie fois, c'était Regulus. Il s'était enfermé trois jours durant dans sa chambre avec l'elfe. Il en était sorti comme toujours trop raide, trop habillé, trop peigné, trop lisse, trop froid, trop hautain, un peu moins enfant, un médaillon à la main. Il l'avait regardé longuement.
« Mère ? Je... je vous ai... »
Elle avait haussé un sourcil. Je vous hais ? Non, Regulus l'aimait. Elle avait haussé le deuxième sourcil en comprenant le demi-mot. Elle avait immédiatement tourné les talons. Elle ne l'avait plus jamais revu.
Depuis, elle errait dans les fantômes, naviguait entre deux murs qu'elle soignait et qui la nourrissait. Le tableau lui crachait sa haine. La tapisserie lui vomissait son sang. C'était bien assez.
Walburga Black mourut d'une hémorragie interne. Rupture d'anévrisme cérébral. Sirius aurait dit que vraiment, son idéologie lui était montée à la tête. Regulus lui aurait pris la main.
Son Sang Pur remplit rapidement son cerveau et lui comprima le crâne. La douleur l'étrangla. Son regard incisif s'ébrécha. Walburga inspira pour gonfler sa poitrine et soutenir sa stature. Elle soupira sa colère. Une pointe aigue transperça ses yeux gris comme pour l'interdire de réserver sa dernière vision à cet arbre à l'agonie.
Et dans l'immense et très vide Maison des Black, nul ne la vit marquer d'elle-même, juste au-dessus des fils dorés, l'année de son propre trépas.
Elle emporta ainsi ce secret et cette certitude : Walburga Black aimait ses fils. Seulement, elle n'aurait su dire lesquels des fils de chair ou de soie dorée elle aimait.