Le temps commençait à devenir singulièrement froid à Poudlard. Pourtant, l’atmosphère n’avait jamais paru à Cho aussi bouillante ! Son amie Marietta n’avait pas manqué de lui faire remarquer que Harry Potter (que pas mal de Serdaigles appelaient maintenant le tricheur de Poudlard) la regardait avec une insistance béate…
« C’est toi qu’il va inviter au Bal de Noël, c’est sûr ! » s’esclaffait Marietta d’une voix que l’excitation faisait monter dans les aigus »
Cho sentait ses joues virer au cramoisi et préférait encore baisser le nez dans son écharpe des Tornades de Tutshill !
« Hey, salut Chang ! s’exclama Roger Davies, un garçon charismatique et séduisant qui jouait dans l’équipe de quidditch de Serdaigle. Tu ne dis plus bonjour à ton capitaine ? »
Cho s’excusa de son habituelle voix douce et polie, mais le visage de Roger se vida instantanément de ses couleurs…
« Euh… Je suis vraiment désolée de ne pas t’avoir vu, Roger… recommença à se justifier la jeune fille avant de remarquer que son camarade ne la regardait plus. »
La bouche entrouverte, les yeux ronds, le jeune homme fixait quelque chose derrière l’épaule de son interlocutrice. Une apparition sans doute, car son visage exprimait à présent un bonheur extatique et, en même temps, une douloureuse désillusion !
Cho se retourna et eut seulement le temps d’apercevoir un drapé de soie bleu clair qui voltigeait avec grâce sous une étincelante chevelure d’un blond argenté…
Fleur Delacour, évidemment ! La championne de Beaubâton n’avait qu’à passer dans le couloir pour que tous les garçons oublient de respirer ! Sincèrement, Cho commençait à croire que ce serait plutôt elle que Harry Potter aurait l’idée d’inviter au bal ! Ce serait facile pour lui : les champions devaient avoir entre eux des dizaines de réunions préparatoires… En tout cas, quand Cédric Diggory (que pas mal de Serdaigles appelaient maintenant le vrai champion de Poudlard) se planta devant elle à la porte de sa salle commune, Cho se demanda franchement ce qu’il fabriquait !
Le Poufsouffle passait d’un pied sur l’autre comme si des braises ardentes lui chauffaient la plante de pieds !
« Il y a un problème… ? s’enquit Cho avec patience tandis que Cédric fronçait les sourcils, l’air à moitié pétrifié, à moitié nauséeux.
— Le bal… Le bal, tu sais ? fit-il d’une voix blanche. »
Cho se retourna, espérant pour une fois que Marietta la talonnait et pourrait lui venir en aide. Mais à sa grande horreur, elle aperçut Roger et Fleur Delacour qui discutaient d’un air très digne en arrivant côte à côte ! Il ne manquait plus qu'eux !
« Cho, reprit bravement Cédric Diggory sans parvenir à cacher le tremblement de ses lèvres. J’aimerais que tu m’accompagnes au bal de Noël car…car…car… »
Cho cherchait en vain le moyen d’aider Cédric à achever sa phrase quand elle entendit la voix délicate de Fleur indiquer avec précision à Roger de quelle façon il fallait qu’il lui embrasse le dos de la main pour prendre congé d’elle… C’est insensé ! commentait la française d’un ton indigné On ne vous apprend donc rien dans cette école ?!
Cho lança un nouveau regard derrière elle et découvrit que Roger s’inclinait du mieux qu’il pouvait devant la jeune femme. On ne pouvait qu’avoir pitié de ce pauvre Roger : Fleur était vraiment extraordinaire ! Cho s’appuya fébrilement contre le mur avec l’impression que la tour de Serdaigle s’était mise à vibrer sous ses pieds. Sans réfléchir, elle prit le bras de Cédric :
« Oui, ne t’inquiète pas, je t’accompagnerai au bal ! »
Cédric cessa immédiatement de balbutier et émit un bruit de déglutition digne des chasses d'eau des toilettes de Mimi Geignarde. Ce n’était visiblement pas la réponse dont il avait rêvée mais il se remit à respirer normalement et sourit d’un air penaud avant de s’en aller à grandes enjambées sans un mot !
