Sweet Monster - Chapitre I
Parvati, les mains serrées sur un parchemin froissé, suivait un vieux mur de pierre nappé de mousse verte et brune et de feuilles rousses ; des arbres tordus et chamarrés par les couleurs de l'automne l'abritaient encore des quelques gouttes de pluie échappant au trop plein de gros nuages noirs qui bouchaient le ciel.
Peut-être un mile plus loin, niché au bas de la colline le long de laquelle descendait la jeune femme, se trouvait un cottage de pierre grise probablement aussi ancien que le muret lui-même ; la lumière rouge d'un feu de bois faisait joyeusement clignoter les fenêtres et laissait un panache de fumée blanche s'échapper d'une cheminée un rien tordue.
Parvati se mordilla la lèvre inférieure, les yeux fixés sur la petite maison. Elle n'aurait jamais pensé retrouver le professeur Lupin dans un endroit aussi bucolique. Sauvage et éloigné de tout, certes, mais doté d'un charme infini. Le ciel gronda, la poussant à accélérer le pas ; à la réflexion le cottage ressemblait à son ancien professeur : sobre, gris, simultanément solide et au bord de la ruine. Son cœur cognait dans sa poitrine, alors qu'elle se remémorait toutes les questions qu'elle avait besoin de poser, tout ce qu'elle avait prévu de dire, jusqu'à sa façon de le saluer. Devrait-elle le tutoyer, le vouvoyer ? N'avait-elle pas outrepassé une frontière invisible en le contactant, qui plus est sur un sujet aussi personnel ?
Le ciel s'ouvrit subitement avec un formidablement craquement, noyant dans le même coup ses doutes et ses émois alors qu'elle parcourait les derniers mètres qui la séparaient du cottage au pas de course, sous un fracassant torrent de perles de pluie.
Elle ne salua pas Remus Lupin avec le ton mesuré et les gestes raides qu'elle s'était imaginée adopter, l'averse, et l'envie d'en sortir, noyant instantanément toute idée d'une courtoisie aussi adéquate que raide. Son ancien professeur ouvrit la porte et s'effaça précipitamment pour la laisser passer dans un petit couloir sans lumière qui sentait le feu de bois, et lui enjoignit de vite le suivre dans le salon, où elle pourrait se sécher et se mettre à l'aise.
La pièce principale, seulement éclairée par le feu qui ronflait dans la cheminée, avait un plafond assez bas, dont les poutres apparentes gardaient la trace de vieilles frises effacées par le temps, et une longue fenêtre aux lourds volets de bois qui s'ouvraient sur un jardin disparaissant derrière un lourd rideau de pluie. Les meubles étaient massifs et anciens, et l'ensemble exsudait quelque chose de rustique, confortable et dépouillé. Parvati se sécha d'un coup de baguette mais accepta volontiers de prendre place dans le gros fauteuil lie-de-vin installé tout près de la grille en fer forgé qui entourait la cheminée.
-Merci beaucoup. Vous vivez dans un beau coin du monde !
-Un peu humide, répondit Lupin avec un sourire en s'installant face à elle. Il avait meilleure mine que dans son souvenir ; la robe bordeaux qu'il portait n'était pas élimée ni rapiécée et ses joues étaient moins creuses qu'autrefois. Mais ses cheveux se teintaient de sel et ses yeux bruns étaient toujours lourdement cernés. Pendant une fraction de seconde, Parvati fut troublée de constater qu'il sentait le miel et le citron ; elle ne s'était jamais souciée auparavant de son parfum.
A côté du fauteuil dans lequel Lupin s'était assis se trouvait un large berceau de bois noir, dans lequel son fils dormait profondément. Régulièrement, avec délicatesse et presque sans y penser, il caressait la tête où le ventre du bébé, sans que Parvati ne puisse déterminer si ce geste très doux rassurait l'homme ou l'enfant.
-Je peux vous offrir du thé avant que nous abordions le motif de votre visite, proposa-t-il. La discussion ne sera pas facile.
La jeune femme hocha la tête, la gorge soudain sèche, et il fit apparaître un service à thé bleu et blanc et tout à fait dépareillé sur deux petits plateaux qui restèrent suspendus dans les airs à côté de chacun d'eux, à hauteur parfaite pour y poser leurs tasses. L'odeur du rooibos, que, pourtant, elle adorait, n’apaisa pas Parvati pour autant.
-Merci de bien vouloir me parler. Je ne sais pas par où commencer, dit-elle enfin. Je... J'ai peur de poser des questions stupides, ou de vous blesser.
-Parler de ma lycanthropie est infiniment plus facile avec quelqu'un qui cherche à bien faire, et à comprendre, que maintes des discussions que j'ai pu avoir dans le passé Miss Patil. Vous cherchez à aider votre amie, Miss Brown ?
