- ... quand il le veut, il est capable de filer plus vite que Severus Rogue confronté à une bouteille de shampooing, alors ce n'est pas parce qu'il est loin qu'il faut vous croire à l'abri, si vous avez l'intention de prendre des risques. Je n'aurais jamais pensé dire un jour une chose pareille, mais la sécurité d'abord !
Lee termina l'émission et Fred et George se regardèrent intensément. Tous deux savaient que Fred venait de franchir une limite encore inviolée, une limite qu'ils s'étaient donnée depuis l'enfance.
- Je rêve Fred, ou tu as vraiment vanné Rogue? Tu sais ce qu'on s'est dit : ça porte malheur...
Le rouquin hocha la tête d'un air coupable. Alors qu'ils quittaient la pièce, chacun se replongea dans les souvenirs, avec une petite pointe de culpabilité superstitieuse...
Comme d'habitude, les chaises d'osier de Tante Muriel étaient dures et rugueuses. Pire, il suffisait que l'un des jumeaux l'effleure pour se retrouver avec des échardes dans les doigts. Quant au rôti de veau servi par la vieille femme, tous les deux avaient l'impression de goûter à de la peau tannée. C'était absolument infect.
« Mangez et taisez-vous », leur avait ordonné leur mère pour toute réponse à leurs regards suppliants.
Mais Fred et George ne voulaient pas obéir. Ils n'aimaient déjà pas le ciel gris et l'atmosphère empuantie de la ville, mais en plus ils ne pouvaient pas sentir Tante Muriel, pas plus que son immense demeure qui empestait la poussière et la splendeur passée.
Mais quelle splendeur ? se demandaient-ils alors qu'ils écoutaient d'une oreille distraite la conversation des adultes. Par la fenêtre, le Pays noir, comme on appelait cette région proche de Birmingham, offrait le paysage le plus morne et désolé qu'ils n'aient jamais eu à observer.
Ils détestaient ces arbres noircis par des décennies d'exploitation du charbon, cet environnement insalubre et toute la pollution qui envahissait le paysage. Tante Muriel en rejetait la faute sur les moldus mais, malgré leur jeune âge, Fred et George savaient que cela était parfaitement idiot. Les moldus ne polluaient pas plus que les sorciers et les préjugés de cette affreuse matriarche commençaient sérieusement à les agacer.
L'occasion de fuir se présenta alors que Ginny fut soudain prise de quintes de toux. Leur mère se précipita à son secours, leur père aussi. Ron se mit à pleurer et Tante Muriel, trop occupée à le rabrouer, ne vit pas les deux garçons sortir discrètement de table et quitter la salle à manger.
Ils étaient libres ! Enfin !
Courant hors du manoir, ils descendirent sans s'arrêter le promontoire en haut duquel elle se trouvait et foncèrent droit dans le quartier ouvrier avec un objectif précis: la grosse structure métallique qu'ils apercevaient depuis la maison de leur tante. Faite d'énormes piles d'acier et garnie d'une roue, c'était la seule chose qui les avait toujours intéressés dans ce paysage fortement dégradé par les industries diverses et variées qui s'y étaient succédé. D'ailleurs, leur père aussi se questionnait fréquemment au sujet de cette étrange construction, mais plus à voix haute depuis que leur insupportable tante le rabrouait sans cesse.
- On va étudier la chose Fred ! s'écria George. Papa sera content de nous quand on lui dira comment ça marche.
- La chose, répliqua Fred un peu essoufflé car il gravissait à cet instant une légère côte. Papa dit que ça s'appelle un chevalement.
Et pour atteindre le chevalement en question, il fallait longer le ruisseau aux eaux sales qui traversait la bourgade, puis contourner un bosquet de bouleaux aux troncs noirs. Une bonne trotte donc, mais Fred et George ne s'arrêtèrent pas une seule fois et ne croisèrent presque personne. Ils faillirent juste bousculer une femme d'un certain âge qui, vêtue d'une longue robe noire et d'un châle vert d'eau également rabattu sur sa tête, examinait curieusement les troncs des arbres noircis.
- Elle est bizarre celle-là, dit George un peu vexé d'avoir été rabroué par l'inconnue après avoir manqué de la percuter. Je me demande ce qu'elle fait.
- Je crois qu'elle ramasse des papillons morts, répondit Fred d'un ton dégoûté. Il y en avait plein son panier!
- Berk!
Mais déjà, ils arrivaient au chevalement. De près, il semblait encore plus immense, également incomplet et un trou béant s'ouvrait dans le sol.
