La serre allait exploser.
Un mélange confus de feuilles, de brindilles, et de tiges géantes se pressait contre les parois transparentes, paillasses et matériel de botanique totalement engloutis par les nuances de vert. S’approchant, la Sorcière remarqua avec surprise du mouvement : les corps épais serpentaient contre le verre, grignotant les derniers espaces vides. Elle palpa ses poches et agrippa sa baguette, sentant l'urgence monter. La brûlure du faux Gallion était encore vive.
La porte grinça horriblement. Une liane la heurta de plein fouet. Se relevant aussitôt, Luna gratta la boue collée à ses lunettes et entra, déterminée. Par Rowena, rien ne l'arrêterait s’il était en danger !
« Neville ? » lança-t-elle à la masse végétale.
Les lianes obstruaient-elles le son comme la vision ?
« Neville, tu m'entends ?
— O-oui ! répondit-il finalement, le souffle court. Je suis là ! Ginny est avec moi !
— Ginny aussi ?
— Longue histoire, commenta sobrement une troisième voix.
— Ne bougez pas !
— Comme si on pouvait ! »
Tête la première, Luna s'enfonça dans la végétation. Deux lianes s'enroulèrent immédiatement autour de ses chevilles, la clouant au sol. Elle inspira calmement, humant les parfums emmêlés de la serre, et sentit la terre et l’humidité lui monter au nez en même temps que la pression exercée sur son corps diminuait. Glissant les pieds hors du piège, elle reprit sa progression, caressant paisiblement les lianes qui roulaient contre sa peau. Par moments, elles s'insinuaient dans ses oreilles, à la naissance de ses narines, aux commissures de ses lèvres... Luna laissait faire ; moins elle y opposerait de résistance, plus elles se détendraient. Et puis elle n'avait jamais goûté un Filet du Diable. C'était… tout à fait singulier ! Entre la sucrosité du chou rouge et le goût terreux de la pomme de terre. En d'autres circonstances, elle aurait pu savourer.
À mesure qu'elle progressait, de lianes en lianes, elle discernait de plus en plus des corps, distinguait de mieux en mieux des éclats de voix...
« Raffermissez la poigne sur votre glaive, jeunes gens ! Sans quoi, elle signera elle-même votre trépas !
— Quand est-ce qu'il va se taire… » gémit Ginny.
Alternant mouvements lents et pauses, Luna parvint à se faufiler jusqu’au centre de la serre malgré l’amas qui se resserrait. Elle dut enjamber un bureau renversé, puis sauter par-dessus une jarre fendue, d’où s’échappaient des nuées de Botrucs. Ils se pressaient de grimper aux lianes, agiles sur leurs pattes de brindilles.
« Enfer et damnation, voici les défenseurs de la forêt qui se rebellent ! Craignez pour vos vies, pauvres malheureux !
— Imbécile ! Ils protègent les arbres, pas les…
— À qui parles-tu, Ginny ?
— Un vieux manuel poussiéreux que Chourave aurait mieux fait de donner en pâture au Basilic ! Oui, Monsieur le Sorcier illustré à la main gauche, inutile de vous offusquer ! »
La blonde n'avait d'yeux que pour les Botrucs qui escaladèrent soudain sa robe, s’emmêlèrent dans ses cheveux, vinrent se percher sur ses lunettes ; elle en saisit un du bout des doigts. La créature étendit son bras squelettique pour pincer Luna, qui le considéra par-dessus ses verres rose et bleu :
« Vous ne voudriez pas m’aider à remettre de l’ordre ici, Monsieur Botruc ?
— Vous truandaille, à traiter avec l’ennemi ! Faites-lui donc déguster la pointe de votre baguette, boursemolle que vous êtes !
— Neville, poursuivit-elle en reposant le petit être sur une feuille, je crois qu'un Filet du Diable craint la lumi… PAR TOUS LES JONCHERUINES ! »
Le végétal était revenu à l’assaut. Le mot "lumière" avait dû sonner comme une menace. Comprenait-il ce qu'elle disait ?
« P-pardon, renifla Neville. C’est une espèce… rare… un dérivé du Filet. La lumière ne l'effraie pas… »
La culture semblait prendre racine devant le bureau professoral. Se mouvoir était de plus en plus pénible, si bien qu’elle se retrouva bientôt à escalader les lianes, calant ses pieds dans les moindres recoins pour les retirer vite avant qu'ils ne soient écrasés par leurs mouvements reptiliens. Ses mains blanchissaient autour des tiges robustes. L’humidité l’enivrait, ainsi qu'une étrange note artificielle... Des potions ? Elle en aurait coupé la barbe de Merlin !
« Neville, qu’as-tu essayé de faire ?
— Je plaide coupable, intervint Ginny. J’ai...