-Oui.
Parvati baissa le nez vers sa tasse de thé, dans l'ambre duquel les flammes se reflétaient. Les yeux perdus dans le lointain, elle réfléchissait.
-Je ne savais pas comment faire, comment réagir lorsque ça a été confirmé. Je voulais être là, je ne voulais pas qu'elle croit une seule seconde que ça changerait quoi que ce soit entre nous, mais je ne voulais pas non plus avoir les mauvaises réactions, et j'ai fini par ne plus avoir de réactions du tout. J'étais... muette, pétrifiée. Elle aurait pu parler à une statue, ça aurait été la même chose. Je lui tenais la main, et je hochais la tête. C'est tout.
-Parfois, c'est suffisant.
Parvati secoua la tête.
-Pas pour moi. Elle mérite mieux. Elle mérite plus.
Quelques secondes de silence répondirent à Parvati, et dans le joyeux craquement du feu, il lui semblait entendre des cris. Les cris fantômes de la bataille. Remus laissa à Parvati le temps d'éteindre les échos de son esprit, comme s'il les avait entendus lui aussi.
-Je veux... je veux savoir ce qu'elle vit, je veux le comprendre aussi bien que possible pour quelqu'un qui n'est pas lycanthrope. Si elle se pose de questions, je ne veux pas simplement lui dire « je ne sais pas, tu penses quoi toi, au fond de toi ? » Je veux pouvoir lui offrir des peut-être, des possibles, des éléments de réflexions. Est-ce que ça va changer qui elle est ou est-ce que ça va accentuer quelque chose qu'elle était déjà ? Est-ce qu'elle va être sensible à la lune en fonction de son cycle en dehors de la pleine lune ? Est-ce qu'elle va aimer la viande rouge ? Avoir des pulsions plus animales ?
Remus eut un petit rire très doux, interrompant la spirale dans laquelle Parvati avait plongé ; et lorsqu'elle leva les yeux vers lui, elle constata avec un soulagement intense que le rire était sincère, et le rajeunissait presque ; elle avait peur d'avoir basculé dans le domaine du manque de tact le plus total en parlant de pulsions animales.
-C'est beaucoup de questions, et pour être honnête, je ne pense pas avoir de réponse précise pour chacune d'entre elles.
-Mais vous l'avez vécu. Avant de vous contacter, j'ai lu tout ce que j'ai pu, mais la recherche, ou le manque de recherche sur le sujet est... aberrant !
Remus hocha la tête avec l'expression de celui qui ne savait que trop bien le manque d'information disponible.
-J'ai trouvé plusieurs textes qui décrivent la transformation elle-même, mais c'est toujours très extérieur, et il n'y a presque rien sur le vie d'un loup-garou au sein d'une communauté sorcière. Enfin, si, il y a le livre de Gilderoy Lockhart, mais...
Parvati haussa les épaules avec une grimace.
-Je sais bien que ce sont des souvenirs volés à un autre, donc pas fictionnels ; mais ils me semblent tout de même extrêmement romancisés.
-Ce ne serait pas surprenant, approuva Remus en hochant la tête. Il existe quelques ouvrages que je peux vous recommander, certains sont très rares, et ce ne sont pas des lectures faciles. Je n'en ai pas fini certains. L'un des livres de référence sur l'expérience de la lycanthropie elle-même, ses effets physiques, est un document anonyme du milieu du 17ème siècle, en Italien. Il n'a été traduit en anglais que dans les années 70, et en grande partie censuré, parce que l'auteur, s'il exprimait ses peurs et son dégoût de lui-même, évoquait la transformation et les nuits du loup avec... une flamboyance qui est réputée pour ne pas laisser indifférent. L'ouvrage a longtemps été banni pour empêcher que de jeunes gens en quête d'identité ne cherchent à devenir loup-garou.
Parvati hocha la tête, son visage fin crispé en une expression concentrée qui était presque comique, en prenant des notes.
-Vous pensez que je pourrais le trouver dans la Réserve de Poudlard ?
-Oui. Il y a aussi les recherches d'un médecin russe du 19ème siècle dont l'épouse avait était mordue qui pourrait potentiellement vous intéresser, en particulier parce qu'il a été un des premiers à documenter un soutien moral envers un loup-garou.
-Ha oui, Dostoïevsky, comme l'auteur ! J'ai croisé la référence dans une thèse d'il y a une dizaine d'années que j'ai trouvée dans la bibliothèque de St Mangouste, mais impossible de mettre la main sur le livre !
-Je dois l'avoir quelque part dans ma bibliothèque, je peux vous le prêter.
-Oh merci beaucoup !
Parvati leva les yeux de ses notes, croisa le regard de son ancien professeur, et rougit imperceptiblement en ouvrant la bouche pour ajouter timidement :
-Je vous suis très reconnaissante que vous me donniez des pistes bibliographiques, mais... est-ce que vous pourriez me parler de vous ?
