Quelques jours plus tôt
Partir en expédition, c'est ce que je préfère. Il n'y a rien de mieux que de laisser derrière soi tout ce qui ne va pas, de ces tracas quotidiens, de la fuite d'eau qui fait moisir les murs de son appartement jusqu'à des parents omniprésents qui s'inquiètent constamment. Sauf quand le père en question fait aussi, partie de ladite expédition. Évidemment, dans ces moments-ci, ça complique la donne. J'aurais dû écouter James… Avant de partir, il m'avait prévenu que cette histoire était un traquenard et il s'y connaît bien, en traquenard.
Je suis déjà allé en Papouasie Nouvelle Guinée. Il n'y a qu'ici, que l'on peut observer les snillusions. Mais je ne me suis jamais aventuré aussi profondément dans cette forêt sauvage.
J'ai entendu mon père évoquer « le Temple du dragon foudre ». Sauf qu'il ne s'agit que d'une légende… Je l'ai quand même suivi. De toute façon, il me reste des heures de mission à valider pour l'école de magizoologie, alors bon…
Les bruits de la jungle ont quelque chose d'apaisant. En haut des arbres, parmi les lianes, on devine les snillusions qui s'enroulent autour des troncs et nous observent avec intérêt. Ils se confondent avec d'autres serpents, tout aussi dangereux mais incapables de nous retourner le cerveau avec leur venin… La chaleur est étouffante, mais j'aime ça. Donc oui, partir en expédition, c'est ce que je préfère. C'est pour ça, que j'ai choisi de devenir magizoologiste. J'adore les créatures magiques et voyager : ma voie était toute tracée et je ne me suis jamais inquiété d'échouer dans ma matière. Je suis doué et je le sais.
– La crème solaire mon grand ! m'avertit mon père alors qu'il passe devant moi.
Je grogne. Il y a quand même un désavantage, à cet ordre de mission…. Un désavantage que j'adore et qui porte le doux nom de Bill Weasley. J'aime mon père. Tout le monde aime mon père, en fait. Vraiment, il est fantastique. Mais quand il fait son papa poule comme ça, j'ai juste envie de hurler et de lui dire que j'ai vingt-et-un ans. Scorpius Malefoy s'esclaffe discrètement derrière son épaule, les yeux moqueurs. Je m'éloigne rapidement, pour m'empêcher de lui coller mon poing au visage. Je ne suis pas du genre violent, mais lui, il m'énerve prodigieusement et Rose m'en voudrait trop. Par respect pour elle et le visage qu'elle aura à embrasser quand il rentrera de cette mission, je préfère m'abstenir. Je retourne dans la tente que je partage avec Charlie. Faramond dort paisiblement sur son lit et ronfle comme un bienheureux, alors que mon oncle termine de se préparer.
– Pourquoi est-ce que mon père a ramené cet abruti de Malefoy ? craché-je presque.
– Scorpius n'est pas un abruti. Ton père le considère comme l'un de ses meilleurs étudiants, me rappelle-t-il.
– Alors pourquoi est-ce qu'il ne lui somme pas de tartiner sa belle tronche toute blanche de crème solaire ?
– Parce qu'il n'est pas son fils, Louis.
Charlie rit franchement et attache ses cheveux à la va-vite. Si mamie Molly les voyait avec cette longueur, elle en ferait une syncope. Il enfile son sac à dos et me tend le mien. Je l'attrape en soupirant :
– Pourquoi est-ce qu'ils ont besoin de magizoologistes déjà ? demandé-je
– T'as pas écouté la réunion d'hier ? me gronde doucement Charlie.
– Non.
– Merde.
– Quoi ?
– Bah moi non plus j'ai rien écouté !
– J'espère que t'as honte de toi, l'accusé-je avec force.
– La forêt est dangereuse et grouille de plein de créatures magiques très dangereuses, affirme Charlie. Ce doit être simplement pour ça… La routine quoi !
Je range ma baguette dans la poche arrière de mon jean, une mauvaise habitude que je tiens de mon père, et ressors de la tente alors qu'il est en train de débriefer.
– Le Temple du dragon foudre n'a jamais été trouvé jusqu'ici. Des sorciers affirment cependant avoir trouvé des traces de son existence et des artefacts magiques sont concentrés dans cette zone, nous invitant à penser que le Temple pourrait se trouver tout proche.