Roger et Cho n’échangèrent pas une parole au sujet du bal et de leur cavalière et cavalier respectifs de toute la semaine. Depuis l’invitation de Cédric, Harry Potter et plusieurs autres élèves avaient proposé à Cho de lui servir de partenaire mais loin de la rassurer sur son potentiel de séduction, ces demandes commençaient à l’angoisser de plus en plus ! Marietta prétendait d’ailleurs qu’elle avait intérêt à s’entraîner si elle ne voulait pas avoir l’air d’une poule godiche et endimanchée parmi les champions. En particulier à côté de la divine Fleur Delacour !
« Merci pour ton soutien… soupira Cho au terme d’une énième conversation à ce sujet. »
Marietta sembla réaliser l’impertinence de sa remarque et s’efforça de proposer quelque chose de plus constructif :
« Ecoute, les Beaubaton déjeunent à notre table à tous les repas ! Pourquoi tu ne demanderais pas quelques conseils à Fleur ?
— Tu dis n’importe quoi ! Je n’ai pas l’intention de passer pour une cruche devant tous les Serdaigle ! Sans parler des français...
— Tu n’as qu’à lui demander à part ! rétorqua Marietta
— …si seulement Roger la lâchait une minute des yeux, je pourrais essayer ! »
Mais Cho se rendit rapidement compte que le plus difficile ne serait pas d’écarter Roger Davies ! Marietta s’en chargea d’ailleurs avec une efficacité remarquable, au moyen d’une potion de sommeil bien dosée. Non, ce fut en se pressant à la suite de la guirlande de camarades qui entouraient toujours la championne de Beaubâton que Cho éprouva les premières difficultés. Mais ce n’était encore rien en comparaison du désarroi qui s’abattit sur elle au moment glaçant où elle se retrouva enfin en tête à tête avec Fleur !
C’était peut-être ça que Cédric avait ressenti au moment de l’inviter au bal, songea furtivement Cho.
Mais c’était impossible ! Elle n’avait pas la beauté hypnotique de Fleur Delacour. Elle n’avait pas ce regard bleu glacial et pénétrant comme une lame d'acier, ce sourire à fendre l’âme, cette voix enchanteresse et déchirante qui vous empoignait les entrailles d’un seul mot…
« Hum-hum… toussota la française en levant un sourcil parfaitement dessiné »
L’impatience qui perlait dans son attitude ne suffisait pas à briser la délicieuse panique qui vous prenait à la gorge quand une fille pareille s’impatientait…
« Et si tu me disais ce que tu me veux, jeune demoiselle ? insista Fleur en agrémentant son accent français d’une touche de suffisance.
— Je, euh… hésita Cho, déroutée par la façon dont Fleur s’adressait à elle. »
Jeune demoiselle ?! Pourquoi pas petite écervelée ?! Paradoxalement, une telle hauteur donna à Cho l’aplomb de parler avec la franchise la plus directe :
« Je voudrais que tu me donnes quelques conseils pour le bal de Noël, déclara-t-elle gentiment mais en croisant les bras dans une attitude de défi »
Les yeux de Fleur s’arrondirent d’une manière aussi inédite qu’incongrue ! Sa bouche se froissa étrangement et l’espace d’un instant, Cho crut qu’elle allait lui rétorquer que c’était une demande insensée ! Mais une moue franchement amusée s’épanouit au contraire sur les lèvres de Fleur. Un éclat de surprise s’échappa de sa gorge avant qu’elle ne cache sa bouche dans le creux de sa main !
« Oh, je vois… C’est d’accord, annonça-t-elle enfin. »
Cho resta soufflée par cette réponse et eut toutes les peines du monde à affirmer qu’elle se débrouillerait pour réserver la classe de Sortilèges auprès de Flitwick, le lendemain entre la fin des cours et le dîner.
