Tout s'oublie
Chacun avec sa peine
La locomotive rouge laissait déjà échapper de larges panaches de fumée, annonciateurs de leur départ proche. Sirius se laissa brièvement entraîner par l’étreinte de Mrs Potter, puis recula. Bien qu’il en crevât d’envie, il ne faisait pas partie de cette famille aimante qu’étaient les Potter. Il recula de trois pas, afin de laisser un peu d’intimité à James et ses parents. Son regard acier balaya la foule. Retourner à Poudlard pour la dernière fois lui laissait un goût doux-amer sur les lèvres. Il aimait le château plus que son propre foyer et le quitter serait un déchirement. Il soupira. Il n’était pas encore temps de penser aux adieux.
« Tu as trouvé Lunard et Queudver ?
— Non, ils sont certainement déjà à l’intérieur. Allons-y. »
James fendit alors la foule, avec un dernier geste d’adieu en direction de ses parents. Sirius lui emboîta le pas, un sourire fleurissant naturellement sur ses lèvres… jusqu’à ce qu’il croise un regard aussi orageux que le sien.
Regulus.
La culpabilité lui tordit aussitôt les entrailles, aussi vive et cinglante qu’un coup de fouet. Les yeux du jeune homme étaient accusateurs, luisant d’une haine qu’il ne lui avait jamais vue. Jamais Regulus ne l’avait regardé ainsi, jamais. Le Gryffondor eut un mouvement de recul, involontaire. La réaction de son frère le blessa plus qu’il ne l’avait imaginé. La déception, l’indifférence, la rancoeur même, tout cela, il connaissait. Mais cette colère sourde, froide, il ne l’avait jamais vue sur les traits habituellement altiers de son cadet.
Puis, il se ressaisit. Le dernier des Black était aussi pétri de préjugés que ses parents, Sirius ne lui devait rien. Strictement rien. Alors il esquissa un sourire narquois, hautain, sa carapace, son meilleur visage, celui pour lequel il était connu.
Le Serpentard fronça les sourcils, peu dupe. Sirius détourna le regard et reprit son chemin en direction de James qui l’attendait, interloqué. Celui-ci lui adressa une oeillade interrogatrice, mais le jeune Black secoua la tête en signe de dénégation. Il lui raconterait plus tard. Au milieu de cette foule, ce n’était pas le moment.
Soudain, il trébucha et s’étala, face contre terre. Refusant de céder à l’embarras, il éclata de rire et James détourna l’attention avec une pitrerie bienvenue. Il se releva péniblement, inspectant le sol derrière lui. Il n’y avait rien. Seul le sourire satisfait de Regulus au loin lui mit la puce à l’oreille. Ah, il voulait la jouer ainsi ? Très bien… Il ne perdait rien pour attendre. Guidé par la rage, il sortit sa baguette et la pointa discrètement dans la direction du Serpentard.
Mais le visage fermé de Regulus l’en dissuada. Il avait mérité ce maléfice de croche-pied. Malgré toutes ses justifications intérieures, il n’avait pas l’esprit en paix. En abandonnant une famille indésirable et indésirée, il avait laissé un frère derrière lui.
Que le temps nous reprenne
Les souvenirs d'un frère
Londres disparaissait progressivement, cédant la place aux pavillons de banlieue, encadrés de jardins proprets. Ces derniers fascinaient Regulus bien plus qu’à l’accoutumée. Il y avait quelque chose d’hypnotisant dans cette litanie conformiste. Même chez les Moldus, il existait un impératif d’ordre, de ressembler aux voisins.
« Black. »
La voix basse et mielleuse d’Evan Rosier eut pour effet immédiat de plonger le compartiment dans le silence. Rogue, près de la porte, se raidit imperceptiblement. Ce dernier n’avait jamais beaucoup apprécié le jeune Black, en raison certainement de son lien de parenté avec Sirius.
« Des nouvelles de ton frère ? »
Regulus ne répondit pas tout de suite. Il se tourna nonchalamment vers Rosier, qui le dévisageait avec attention, face à lui. Le ton glacial qu’il avait employé ne le trompait pas : il n’était pas question de plaisanter. Il ancra ses yeux gris, si semblables à ceux de son frère, dans le regard brun de Rosier. Il n’était pas question de se dérober. Sirius avait entaché le nom et l’honneur des Black. Il lui appartenait désormais de les restaurer. Avery, Wilkes et Rogue les observaient avec avidité, retenant leur souffle.
« Quel frère ? »
Un sourire en coin se dessina sur le visage de Rosier. L’atmosphère dans le compartiment s’allégea significativement. Regulus retourna à sa contemplation du paysage. Caché dans les plis de sa robe, son poing serré tremblait légèrement.
Il s’était préparé mentalement à son retour au quai 9 3/4, à leurs retrouvailles. Le jeune homme avait rejoué ad nauseam cette scène dans son esprit, afin d’imaginer toutes les scénarios possibles. Dans la plupart d’entre eux, Regulus abandonnait invariablement son frère à ses doutes et ses regrets, dans la plus froide indifférence. Il ne méritait rien d’autre. Mais ses belles résolutions avaient volé en éclat lorsqu’il avait aperçu le visage rieur de Sirius. La fureur s’était emparée de lui, à peine contrôlable, accompagnée d’une douloureuse pointe de jalousie. Il a déjà un frère, que t’étais-tu imaginé, Regulus ? Tu n’es rien pour lui.
Oui, bien qu’il préférerait mourir que de l’avouer, il aurait tant aimé que Sirius le regarde de la même manière qu’il regardait James Potter. Exaspéré contre lui-même, il repoussa cette pensée avec violence. Désormais, il était temps de mûrir.