– On a déjà eu un debriefing hier, se plaint une sorcière.
– Je préfère répéter deux fois, ronchonne mon père en me jetant un regard excédé.
J'ai toujours aimé voir mon père en action. Il est d'un naturel assez timide, mais étrangement, quand il est question de partir explorer des temples perdus au fin fond de la Papouasie, il est moins réservé. Il est charismatique… Tout le monde l'écoute attentivement. Il dirige les opérations de l'unité britannique, qui a été appelée pour intervenir et aider dans le cadre des recherches sur le Temple du dragon foudre.
– C'est pas une légende, le Temple du dragon foudre ? Je chuchote à l'oreille de Charlie.
– Si…
Une fois tous les cinq ans, la communauté magique s'affole en décrétant avoir trouvé une nouvelle piste et c'est toujours la même rengaine : une déception infinie quand on se rend compte que c'était une immense perte de temps. Mon père dit toujours que c'est l'un des plus grands mystères de l'Histoire magique… Il y a beaucoup de textes, de documentations et de témoignages sur le Temple du dragon foudre, mais rien n'a jamais été concluant ni même probant. Mon père nous en parlait souvent, lorsque nous étions enfants… Je crois que le Temple du dragon foudre est un espèce de fantasme ultime pour le briseur de sorts qu'il est : un monument perdu depuis aussi longtemps doit forcément fourmiller de pièges en tous genres…
– Beaucoup de pilleurs sont dans le coin et le cherchent également. Soyez vigilants.
– Il a quoi de si spécial ce temple ? me demande mon oncle.
– Il renferme sûrement un trésor inestimable, je hausse les épaules. Et puis, ça serait quand même super cool de trouver un temple perdu depuis des siècles, non ? T'imagines ce qu'on pourrait y trouver ? Des traces d'une ancienne civilisation magique oubliée… Ce serait fascinant !
– T'es bien le fils de ton père toi…
– En revanche, je me demande bien pourquoi ils ont besoin de magizoologistes ? Qu'est-ce qu'on fiche ici ? Je fais en ignorant sa dernière remarque.
– Il y a des ponstastillas en nombre ici, me regarde sévèrement mon père comme s'il m'avait entendu. Les magizoologistes auront pour rôle, en plus de protéger les briseurs de sorts des créatures magiques habitants la forêt, de quadriller leur déplacement afin de déterminer où se trouvent les lieux qui les attirent. Il y a sûrement des infrastructures, des monuments autour du Temple. Si jamais vous trouvez quoique ce soit, n'agissez pas. Laissez les briseurs de sorts faire leur travail !
– Je rêve où il me regarde avec insistance, là ? murmuré-je à Charlie.
– Ah tu me rassures, je croyais que c'était moi qu'il visait.
– Vous ne touchez à rien, les magizoologistes ! C'est bien compris ?
Mon père nous fixe tour à tour, Charlie et moi.
-Ou alors il nous regarde tous les deux ? supposé-je.
– Ah non, c'est toi qu'il vise !
– Si si, c'est nous deux qu'il regarde, je hoquette. Comme si nous étions des têtes brûlées.
– Je suis outré…, soupire Charlie, dépité.
– Les équipes seront composées de deux magizoologistes et deux briseurs de sorts, continue mon père. On va vous communiquer les positions des derniers ponstastillas ayant été observés. Concernant la jungle, restez prudents. Les snillusions sont de vraies canailles et ils ont tantôt fait de vous manipuler !
Les ponstastillas sont de petites créatures semblables à des lucioles, qui brillent la nuit et vont toujours par paire. Elles sont attirées par les sorts d'oubli et d'amnésie. Quand on a jeté un sort sur un bâtiment, qu'on cherche à protéger de façon magique un secret depuis très longtemps, les ponstastillas apparaissent. Ils sont attirés par les fidelitas, oubliette, ou les sortilèges d'amnésie plus complexes… Plus le secret est vieux, plus le bâtiment est oublié de tous, plus les ponstastillas affluent tout autour et sont nombreux. Il suffit de comprendre leur façon de se déplacer, pour dénicher le trésor auprès duquel ils vivent. Les magizoologistes sont formés à ça, donc j'imagine qu'en plus de protéger les briseurs de sorts contre un armada entiers de créatures magiques hostiles, il nous faudra faire attention aux moindres déplacements des ponstastillas. En revanche, en ce qui concerne Charlie, je ne comprends pas. Il est dragonologue. S'occuper de quadriller les déplacements des ponstastillas ne fait pas partie de ses fonctions. Sauf si mon père a peur que le dragon foudre soit plus qu'une légende…
– Bonne chasse au trésor à tous ! tape dans ses mains mon père avec enthousiasme.
