Teddy Lupin-Tonks-Potter s'était toujours considéré comme un garçon libre. C'est là le privilège des orphelins : la pitié, la compassion puis l'indulgence ; la complaisance, et enfin, l'anarchie. À l'âge de trois mois, plus aucun parent pour le réprimander. À onze ans, aucune voie toute tracée. À dix-sept ans, aucun gouvernement pour le Tracer.
Oui, Teddy Lupin-Tonks-Potter était un garçon libre. La preuve : il avait les cheveux bleus.
Teddy Lupin-Tonks-Potter avait donc embrassé la carrière d'artiste, que l'on dit être la plus affranchie des conventions d'une société bridée. Et il signait aujourd'hui sa plus belle œuvre.
Ce n'était pas la sienne, à l'origine. C'était un travail ancien de plusieurs siècles, presque sacré, indestructible. Mais tout le monde sait que seul l'art est sacré et qu'en ce domaine, il n'y a pas de plus beau geste que la destruction.
Il avait donc d'abord comblé les trous. Le visage ridé de la femme qui l'avait élevé avait fait ses retrouvailles avec ses deux voisines étrangement candides. Il avait également dessiné un chien noir. Le cracmol, il l'avait fait de toutes les couleurs. Il ressemblait à une femme. La femme du traitre à son sang était rousse. La marque roussie du généreux donateur était un simple chapeau. Il n'aurait su dire pourquoi.
Puis il avait métamorphosé les ancêtres. Cette fois, cela s'apparentait un peu plus à du vandalisme, et cela lui avait procuré un certain sentiment de satisfaction. Des choses très enfantines, à vrai dire. Des moustaches, des oreilles de troll, des dents de lapin. Il avait beaucoup ri.
Il avait terminé en rallongeant les branches. Ça, il l'avait commencé il y a des années. On l'avait laissé dans cette pièce, et comme tous les enfants, il avait dessiné sur la première surface à disposition. Il ne lui restait donc plus qu'à ajouter ses cheveux bleus au Teddy en bâtons. Mais il avait aussi fallu ajouter les bois intermédiaires. Tonks était une guerrière si effrontée que c'en devenait presque indécent. Lupin était un loup. Teddy Lupin-Tonks-Potter n'était pas un artiste très inventif.
Tout était dans le geste.
Une fois son œuvre achevée, il l'avait contemplée, une cigarette entre les lèvres. C'était beau. C'était intelligent. Pourquoi personne n'avait-il jamais songé à cela ? Comme si un simple maléfice de Glue Perpétuelle pouvait fixer l'éternité. Rien ne restait. Il fallait juste un peu de liberté. Teddy comprenait qu'il s'agissait d'un luxe auquel Sirius Black n'avait jamais accédé.
Il avait écrasé sa cigarette sur le parquet délavé par le soleil.
Puis il était sorti en y laissant toutes ses affaires et des fournitures de chez Weasley, Farces pour sorciers facétieux.
Dehors, il faisait nuit.
Huit pas plus tard, il faisait chaud.
Teddy ouvrit grand les poumons, comme tenté d'aspirer le souffle de l'explosion. Il se contenta cependant de se retourner pour admirer une dernière fois son œuvre.
Entre le 11 et le 13 du Square Grimmaurd, il n'y avait pas de 12 ; car le 11 et le 13 du Square Grimmaurd étaient parti avec lui. Les immeubles étaient éventrés, brûlants. Le rouge colorait le noir, des touches pourpres dansaient puis retombaient en cendres sur le béton. Ça sentait les Feuxfous Fuseboum et la peinture entêtante. Il inspira en souriant.
Dans les journaux du lendemain, le Directeur du Bureau des Aurors dut expliquer les raisons de l'explosion de l'ancienne demeure de son parrain. Il annonça la mort d'un vieil elfe de maison et des huit voisins moldus endormis. Un témoin raconta avoir vu un homme blond au long nez admirer le brasier. Nul ne fit le lien entre la peinture retrouvée sur les lieux du sinistre, et celle des incendies du Manoir Malfoy et de la prison d'Azkaban.
Teddy a les cheveux bleus, et parfois blonds, bruns, noirs, roux la nuit. Il étend son œuvre partout où la justice le réclame.
Car Teddy Lupin-Tonks-Potter a compris la leçon.
La liberté exige des sacrifices.