Chacun avec sa peine
Que le temps nous apprenne
« Qu’est-ce que t’as, Patmol ? »
Le coup de coude que James lui donna lui arracha un cri de surprise. Les sourcils froncés, Sirius se massa les côtes endolories et lança un regard assassin à son meilleur ami. Il croisa les bras et se replongea dans ses pensées.
« Laisse tomber, Cornedrue », entendit-il Remus chuchoter.
Sirius se débattait avec ses émotions. Elles s’emmêlaient dans son esprit, vives et à l’état brut, le tiraillant entre tristesse, honte, colère et déni. Chaque seconde, son coeur empruntait cette montagne russe improbable dans laquelle l’avait embarqué le visage de Regulus. Pendant tout l’été, il s’était efforcé de ne pas penser à son cadet, se persuadant qu’il devait être heureux d’être à présent le fils unique, le dernier des Black. Mais cette haine dans ses yeux… A chaque fois qu’il les revoyait, son coeur se serrait avec une telle force qu’il en avait mal.
Mais que ressentait-il exactement ? Comment interprétait-il la fureur de Regulus ? Lui en voulait-il d’avoir sali le nom des Black ou de l’avoir abandonné, lui ? Il tentait désespérément de se convaincre que seul l’honneur de la famille comptait pour Regulus, auquel cas il n’avait aucune raison de s’en vouloir… Mais en son for intérieur, il savait qu’il n’y avait pas que ça.
Sa relation avec Regulus avait toujours été étrange, hésitante même. Vis-à-vis de son frère, il ne ressentait pas la même rancoeur que ses géniteurs éveillaient systématiquement en lui. Il conservait même des souvenirs heureux, pourtant teintés d’amertume, car le cadet désapprouvait régulièrement les actions de son aîné. Parfois, il réparait ses bêtises avant même qu’elles ne soient découvertes, dénotant une maturité ennuyeuse de sa part. Non, il n’avait rien en commun avec Regulus, même s’ils avaient pu, occasionnellement, être compagnons de jeux.
Il se tourna vers James, Remus et Peter, tous trois plongés dans un débat de la plus haute importance : comment allaient-ils pouvoir contribuer à la lutte contre Vous-Savez-Qui ? Sirius et James avaient pu rencontrer Fabian Prewett lors d’un repas chez les Potter durant l’été. La discussion avait rapidement tourné au débat politique et il avait laissé entendre qu’il connaissait des sorciers qui lui résistaient activement. Les deux compères n’avaient pas hésité une seconde et imploré Fabian d’arranger une rencontre.
La porte du compartiment s’ouvrit sur une jeune femme à l’abondante chevelure rousse. Le visage de James s’illumina aussitôt. Il se poussa aussitôt pour lui faire de la place à côté de lui.
« Ah Lily, viens donc t’assoir avec nous !
— Tu n’aurais pas oublié quelque chose par hasard, Potter ? » répondit-elle, visiblement agacée.
James ne se laissa pas démonter.
« Je surveillais ce compartiment, voyons Lily ! N’est-ce pas là que le risque de troubles à l’ordre public est le plus grand ? », répliqua-t-il, déclenchant l’hilarité de tous, y compris Sirius qui se dérida.
« Potter…
— D’accord, j’arrive. »
Et avec un clin d’oeil dans la direction des autres Maraudeurs, il s’éclipsa. Comment Sirius pouvait-il rester si longtemps maussade avec des compagnons comme ceux-là ? Regulus quitta finalement ses pensées.
À nous aimer
En frères
La nuit était tombée depuis longtemps lorsque le train ralentit en entrant en gare de Pré-au-Lard. Regulus attendit patiemment que ses voisins quittent le compartiment au compte-goutte, et observa la masse d’étudiants qui se déversait sur le quai.
« Vas-y, Wilkes, je dois juste échanger un mot avec Black. »
Evan Rosier ferma la porte et se tourna vers Regulus.
« Ecoute Reg, je t’aime bien, vraiment. Mais tu sais, le Seigneur des Ténèbres se pose des questions concernant ta famille… L’histoire avec le traître à son sang, tout ça. Ca laisse des traces.
— Il ne fait plus partie de la famille. Mon père a toujours assuré le Seigneur des Ténèbres de son soutien et cela n’a pas changé. »
Le septième année avança d’un pas et posa une main paternelle sur l’épaule de Regulus, qui fit un effort pour ne pas se dégager. Avec Rosier, il n’avait pas droit à l’erreur. Il savait parfaitement que son père faisait partie des proches les plus influents du Seigneur des Ténèbres.
« Je crois que nous ne nous sommes pas bien compris, Black », rétorqua-t-il en faisant glisser sa main vers l’avant-bras gauche de Regulus, qu’il serra doucement. Les mots ne suffisent plus. Il faut des actes maintenant. Une preuve de loyauté dont ta famille ne pourra se dédire.
Regulus n’exprima aucune émotion. Il ne s’était pas attendu à ça. Certes, il voulait agir pour le bien des sorciers, de sa famille, contre l’oppression opérée par les Moldus et leur engeance. Mais s’engager ? C’était pour des gens comme Sirius, pas des solitaires comme lui. Il hésita intérieurement, risqua un regard vers l’extérieur. A la lueur vacillante des lampadaires, il aperçut Sirius, le visage rieur comme à l’accoutumée. Inconscient, dans tous les sens du terme, de ce qu’il provoquait dans son sillage, il croquait la vie à pleines dents. Les traits de Regulus se durcirent.
« Ne t’inquiète pas. Je ferai ce qu’il faudra. »