Teddy s'agita quelques secondes dans le berceau, sans se réveiller, soulevant les draps à la manière d'un minuscule fantôme.
Remus tourna le visage vers lui, posa la main sur le ventre de l'enfant qui se calma instantanément, trois petites bulles s'échappant de sa toute petite bouche. Parvati trouva quelque chose d'infiniment beau dans cette grosse pattoune brune qui recouvrait presque entièrement le bébé.
-Mon cas est très différent de celui de Miss Brown, répondit enfin Remus, le visage toujours tourné vers son fils, et plongé dans l'ombre. J'étais très jeune lorsque j'ai été mordu, je ne me rappelle presque pas d'une vie sans le loup. Sans compter que je ne sais pas si la lycanthropie affecte les femmes différemment. Je pense que le sujet est encore moins étudié que pour les hommes.
Un petit silence ponctué par le craquement du feu, les bruissements de la pluie et la joyeuse danse d'une rivière toute proche mais invisible succéda à ses paroles. Parvati ne l'interrompit pas ; elle avait tellement de questions qu'elle n'osait pas poser.
Remus tourna le visage vers elle, jouant distraitement avec les boucles fines des cheveux de son fils.
-Je vois ce que vous vouliez dire par statue, dit-il avec un sourire ; et la jeune femme réalisa qu'elle s'était raidie des pieds et à la tête et retenait sa respiration. Elle s'affaissa un peu, ouvrit la bouche, la referma, et laissa échapper un rire gêné.
-J'ai tellement peur de mal faire, articula-t-elle enfin. Je ne veux pas qu'elle croit que je la vois différemment.
-Peut-être que vous devriez. Admettre qu'elle est différente. Devenir loup-garou, c'est une réécriture profonde et totale de notre corps, et c'est très difficile, presque impossible, de se le ré approprier. Les traces que ça laisse dans l'âme sont... extrêmes. Je comprends, vraiment, votre détermination, à être un roc sur lequel Miss Brown pourrait s'appuyer alors qu'elle se cherche. Peut-être que vous avez besoin d'un autre angle d'approche. Dites-lui la vérité.
Parvati baissa la tête, vers ses notes, qui lui paraissaient maintenant bien vides.
-C'est une belle démarche de se renseigner, et de venir me trouver. Dites-moi maintenant, ce que vous pensez vraiment. Une fois que vous me l'aurez admis, ce sera sans doute plus simple de parler avec votre amie.
-J'ai peur, répondit Parvati, les yeux dans le vide. Je l'aime du fond du cœur, et j'ai peur de la perdre. J'ai peur de ne pas la comprendre, et que ça nous éloigne. Je me sens coupable, je sais que c'est la culpabilité du survivant, et que je ne devrais pas, que c'était une guerre, que c'était le bordel, mais je ne peux pas m'en empêcher, et je suis fatiguée d'essayer de me persuader que je ne ressens pas ce que je ressens mais je ne peux pas lui dire ça, parce que je ne veux pas en rajouter. J'ai peur qu'elle abandonne, parce qu'elle a toujours été si vive, Lavande. Si entière. Parfois ça me gênait presque, d'autres fois ça me fascinait. J'ai peur en ce moment que cette... façon d'être... la fasse basculer dans la dépression, et que je n'arrive pas à la rattraper. J'ai peur qu'elle se sente rejetée, j'ai peur qu'elle se rejette elle-même, et j'ai peur de ne pas être à la hauteur.
-C'est ce que vous devriez lui dire, répondit Remus avec beaucoup de douceur. Peut-être pas, je l'admet, ce qui concerne votre sentiment de culpabilité, et j'espère que quelqu'un est là pour vous répéter que ce n'est pas votre faute comme vous êtes là pour elle. En ce moment, pour Miss Brown, c'est un saut, absolument vertigineux, dans l'inconnu, et par conséquent pour vous aussi. Dites-le lui. Accompagnez-là. Lorsqu'elle aura besoin de solitude, laissez-lui cet espace, vous vous connaissez si bien je suis sûre que vous saurez quand vous effacer et quand insister.
-Merci Professeur.
-Je vous en prie, Miss Patil. Et je ne suis plus votre professeur depuis longtemps.
-C'est vrai, mais c'est un titre qui vous va bien, je trouve.
-C'est très flatteur, je vous remercie !
-Je peux vous demander... Comment c'est ? D'être loup-garou ?
Remus prit une longue inspiration, laissant son dos s'affaisser sur son fauteuil.
