1.
Andromeda, assise sur un banc, attend patiemment. Elle contemple les fleurs plantées près du portail, les nuages qui naviguent dans le ciel, les papillons qui viennent se poser sur les vieilles pierres avant de repartir. Plus loin, elle le sait sans les regarder, Molly est encore là, entourée d’enfants et de petits-enfants. Le sien, de petit-fils, vient de partir en transplanant, après lui avoir promis qu’il viendrait manger dimanche – comme toutes les semaines.
Molly est encore bien entourée, mais ses enfants et petits-enfants vont devoir retourner travailler, étudier ou vagabonder, eux aussi. Elle ne sera pas seule : Andromeda, sa vieille amie, sera là. Elle la raccompagnera au Terrier, qui paraîtra soudain beaucoup trop grand à sa propriétaire. Elle préparera le repas, sans que Molly ne proteste sérieusement. Elle restera avec elle jusqu’au soir, et peut-être passera-t-elle la nuit, en attendant qu’un Weasley prenne le relai.
Alors Andromeda attend.
Son regard se pose sur ses mains, croisées sur ses genoux. Comme elles sont ridées, ses mains.
Andromeda fait bien son âge. Elle pense à Ted, qui lui demandait sans cesse : « M’aimeras-tu toujours quand ma peau sera toute plissée ? » Elle ne répondait pas, se contentait de sourire ou de le traiter d’idiot. C’est elle, qui aurait dû poser la question. Elle ne pensait pas vivre aussi longtemps. Ce n’est pas une habitude familiale.
Pourtant Andromeda a vécu. Elle a vécu et elle vit toujours, malgré les pertes et les chagrins, malgré le temps et la fatigue.
Elle n’a cessé de penser à Ted, aujourd’hui. Elle y a pensé en s’habillant, elle y a pensé en transplanant, elle y a pensé en étreignant Molly. Elle y a pensé en voyant Teddy, qui ressemble tant à sa mère et son grand-père, mais qui a le sourire de son père. Elle y a pensé en traversant Loutry Sainte-Chaspoule au milieu des Weasley, comme si elle était l’une des leurs – ce qu’elle est peut-être, après tout.
Elle y a pensé lorsque le Mage de cérémonie a fait descendre le cercueil d’Arthur Weasley dans la terre où il repose désormais.
Elle y a pensé en voyant Molly s’effondrer dans les bras de sa fille en pleurant. Elle n’a pas pleuré, Andromeda, quand on a enterré Ted – l’éducation des Black est trop ancrée en elle. Mais le sentiment déchirant qui lui a transpercé le coeur, elle l’a vu ce jour sur le visage de Molly Weasley.
Alors Andromeda attend Molly, et espère qu’elle pourra lui apporter un peu de l’affection et du réconfort qui lui a tant manqué toutes ces années auparavant.
2.
Molly, assise dans son fauteuil en osier, attend impatiemment. Elle tricote mécaniquement, un ouvrage entre ses mains et trois autres flottant en l’air, contrôlés par sa baguette. L’odeur des fleurs et des foins coupés, l’odeur de l’été, embaume le jardin. La tonnelle que Ron leur – lui a installé l’été dernier procure une ombre rafraîchissante sous la chaleur de juillet. Autour d’elle, roses trémières, bleuets et pois de senteurs s’élancent gaiement vers le ciel. Au fond, les tournesols qu’Arthur avait insisté pour planter prennent le soleil. Les iris et les dahlias accompagnent le petit sentier pavé qui mène jusqu’à l’étang, et plus loin au portail.
Molly ne peut s’empêcher de jeter des coups d’œils en direction du portail. C’est par là qu’arrivera Andromeda. Elle aura transplané, sans doute – elle refuse d’arrêter, malgré son âge. Elle insiste : il lui faut continuer de transplaner pour ne pas s’embourber et vieillir prématurément.
Molly la comprend.
Mais parfois, depuis qu’Arthur n’est plus là, se lever lui semble si difficile, bouger encore plus, et transplaner n’en parlons pas. Parfois, elle est prise d’une frénésie d’activité qui ne s’arrête que quand elle a nettoyé toute la maison, refait tous les lits, et viré une dizaine de gnomes. Parfois, même le plus petit sort lui paraît hors de sa portée.
Depuis quelques temps, ces jours-là sont moins fréquents. Elle n’a pas forcément plus d’énergie, elle est juste… Moins fatiguée. Moins abattue. La douleur se fait plus sourde, peu à peu, elle le sent confusément. C’était pareil pour Fred : des mois, des années après, elle a senti le chagrin se faire moins vif, plus diffus – ce qui ne l’empêche pas de revenir brutalement, sans prévenir, certains jours, même après toutes ces années.
Mais Molly s’apaise, petit à petit.
C’est souvent le cas lorsqu’elle s’installe ainsi, à l’ombre de la tonnelle et des roses trémières, au fond du jardin, dans son fauteuil en osier. « Sa tanière », comme dit George ; Rose l’appelle sa « forteresse de solitude ». Percy affirme que « Papa aurait aimé te voir en profiter ainsi ».
Les fleurs, la tonnelle, les meubles en osier : tout ceci est une idée d’Arthur. Lorsqu’il a pris sa retraite, il a décidé qu’il en avait assez de passer son temps libre à bricoler dans le garage – et il a déclaré qu’il était temps de faire de ce terrain à moitié en friche un havre de paix « comme seuls savent faire les Anglais ».
Molly aimait bien son terrain en friche. Mais elle convient aisément que le jardin est encore plus agréable ainsi, d’autant qu’il a gardé l’aspect chaotique qu’elle aime tant. Du « chaos ordonné », comme disait Arthur.
C’est le deuxième été depuis qu’Arthur l’a quittée, et Molly sent enfin son cœur se reposer.
C’est venu comme ça, au début du printemps : elle s’est levée un matin, et c’est comme si le brouillard dans lequel elle vivait depuis deux ans s’était dissipé. C’est venu petit à petit, aussi : les moments de joie, en famille ou entre amis, font briller son quotidien bien plus que le chagrin ne le ternit. Elle a pris un peu de recul, Molly. Ce n’est plus son temps, c’est celui de ses enfants, de ses petits-enfants : elle les regarde exister, s’épanouir, trébucher, vivre, et cette vie la réjouit, cette vie la sort du brouillard.
Et puis il y a les doux moments où elle ne vit que pour et par elle-même. Comme ces après-midi qu’elle passe avec son amie. La compagnie d’Andromeda lui est précieuse : elles se comprennent. Aujourd’hui, son amie doit venir avec une tarte aux prunes. Et elle est en retard. Andromeda Tonks n’est jamais en retard. Alors Molly s’impatiente – c’est moins fatiguant que de s’inquiéter.
Heureusement, elle n’a pas le temps de laisser place à l’inquiétude. Un « crac » sonore se fait entendre de l’autre côté de la maison, et bientôt le pas lent mais assuré de son amie résonne sur les dalles inégales.