- Je me demande comment ça marche, souffla Fred en s'approchant avec précaution pour contempler le gouffre.
George, lui, essayait de faire le lien. Un trou, une structure métallique en hauteur et une roue... Mais pourquoi une roue ? Et que comptait de plus cette structure métallique à l'époque où elle était complète ?
De nombreuses barres semblaient en effet avoir disparu, il le voyait aux traces de soudures sur les piles principales.
- Il y avait autre-chose au milieu, Fred, suggéra-t-il. Je... Je crois bien qu'un ascenseur descendait dans ce trou.
- Si c'est vrai, répondit son jumeau, je me demande pourquoi. En tout cas, ils construisent de sacrés trucs les moldus...
Comme ils contemplaient le haut du chevalement, à la recherche d'indices pouvant les renseigner un peu plus, ils se rapprochèrent insensiblement du gouffre.
Tout se passa alors très vite.
Soudain, le sol se déroba sous leurs pieds à tous les deux, une véritable rivière de gravas venait de se mettre en mouvement et les deux jeunes garçons tombèrent lourdement au milieu.
- GEORGE !!!! hurla Fred, juste avant de disparaître dans le tourbillon de sable et de graviers qui s'engouffrait dans le puits de mine, quelques dixièmes de seconde seulement avant son frère, qui fut entraîné à son tour dans la bouche noire.
Comment chutèrent-ils sans se tuer tous les deux? C'est un mystère car ils heurtèrent de multiples fois les parois du gouffre avant de s'écraser tous les deux au fond.
George fut le premier à recouvrer ses esprits et tâtonna aussitôt autour de lui, ses yeux s'habituant péniblement à l'obscurité.
- Fred ?
En ouvrant la bouche, il avala de la poussière épaisse, âcre qu'il recracha aussitôt bruyamment. Seul le petit disque de lumière au-dessus de sa tête lui donnait une idée de la profondeur du puits. Pour l'instant, il n'y voyait rien et tenta de ne pas céder à la panique. Ce n'est qu'une mauvaise blague, se dit-il, peu convaincu. Il faisait si sombre ici, ses pupilles insuffisamment dilatées ne percevaient aucun mouvement. Et il y avait cette odeur...
- Fred ! répéta-t-il un peu plus fort.
- Je suis là !
Intensément soulagé d'entendre la voix de son frère, George rampa prudemment vers la source du son. Il n'osait pas encore se mettre debout. Fred, quant à lui, était encore un peu groggy et resta allongé au sol. Il comprit aussitôt, alors qu'il fixait le disque lumineux au-dessus de lui, que la magie lui avait sauvé la vie. Sinon, par quel miracle auraient-ils réchappé à cette longue chute ? A neuf ans, les jumeaux Weasley avaient certes montré depuis longtemps leur aptitude magique, mais ils en usaient surtout pour jouer des tours au reste de la famille...
George arriva à hauteur de son frère et l'aida à se redresser. Le contact familier leur redonna à tous les deux un peu de courage. Tant bien que mal, ils se mirent debout. Etrangement, ils ne ressentaient aucune douleur.
- Faut qu'on sorte d'ici, dit soudain Fred après un court instant de silence.
- Oui, approuva George. Tu sens ça ? Ca pue encore plus fort que chez Tante Muriel.
Ils éclatèrent d'un rire nerveux, qui se répercuta autour d'eux, le son ricochant contre les parois. Peu leur importait à cet instant précis. Ils avaient besoin de relâcher la pression, par l'humour.
- Et si on allait par là ? suggéra George, en pointant du doigt une galerie dont émanait une faible lueur.
- De toute façon, ce n'est pas par en haut qu'on pourra sortir... approuva son jumeau en jetant un regard sombre à l'ouverture du puits de mine.
Alors, ils s'engagèrent dans cette direction, s'efforçant d'ignorer cette odeur de putréfaction qui les prenait aux narines. De temps à autre, une toile d'araignée terminait sur leurs lèvres, voire leur langue quand ils avaient le malheur de vouloir parler à ce moment-là.
- Pouah ! recracha Fred. Mais imagine, on pourrait être en train de déguster ce délicieux rôti de veau...
Ils pouffèrent de rire, mais leur malaise s'accrut malgré tout. Car si dans le puits, il faisait frais en cette chaude journée d'été, dans la galerie, la température glaciale leur arracha des frissons. Et les jumeaux ne portaient que la légère chemise immonde que leur mère les avait forcé à porter pour faire plaisir à Tante Muriel. Les deux enfants se serrèrent instinctivement l'un contre l'autre, alors qu'ils progressaient à l'intérieur de la galerie. La petite lueur vacillante qu'ils voyaient était leur meilleur espoir. Et s'il y avait un ascenseur là-bas ? Ou au moins quelqu'un ?