Les équipes commencent à se former. Je ne suis pas encore un « vrai » magizoologiste : j'aurai mon diplôme en mars, après avoir passé la soutenance d'un mémoire que je n'ai même pas encore commencé à rédiger… Je dois donc rester sous la supervision d'un supérieur. Comme Charlie. Qui n'est pas vraiment un bon superviseur, dans la mesure où je suis aussi responsable que lui. Mon père s'avance vers son cadet et moi, en prenant Scorpius par le col, qui tente de s'échapper. Si nous étions deux chats, je suis sûr et certain qu'on se feulerait dessus lui et moi.
– Vous deux, je veux vous avoir à l'œil ! Fait mon père en nous désignant.
Je me mets au garde-à-vous :
– Chef, oui chef !
– Je suis sérieux Louis. La zone est dangereuse. Le Temple du dragon foudre, s'il existe réellement, renferme l'un des secrets les plus anciens que le monde a connu jusqu'ici. Il est probablement protégé par des sorts et des maléfices dont on ne soupçonne même pas l'existence. Alors ne fais rien d'inconsidéré !
– Tu me connais ! Et je suis le meilleur pour trouver les trésors…
Quand nous étions petits, mon père adorait cacher des fausses pièces dans le sable que nous devions trouver. Dominique refusait de s'approcher trop près de l'océan, Victoire voulait juste se baigner, alors que moi, j'étais prêt à retourner la plage entière pour le trouver, prêt à retourner chaque grain de sable.
Trouver les choses, c'est ce que je fais de mieux. A défaut de trouver les gens… Mon cœur se serre à cette pensée. Je n'ai pas envie de penser à elle…
Je souris à mon père.
– Tous les secrets sont faits pour être découverts tôt ou tard, non ?
oOo
Nous avançons péniblement dans la jungle. Les moustiques nous assaillent en nombre. Je dégouline déjà de sueur. Mais je ris intérieurement, parce que Scorpius a un coup de soleil monstrueux sur le nez et qu'un moustique l'a piqué entre les deux yeux. Il me fusille du regard chaque fois que nous nous retrouvons à côté.
Du coup, je traîne derrière tout le monde. Je suis fatigué d'avoir à supporter ses yeux meurtriers. Je reste en retrait, là où l'air est déjà plus respirable. J'inspecte les alentours, un peu à l'écart du groupe, en examinant la danse des ponstastillas qui s'amusent à zigzaguer entre les lianes. Il n'y en a que quatre paires, ce qui est bien peu. Ils ne doivent être attirés que par un oubliette vieux de quelques années, tout au plus, pour être aussi peu nombreux. Quand je me retourne, Scorpius a les yeux rivés sur moi.
– Je ne savais pas que c'était à ce point …, marmonne Charlie en faisant habilement barrage entre nous.
– C'est même pire que ça, soupiré-je. Scorpius me déteste.
– Pourquoi ?
Pour Allénore.
– Pour rien, je réponds. Mais je m'en fiche. Je le déteste aussi.
– Pourquoi ? redemande Charlie, les sourcils froncés.
– Pour Allénore, maugrée Scorpius en passant devant nous.
Je me fige entièrement. Mon cœur éclate dans ma poitrine, comme un ballon de baudruche que l'on aurait trop gonflé, trop rempli d'air, et ça fait douloureusement mal. Charlie passe une main dans ses cheveux, mal-à-l'aise :
– Euh… Je vais aller voir Bill. Il a sûrement besoin d'aide avec euh… Les… machins verts dans les arbres.
Je hausse un sourcil, amusé :
– Les snillusions tu veux dire ?
– Ouais, voilà les snillusions ! Ils n'ont pas l'air commode !
Il s'enfuit comme un lâche, alors que Scorpius a croisé les bras sur sa poitrine.
