Pourquoi diable l’avait-elle embrassé ?
Cho ouvrit le robinet d’une main tremblante. Elle savait que le bruit de l’eau couvrirait ses plaintes inarticulées et ses sanglots. Elle commençait à avoir l’habitude. L’art de pleurer dans les toilettes des filles n’avait plus franchement de secret pour elle. Elle entra dans la cabine la plus isolée de la pièce et, d’un coup de baguette, la verrouilla. Il était de notoriété publique que Cho Chang se déversait en larmes dans à peu près toutes les pièces du château, mais ce n’était pas pour autant qu’elle appréciait se donner gratuitement en spectacle. Surtout pour un si mauvais spectacle. Elle devait être totalement pathétique. Ils devaient tous la trouver ridicule.
Quelle idiote elle faisait. Elle se laissa tomber sur la cuvette et se prit la tête entre les mains.
Cela lui avait semblé être le bon moment, la bonne chose à faire : Harry était un gentil garçon, cela faisait plusieurs semaines qu’ils se rapprochaient et le gui était apparu alors… Cho ferma douloureusement les yeux. Comme si en pressant ses paupières l'une contre l'autre, d'un clin d'œil, elle avait pu s'annihiler. Loin de la soulager, ce baiser n’avait fait que nourrir davantage le malaise logé sous sa poitrine. Loin de la remplir de joie, il n’avait laissé derrière lui qu’un vide encore plus grand. Un vide qu’elle n’était pas sûre d’être un jour capable d’arriver à combler. Un gouffre, une béance sans fond. C’était peut-être ça le plus effrayant.
Elle avait aimé l’embrasser, alors pourquoi avait-elle l’impression tout à coup d’être si misérable, si détestable ? Elle se sentait impitoyable. Elle se sentait tourbillon. Elle se sentait engloutie. Elle se sentait engloutir tout sur son passage. Elle se sentait Charybde ; monstrueuse, vorace, éternelle insatisfaite. Elle recrachait tout. Elle vomissait le monde autant qu’elle voulait l’embrasser. Elle se sentait mal. Elle se sentait paradoxe. Elle se sentait bien. Tout se mélangeait. Elle s’était jetée à l’eau pour faire la lumière sur ses sentiments mais elle baignait désormais dans la plus totale des confusions.
Quelle idiote. Elle aimait bien Harry, pourtant.
La culpabilité, insidieuse lame de fond, était venue s’écraser sur elle à l’instant même où elle avait posé ses lèvres sur les siennes. Et c’était encore pire maintenant qu’elle était seule. Affleuraient désormais les larmes, qu'elle pouvait sentir se nicher dans les coins de ses yeux en petites perles de chagrin. Il y avait un an jour pour jour, Cedric l’embrassait pour la première fois. Il lui semblait que c’était hier. Ça lui semblait en même temps appartenir à une tout autre vie. Quel monstre d’égoïsme elle faisait ! Une autre vie ! Cela ne faisait pas six mois qu’il était parti qu’elle foulait déjà au pied sa mémoire en se jetant dans les bras de celui qui lui avait survécu. Quelques gouttes de douleur roulèrent sur ses joues, brûlant sa peau sur leur passage. Cedric ne reviendrait pas. Jamais. « Il vous faudra peut-être du temps, mais il faut commencer à vous faire à l’idée… » lui avait dit le psychomage. Elle avait commencé à se faire à l’idée… Alors pourquoi avait-elle caressé un instant cet espoir insensé qu’il serait là, accroché au bout de ses lèvres, lorsqu’elle rouvrirait les yeux ? Il n’y avait eu que cette déception. Cette énorme déception. Amère. Ces yeux verts. Les deux yeux qui lui avaient fait face étaient verts. Elle aurait voulu les lui arracher. Pouvait-on haïr à ce point une simple couleur ? Elle sanglota de plus belle. Elle était si injuste. Elle ne pouvait pas demander à Harry d’être un autre. C’était stupide, elle l'aimait tel qu’il était. Jamais elle ne lui aurait demandé de changer. Seulement, elle aimait aussi Cedric. Et tout adorable qu’il était, le Gryffondor ne ferait jamais le poids face à un mort.
Cedric était mort. Elle-même n’était pas sûre d’être tout à fait en vie.