-Je suppose que ça dépend. Pas une transformation n'est la même, aucun loup et aucun homme ne se ressemblent. C'est douloureux. Enivrant... et dégoûtant. Une invasion perpétuelle, qui nous infeste au plus profond. Comme un virus, ou une maladie, mais un virus et une maladie aux charmes particuliers qui s'adapte à son porteur et auxquels il est difficile de résister.
-Le loup... Vous croyez, ou pensez, que c'est vous ? Ou c'est autre ?
Remus était parfaitement immobile ; il ne souriait plus, et si c'était le même visage, les mêmes yeux noisette, les mêmes cheveux poivre et sel, quelque chose avait changé. L'habituelle douceur s'était éteinte, remplacée par une intensité brûlante. Même son regard semblait plus précis.
-C'est moi, répondit-il d'une voix légèrement plus grave qu'à l'accoutumée. Indubitablement moi.
Parvati senti ses cheveux se dresser sur sa nuque.
Teddy s'agita un peu, et l'ombre passa alors que Remus se tournait derechef vers lui.
-C'est... différent de parler avec quelqu'un qui cherche à comprendre, reprit-il avec son habituelle douceur. J'ai eu la chance, dans mes années formatives, d'être accompagné. Pas toujours de la plus intelligente des façons, je l'admets facilement aujourd'hui. Mais j'avais trois amis aussi prêt à tout que vous, encore que dans un autre style que le votre, pour moi. Sans eux, ma vie... n'aurait peut-être pas duré aussi longtemps. Mais nous étions des adolescents, nous ne parlions pas. Et je n'en ai pas l'habitude. Ma lycanthropie, j'y ai beaucoup réfléchi, mais j'ai rarement eu à articuler ce que je pense, ou ressens. Si vous pouvez offrir ça à votre amie... Je pense que c'est important, et que ça peut faire une différence. N'hésitez pas à lui poser des questions. Et n'ayez pas peur de faire un faux pas. Il n'existe pas de faux pas qui ne soit rattrapable.
Après que Parvati se fut éclipsée, Remus s'appliqua à jouer à la perfection son rôle de père ; il s'imaginait qu'à force de le faire, il finirait par en être un pour de vrai. S'il aimait son fils du plus profond de ses entrailles, et que même au cœur de ses transformations l'idée d'un louveteau flottait quelque part dans son esprit animal, être là était une lutte permanente. Une lutte qu'Andromeda comprenait mieux que personne, quoi qu'elle n'en pipa jamais un mot, et surtout pas au concerné. Elle gardait souvent Teddy, parfois sans que Remus n'aie à le demander, comprenant à la moindre des intonations de son beau-fils l'état dans lequel il se trouvait, et offrant toujours de s'occuper du bébé. Mais jamais elle n'évoquait Tonks avec lui, ou sa lycanthropie, ou les innombrables pertes qu'ils avaient subies, et Remus s'était habitué à ce mutisme émotionnel. Il s'y retrouvait. Il l'avait pratiqué toute sa vie. Harry était toujours là aussi, bien sûr, mais c'était un écorché vif qui ne savait pas plus évoquer son mal-être que Remus et Andromeda ; et en réalité Remus ne l'aurait pas voulu autrement. Harry était là pour les cafés, et, de plus en plus, les bières, et les questions sur ses parents, sur Sirius, parfois, après beaucoup de bières. Harry lui demandait conseil pour ses études d'auror. Harry le faisait rire, l'attendrissait, devenant petit à petit un homme. Et puis il y avait tous les autres, les survivants. Kingsley, Minerva, Molly, d'autres professeurs ; mais s'il ne manquait pas de vie sociale, Remus se sentait de plus en plus seul, de plus en plus sombre, et de plus en plus replié sur lui-même. Sur les cendres qui pleuvaient constamment derrière ses yeux secs.
Aussi, Parvati, avec sa gueule d'enfant, ses yeux à la fois chargés d'innocence et d'horreur, sa candeur, l'avait profondément ébranlé. Elle lui demandait une aide qu'il voulait lui donner, parce que Remus ne savait pas rester impassible face à la souffrance, mais pour ce faire il fallait s'ouvrir ; s'arracher les tripes et les voir étinceler au soleil.
Assit face à la cheminée , il agita sa baguette sans mot dire et aussitôt un parfum de menthe, de citron et de sucre embauma la pièce, accompagné par le chant des moineaux au petit matin. Les nerfs en pelote, les yeux plongés dans l'âtre, il resta longtemps là, se concentrant sur sa respiration, sur les odeurs et les bruits qui l'aidaient à endormir le trop plein de sensations qui était son lot depuis sa morsure. Les épaules tremblantes mais les yeux secs, il pensait à Tonks. Il pensait toujours à Tonks. Une nuit plus noire et plus terrible que celle qui enveloppait le vieux cottage s'étendait dans sa poitrine, et le happa tout entier.
Le manque d'elle le faisait toujours hurler.