— Vermine ! Vipère ! CHIABRENA PUTRIDE ! Nigau...
— La ferme, la ferme ! Par pitié Luna, ferme cet affreux bouquin ! »
Luna se propulsa du mieux qu’elle put et atterrit enfin, vacillante, sur l’estrade. Elle rabattit l'ouvrage si fort qu'un nuage de poussière s'envola dans ses sinus. Clignant des yeux, redressant ses lunettes un peu tordues par l’épreuve, elle crut défaillir en relevant la tête.
Les lianes glissaient les unes contre les autres ; d’un sac éventré, elles couraient sur les poutres apparentes, s'y tressant étroitement, se rejoignant au plafond en une voûte majestueuse. Un dôme vert et brun enveloppait tout l’avant de la serre. Au bout, Neville et Ginny, pendus l'un par la taille, l'autre par les pieds, échevelés et rougis.
« Qu'avez-vous fait ? répéta la Serdaigle avec un flegme imperturbable.
— Une petite expérience de rien du t…
— On l’a arrosé avec une potion d'Enflure.
— Vous avez QUOI ?! »
Et il en fallait, pour choquer Luna.
« On a juste pensé…
— On n'a pas pensé en fait.
— Il nous faudrait un philtre Dégonflant… murmura la Serdaigle.
— On n'a pas le temps pour l'antidote, Luna ! »
Elle sentit une liane effleurer son cou. Instinctivement, elle répondit par une caresse. Ce Filet du Diable — ou quoi que ce puisse être — ne leur voulait pas de mal. Depuis qu'elle était dans la serre, il ne cessait de lui glisser dans le creux de l'oreille qu'il souffrait. Il n'avait été menaçant que lorsqu'elle l'avait elle-même été.
« Alors dites-lui que vous êtes désolés. Parfois, des excuses sincères peuvent être le meilleur des remèdes à nos maux.
— Pardon… » grommela la rousse.
Les lianes ne bougèrent pas.
« Cher Filet, commença Neville en s'étranglant à moitié dans sa propre salive. Mon amie et moi-même tenons à vous… présenter nos excuses. »
Le dôme commençait légèrement à s'affaisser, quelques tentacules végétales se désolidarisant de l'ensemble.
« Mes amis n'imaginaient pas que leurs expériences conduiraient à une telle situation, continua Luna. Vous devez désormais vous sentir bien à l'étroit dans cette serre, Monsieur le Filet... Nous en sommes sincèrement désolés. Donnez-nous l'opportunité de réparer notre erreur. Libérez mes amis et nous élaborerons l'antidote… »
La plante se remit en mouvement. Les têtes de Neville et Ginny se rapprochèrent doucement du sol et bientôt leurs deux corps se retrouvèrent étendus et libres. Le soulagement les étreignit tous. Enfin, ils respiraient de nouveau.
« Mille mercis, Luna.
— Tu nous as peut-être sauvé la vie. Et la sienne aussi. »
Neville pointait du doigt le Filet du Diable qui se terrait désormais dans un coin de la serre, dans l'attente de l'antidote promis.
« C'est à ça que servent les amis, avança-t-elle avec un sourire et philosophie. Quand tout va mal, vous pouvez toujours vous raccrocher aux lianes de l'amitié. »
Bonjour à tous et à toutes ! Ceci est un OS écrit à quatre mains, avec la formidable Ella C (ou Ella Cépoint comme je l'appelle affectueusement), pour la première épreuve de confort (textes fanfiction) de Koh-Lant'HPF. Pour cette première épreuve, nous défendons donc les couleurs de l'équipe jaune !
Thème choisi : De lianes en lianes
Contraintes : - Endurance (3) : Texte de pile 1200 mots (sur la base de ce compteur) - Langage (2) : Un personnage doit s'exprimer dans un langage soutenu - Sensibilité (3) : Insérer au moins trois verbes de chaque sens (cf. notes de fin) - Sentimentalisme (2) : Insérer au moins trois sentiments différents (cf. notes de fin) Par ailleurs, Ella étant traductrice, elle s'est vu imposer : - 1 mot obligatoire : culture - 8 mots interdits : décoder, planifier, énigme, se concentrer, transcrire, langue, code, polyglotte
Sentiments successifs : 1. Surprise 2. Détermination 3. Choc 4. Soulagement
Verbes :
- ouïe : grincer, entendre, distinguer
- vue : remarquer, discerner, considérer
- goût : goûter, savourer, déguster
- toucher : palper, agripper, heurter
- odorat : humer, sentir, enivrer
Merci pour votre lecture. N'hésitez pas à lire les autres textes du concours (de l'équipe jaune comme de l'équipe rouge, on est bonnes joueuses). Et pensez à laisser une petite review pour nous dire ce que vous en avez pensé !