Il n'y voyaient pas grand chose, il faisait si froid et l'odeur les prenait de plus à plus à la gorge, leur donnant envie de vomir. Les chemises ramenées sur le nez, ils s'obstinaient pourtant. Il en allait de leur précieuse liberté. Et surtout, ils n'avaient aucune envie que leur mère les retrouve ici, noirs de suie, prête à leur faire la remontrance du siècle.
Il leur sembla, à juste titre peut-être, que leur progression durait une éternité. Pourtant ils durent se rendre à l'évidence : ils étaient coincés. La galerie semblait serpenter sans fin, sans qu'ils ne trouvent jamais la source de l'étrange lueur. Et il était d'ailleurs bien étrange qu'elle leur parvienne, au vu de la profondeur et la distance.
- Tu ne crois pas qu'on devrait faire demi-tour ? chuchota George, intimidé par le silence oppressant des lieux.
Mais Fred ne répondit pas. Il lui semblait avoir vu une ombre remuer un peu plus loin et il l'observait prudemment, soudain pétrifié par l'angoisse. La situation commençait à ne plus être drôle du tout...
- Tu crois que c'est... quelqu'un ? demanda encore George d'une toute petite voix.
Fred aurait voulu l'espérer, et d'ailleurs il lui semblait bien apercevoir une silhouette humanoïde qui se mouvait quelque-part par là-bas.
Il n'empêche que cela sentait mauvais et ce, dans tous les sens du terme. C'était comme une odeur de cadavre en putréfaction, comme si une autre personne infortunée avait subi le même sort qu'eux quelques jours ou quelques semaines auparavant.
A présent, il leur semblait même ouïr un léger bruit, un son grave, répétitif et morbide qui acheva de leur nouer l'estomac. Fred et George comprirent aussitôt, et en même temps leurs cheveux se dressèrent sur leur tête tandis qu'ils étaient pris d'un mouvement de recul.
On aurait dit le râle d'un mourant, succombant à une blessure mortelle, ce qui en soi ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose:
Cette galerie était habitée par des inferis.
- On recule... souffla Fred horrifié. Doucement et sans bruit.
Effet du vent qui s'engouffrait jusque dans cette galerie, simple effet de leur imagination ou danger réel? Difficile à savoir mais, soudain, le râle s'amplifia.
Fred et George hurlèrent en même temps et prirent leurs jambes à leur cou dans l'autre sens, courant à toute vitesse. Et dans leur fuite éperdue, il leur semblait bien entendre les cadavres animés se lancer à leurs trousses...
Aussi quelle ne fut pas leur terreur lorsque Fred qui courait devant heurta soudain de plein fouet une masse sombre. Tous les deux hurlèrent de plus belle jusqu'à ce que la voix froide d'un individu bien vivant les rabroue avec rudesse:
- Cessez ce cirque immédiatement.
Fred et George se turent aussitôt, intimidés, mais pas vraiment rassurés par la présence de leur sinistre interlocuteur qui les dévisageait avec froideur et sévérité. L'homme était encore jeune, plutôt grand mais maigre et anguleux avec un visage cireux et des yeux noirs au regard presque mort. Il était, de plus, vêtu d'une robe de sorcier noire très simple. Fred et George frissonnèrent, hésitant à considérer l'inconnu comme un allié ou comme un potentiel agresseur.
- On remonte, dit sèchement celui-ci en levant vers le ciel sa baguette magique. Immédiatement.
Le deux garçons hurlèrent à nouveau lorsqu'une forme noire et flottante obstrua soudain l'ouverture du puits, cependant cela ne dura qu'une seconde ou deux et, presque aussitôt, le bruit d'un lourd habit de tissus s'écrasant sur le sol dissipa leur frayeur.
Ce n'était qu'une cape, une ample et épaisse cape noire que l'individu avait probablement ôtée avant de descendre auprès d'eux. En trois coups de baguette et sans prononcer un mot, il la défroissa, la plia en deux et durcit le tissu, le rendant aussi inflexible qu'une planche de bois.
- Grimpez là-dessus, leur ordonna t-il. Je vais vous faire léviter. Et arrivés en haut, je ne veux pas vous voir bouger. Me suis-je bien fait comprendre ?
Fred et George hochèrent la tête et obéirent.
Lorsqu'ils débouchèrent du puits et que leur véhicule improvisé se posa sur la terre ferme, à distance raisonnable de l'ouverture, Fred et George n'osèrent pas remuer une oreille.