En faisant le récit de ce surprenant échange à Marietta, Cho put réellement mesurer le gouffre qui s’était creusé entre ses impressions au sujet de Fleur le matin-même, et l’idée qu’elle se faisait maintenant d’elle… Ce soir-là, les conversations de la salle commune lui parurent lointaines. En comparaison, les quelques phrases échangées avec Fleur sonnaient comme des déclarations d’une indescriptible noblesse, infiniment supérieures… C’était simple, elle ne se serait pas sentie plus honorée si elle avait pris le thé avec Merlin en personne ! Et le rendez-vous du lendemain soir lui sembla tout à coup mille fois plus digne d’intérêt que le bal lui-même…
Fleur entra à la suite de Cho dans une pièce étonnamment vaste. Un bureau trônait sur une estrade mais toutes les autres tables avaient été repoussées contre le mur du fond. Cho Chang avait l’air détendue comme l’étaient tous les élèves de Poudlard. Elle ne semblait pas se soucier le moins du monde de l’image qu’elle véhiculait… Autant de décontraction dans une école, c’était tout simplement insensé ! Mais puisqu’elle s’était engagée à l’aider, Fleur prit une minute pour observer plus attentivement son interlocutrice. Elle avait un joli visage, une peau parfaite, le teint légèrement cuivré et ses yeux noirs et bridés pétillaient d’un éclat mystérieux.
« Avec qui vas-tu au bal ? demanda Fleur d’un ton faussement léger.
— Avec Cédric. Cédric Diggory, lâcha Cho comme si elle n’y croyait pas vraiment elle-même »
Fleur joignit les mains dans un geste qui convenait mieux à un congrès magique international qu’à une conversation informelle entre deux jeunes filles… Elle aurait voulu dire quelque chose de sympathique. Quelque chose de cool !
« Moi, j’y vais avec un de tes petit-amis : Roger Davies, fit-elle en adoptant un air désinvolte.
— Roger n’est pas mon petit-ami ! s’étrangla Cho. Je n’ai aucun petit-ami !
— Il m’a dit que vous étiez amis… trancha Fleur en retrouvant instantanément sa mine grave et sa voix glaciale. »
Cho éclata d’un rire bref avant d’expliquer à Fleur qu’il valait mieux qu’elle n’utilise pas l’adjectif petit avec ami si elle voulait éviter les malentendus !
« Finalement, on dirait que c’est toi qui vas me donner des conseils ! déclara Fleur en passant une main dans ses longs cheveux dorés »
Ce geste apparemment anodin apprit à Cho qu’il n’en serait rien ! L’effet qu’il provoquait chez le commun des mortels prouvait bien qu’elle n’avait rien à apprendre de personne pour ce qui était de garder sa contenance en toute circonstances.
Fleur n’avait même pas l’air de le faire exprès ! Elle n’avait même pas l’air d’y penser !
« Alors, tu voulais des conseils… ? essaya Fleur un peu abruptement »
Au fond, elle savait que l’aura qui se dégageait de son corps n’avait rien à voir avec elle-même, avec ses propres-compétences. Du moins, ç’avait toujours été comme ça, elle n’y était absolument pour rien. Qu’allait-elle bien pouvoir enseigner à cette inconnue qui avait l’air de la croire bien plus savante et avisée qu’elle ne l’était véritablement… ?
Cho Chang esquissa un sourire doux. Elle avoua qu’elle n’avait pas la moindre connaissance en matière de bal, de soirée, et de tout ce qu’on avait à faire en de telles occasions.
« Eh bien, fit gravement Fleur, le plus important, je crois que c’est la robe…
— La…la robe ?! risqua Cho en suivant des yeux la silhouette longiligne de son interlocutrice »
Evidemment, avec un corps aussi parfait, on avait l’embarras du choix ! Cho songea à la coupe de sa tenue de soirée. Le tissu en mousseline, la teinte pastel censée mettre en valeur la couleur ambrée de sa peau… Pourquoi n’avait-elle pas mis sa robe ce soir ?! Elle aurait eu l’air moins brouillonne que dans son jean délavé et son pull à l’écusson de sa maison ! Sans parler de cette stupide écharpes des tornades de Tutshill qu’elle s’empressa d’arracher de ses épaules et de faire disparaitre dans son sac !
Fleur sourit à son tour et jugea qu’il était temps de se montrer à la hauteur des circonstances…