Elle ratait tout ce qu’elle entreprenait ; elle se noyait dans des verres d’eau, rendait des devoirs imbibés de souffrance, sur le terrain elle se liquéfiait en plein vol et à cause d’elle l’équipe coulait…
Humides, ses yeux. Il y avait tellement d’eau dans ses yeux. Quand elle pensait avoir fini de les essorer, les larmes coulaient de plus belle. Elles rongeaient ses joues, perçaient ses doigts, et se répandaient sur le carrelage, sur le pavé, sur la terre sèche du parc... Partout où elle passait, elle laissait derrière elle une traînée de désolation. Depuis le début de l’été dernier, c’était comme s’il pleuvait sans discontinuer sur elle. Chaque seconde. Chaque minute. Chaque heure. Chaque jour. Pas un jour de soleil sur son cœur. La lucidité lui manquait tant… Les larmes étaient partout, sa vision était trouble, son monde gorgé d’eau et de peine. Yeux mouillés, gorge nouée. Elle se répandait en larmes partout. L’eau se répandait partout. Le monde était liquide, fuyant. Ou peut-être que c’était elle, la fuyante.
Le cœur de Cho était gorgé de tristesse et de mille et une contradictions. La flotte lui montait maintenant jusqu’aux chevilles.
À l’embouchure de ses cils, les flots se jetaient dans l’amer. Elle était en colère contre Harry, qui refusait de lui parler de Cedric et qui faisait mine d’ignorer ce lien si spécial qu’ils avaient tous les deux. Elle était en colère contre les Serdaigle, ces monstres d’individualisme, qui s’étaient rapidement désintéressés de son sort, ne sachant que faire de leur petite pleureuse. Elle était en colère contre Roger, qui l’avait menacée la veille de la mettre sur le banc. Elle savait voler ! Elle pouvait voler ! Elle revolerait, un jour ! Elle était en colère contre Marietta, un peu, qui passait son temps à se plaindre et à lui parler de sa mère, de ses inquiétudes futiles. Elle était en colère contre elle-même, surtout. Combien de temps ça prenait, pour quelqu’un de normal, de faire son deuil ? Est-ce que la douleur allait s’atténuer ? Est-ce qu’un jour elle se sentirait apaisée ? Est-ce qu'on s'en remettait ?
Une porte grinça. Par réflexe, elle avala un sanglot, plaquant en même temps les mains sur sa bouche.
« C’est pas vrai… Qui est l'imbécile qui s’est encore amusé à inonder ces fichues toilettes ? »
Rusard semblait particulièrement contrarié. Elle ramena ses genoux contre sa poitrine pour ne pas qu’il puisse voir ses pieds à travers l’espace en bas de la porte. Avec un peu de chance, il accuserait Mimi ou Peeves. Elle se mordit la lèvre, honteuse. Bercée par le bruit du robinet, elle avait perdu toute notion de temps. Elle ne le voyait plus s’écouler. Elle ne pensait plus au liquide qui s'écoulait. Elle oubliait que les vannes étaient ouvertes et que le niveau de l'eau montait, alimenté par le château et par ses larmes.
Bonjour à tous et à toutes ! Ceci est un OS écrit pour la deuxième épreuve de confort (textes fanfiction) de Koh-Lant'HPF, organisée par Catie et Omicronn. (Et OUI, j'adore les jeux de mots pourris, je ne m'excuserai pas pour ce titre éclaté xD)
Consignes :
- Écrire un texte de fanfiction sur le thème de l’eau
- Inclure une référence à un personnage aquatique fictif (cf. notes de fin)
Contraintes personnelles : - Endurance (3) : Texte de pile 1200 mots (sur la base de ce compteur) - Sentimentalisme (2) : Insérer au moins trois sentiments différents (cf. notes de fin)
Personnage aquatique fictif : dans la mythologie grecque (en particulier : l'Odyssée d'Homère, ou encore l'Énéide) Charybde est une des plus grandes terreurs pour les marins. Elle avale d'immenses quantités d'eau (et tout ce qui s'y trouve, y compris navires et équipages) pour les vomir par la suite. C'est du coup un parallèle que je trouve intéressant avec Cho, qui aspire à une autre histoire d'amour, mais qui n'est pas prête à totalement tourner la page et rejette avec violence ce qu'elle a pourtant initié.
Sentiments successifs : 1. Culpabilité 2. Tristesse 3. Colère
Merci pour votre lecture. En espérant qu'elle vous ait plu !