- Comment il va faire pour remonter, lui ? demanda George après quelques secondes.
Fred ne répondit pas mais, derrière lui, une voix féminine s'éleva soudain :
- Ce ne sera pas un problème pour lui, croyez-moi.
Les deux jumeaux se retournèrent d'un coup. A quelques mètres d'eux, la femme au panier remplis de papillons morts leur lançait un regard peu amène.
- Vous avez vraiment de la chance que je vous aie vus, leur dit-elle. Et surtout que mon fils ait immédiatement su où vous chercher quand votre famille a donné l'alerte.
- En fait, répliqua l'homme derrière eux. Je crois qu'ils ont de la chance d'être vivants tout court... Il y a presque trente mètres de profondeur à ce puits de mine mal rebouché, et je ne parle même pas du reste...
Sa voix était toujours aussi sèche et froide, comme dénuée de toute émotion et cela contrastait fortement avec celles, intenses, que ressentaient les deux jumeaux.
Pour le reste, le soleil avait disparu depuis longtemps à l'horizon. Fred et George n'en menaient pas large et ils suivirent sans broncher l'inconnu jusqu'au manoir de Tante Muriel. Comme ils s'y attendaient, leur disparition n'était pas passée inaperçue. La silhouette intimidante de Tante Muriel se découpait dans la lumière crue qui émanait du couloir de l'entrée, tandis que Molly Weasley, à mi-chemin entre les larmes et la fureur, courait dans leur direction. Arrivée à leur hauteur, elle les prit dans ses bras brièvement, comme pour s'assurer qu'ils étaient bel et bien là.
- Mais qu'est-ce qui vous a pris, de disparaître comme ça ? les gronda-t-elle, pour faire bonne mesure.
Elle ajouta d'une voix gênée à l'adresse de l'inconnu :
- Merci beaucoup de nous les avoir ramenés, Monsieur..., je vous en suis tellement reconnaissante. Où les avez-vous trouvé ?
- Ma mère a entendu un de vos nombreux autres rejetons les appeler, c'est elle qui m'a prévenu, répondit-il d'un ton froid. Elle les avait vus vers les puits de mine. Il semblerait qu'ils soient tombés au fond.
Molly poussa un cri d'effroi et s'approcha de lui, dans l'intention de lui saisir le bras pour le remercier encore. Elle fut interrompue par Bill, qui les rejoignit à son tour. S'il semblait soulagé de revoir ses jeunes frères, il afficha un sourire gêné lorsqu'il reconnut l'homme qui les accompagnait.
- Professeur Rogue !
- A l'avenir, surveillez-les correctement, répliqua celui-ci toujours aussi sèchement. La prochaine fois, je ne serai probablement pas dans les parages.
Mrs Weasley, sous le choc, n'osa émettre aucun son. C'était inutile de toute manière. Le professeur Rogue lança un regard acéré en direction des jumeaux, puis sans un bruit, il s'éclipsa dans la nuit. La tante Muriel s'était approchée et brandit un index inquisiteur devant leurs visages.
- Bande de petits crétins congénitaux ! Tous les deux autant que vous êtes !
- Muriel... tenta Mr Weasley qui arrivait à son tour. Calmez-vous un peu je vous prie...
- Fous-moi la paix, Arthur ! répliqua la vieille femme en hurlant de plus belle. Par les bijoux de famille de Merlin et après des années d'éducation digne d'une famille de cochons sauvages drogués au vin des elfes... Des dégénérés! Voilà ce que ça donne!
- Ils se sont mis en danger, je sais, répliqua Arthur. Mais tout de même...
- Ces deux merdeux mériteraient qu'on leur tanne les fesses à coups de tisonnier, croyez-moi !
Pour la première fois, les jumeaux se contentèrent de baisser la tête et laisser passer la tempête. Cette fois, ils avaient dépassé les limites qu'ils avaient longtemps cherchées. Peut-être était-ce la raison pour laquelle ils refusèrent de raconter à quiconque ce qu'ils avaient vécu dans le puits. Jamais ils n'oublieraient ces heures passées dans le noir et la terreur qui les y avait saisis.
Fred et George échangèrent un regard où ils se promirent de ne jamais se mettre ce professeur à dos lorsqu'ils seraient à Poudlard. Non, jamais ils ne choisiraient le professeur Rogue pour cible lors de leurs nombreuses farces futures.
Or, songeaient-ils, alors que Potterveille remballait son matériel, c'était cette promesse qu'ils venaient précisément de briser.