– « Rien ». C'est comme ça que tu l'appelles ? Elle n'a même plus de prénom maintenant ?
– Lâche-moi, je grogne.
– Oh non, je ne te lâcherai pas. Tu évites le sujet. Tu évites tout le monde, à commencer par Rose et Albus, qui se font un sang d'encre pour toi.
C'est trop dur.
– T'as laissé tomber…, m'accuse Scorpius.
Je sais très bien de quoi il parle, et moi, je n'ai même pas envie d'évoquer le sujet, ni même simplement d'y penser. Je m'agace, le sang bouillonnant doucement dans mes veines :
– Et toi, alors ? T'as pas laissé tomber peut-être ? Elle ne reviendra pas. Faut se faire une raison ! m'écrié-je. Ça va bientôt faire six mois…
– Il lui est forcément arrivé quelque chose. Elle n'aurait jamais tout abandonné comme ça derrière elle !
– JE REFUSE DE PARLER DE CA !
Il sursaute surpris, et renifle dédaigneusement.
– Elle disait que t'étais l'une des personnes les plus courageuses. Mais elle avait tort. T'es qu'un gros lâche, Louis Weasley. Et quand elle reviendra, tu regretteras.
– Mais colle toi bien ça dans le crâne, Malefoy : je ne veux pas qu'elle revienne. Si elle apparaissait comme par magie devant moi, je lui tournerais le dos et je partirais dans la direction inverse à la sienne. Et t'as beau parler, Malfoy… Mais t'évites de prononcer son prénom le plus possible. Je l'ai bien remarqué.
Il recule, légèrement blessé, comme si je venais de le gifler.
– T'es une pourriture, Louis. Et tu ne me feras pas croire que tu n'as rien à voir avec sa dispa…
– Tais-toi, le coupé-je.
Je rebrousse chemin. Ça fait des heures qu'on marche ici, et qu'on n'a rien trouvé. Ce soir, nous rentrerons probablement tous bredouille. J'imagine que trouver un Temple perdu depuis des siècles n'est pas si facile que ça, même pour des sorciers. La nuit tombe et les ponstastillas sont de plus en plus nombreux. Ils éclairent mon chemin. Mon oncle et mon père m'appellent, mais je les ignore. En rentrant au campement, je file directement à la tente, puis sous la douche.
Sous l'eau, j'essaie d'oublier mes tracas. Le plus gros, celui que je me trimballe depuis juillet dernier, s'appelle Allénore Rameaux. Tout faire pour oublier quelqu'un, c'est se forcer à ne plus y penser. Effacer quelqu'un de sa mémoire, c'est douloureux. Mais ça me fait encore plus de mal, de l'y laisser vivre… Allénore a disparu sans laisser de trace, un beau jour, et nous l'avons cherchée partout. Elle s'est volatilisée sans prévenir. On a fouillé ciel et terre pour la retrouver, jusqu'à se rendre à l'évidence : elle avait tout fait pour ne pas être retrouvée. Ron et Harry eux-mêmes, n'avaient pas pu remonter jusqu'à elle. Sa famille à Paris, n'avait aucune nouvelle, rien.
Ça fait six mois maintenant… Et je l'ai toujours dans la peau. Quand je pense à elle, les secondes deviennent des heures et mon cerveau fond sous la colère. La veille de sa disparition, elle me disait des « je t'aime » dans l'oreille et parsemait mes lèvres de milliers de baisers.
Je refuse qu'on parle d'Allénore Rameaux. Je refuse de lui accorder autant de pouvoirs, après ce qu'elle m'a fait, ce qu'elle nous a fait à tous.
Je suis ici pour trouver ce Temple. Un Temple perdu depuis tellement d'années qu'il en est devenu une légende. Et pourtant, je suis persuadé que j'ai plus de chance de le trouver lui, que de retrouver un jour Allénore.
J'ai le pouvoir de trouver ce Temple. Sur elle, je n'en ai plus aucun. Je n'en ai jamais eu et n'ai jamais cherché à en avoir. J'aurais tout simplement aimé comprendre son silence, son départ précipité ... J'en ai marre de me torturer avec ça. Je n'aurais pas d'explication. Alors, je décide de me consacrer sur les choses auprès desquelles je peux encore avoir une emprise, des choses que je peux trouver, et comprendre.
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