N’oublie pas : je ne suis qu’une poupée de porcelaine. Tu ne peux que me regarder de loin, et quand tes mains m’effleurent, tu me fêles.
C’est pour ça que lorsque ta bouche lourde se pose sur la mienne, celle amoureusement sculptée dans le marbre, lorsque ton corps chaud s’appuie contre le mien, j’ai peur. Tu ne vois donc rien : tu ne vois pas que tu es trop lourd, trop brûlant, trop vivant : et moi trop fragile. Je ne suis qu’une statue marmoréenne, sans sentiments, d’une glace qui fond et se fendille quand sans douceur tu poses tes mains sur moi. Tu souris, je frissonne : tu prends cela pour du désir. Je voudrais hurler : mais je n’ai jamais appris comment faire. Je n’ai appris qu’à être sage : et au milieu des fous je ferme les yeux, je marche sans hésiter, de ce pas si droit qui fait ma fierté. Je marche toujours sur la poutre qui mène à la mer, celle qui mène à la chute, tu sais. La terreur, je ne sais qu’en faire. Je ne suis pas là pour ressentir : je suis un automate bien remonté : je danse, je fais la révérence, je souris. Avant de me lancer dans le ballet des mensonges, on m’a simplement dit : Eblouis.
C’est ce que j’ai fait. C’est pour ça que tu m’as remarquée parmi toutes les autres, dans cette salle de bal. C’est pour ça que tu m’as invitée à danser, que l’anneau à mon doigt tu l’as glissé.
Je t’ai ébloui, et tu m’as voulu, alors tu m’as eu.
Tu es tellement belle, tu répétais encore et encore, souriant, comme si ton eau de toilette luxueuse pouvait cacher ton odeur de mort.
Je le vois bien, le sang sur tes chaussures, quand tu émerges de la nuit.
Je ne sais plus comment pleurer. J’ai des souvenirs flous d’une enfant dont les larmes coulaient sans s’arrêter, et Mère qui disait : Tu es laide, quand tu pleures. Laide à crever.
Tu caresses mes cheveux, maintenant, et mes hanches vont certainement se briser sous tes mains rudes, tes mains vulgaires, et alors tu te rendras compte de ton erreur. Je ne suis qu’une poupée, couverte de soie et de luxe, une poupée que tu as payé si cher, une poupée qui sourit, une poupée si jolie.
Je ne suis qu’une jolie poupée qui ferme les yeux en se demandant si on retrouvera mes éclats coupants quand tu me casseras.
C’est pour ça que lorsque tu me laisses des bleus sur ma peau qui marque si vite, et quand tu m’entraines dans les draps, j’ai peur. Mais ce n’est pas le pire.
Le pire, c’est quand tu me dis les mots. Les mots qui ne s’entendent pas. Et moi écrasée sur le matelas sous toi, moi bien raide et mutique, moi, Lucius, je meurs de peur quand tu me dis que tu m’aimes. Parce que ces mots là cassent encore plus que le reste. Et je ne suis qu’une poupée de porcelaine. C’est bien pour ça que tu me voulais, Lucius, n’est-ce pas ? Pour ça que tu voulais la jolie Narcissa.