Année 1978
_______________________________
« Sois sage. » lui avait dit Walburga.
Regulus avait hoché la tête, évidement. C’était comme si ces mots étaient gravés dans sa peau. Certains n’auraient pas supporté, lui au contraire ne se voyait pas vivre sans les règles. Sinon, où irait-il ?
— C’est une réunion avec Lui ?
Regulus enfila sa longue cape noire, c’était un sergé de coton tissé si serré qui l’eau glissait dessus sans le mouiller, pas besoin de sortilège.
— C’est une réunion avec d’autres partisans Père.
Il rabattit sa capuche, pas de réponse.
S’il y avait une personne encore plus avare en mots que Regulus, c’était bien son père.
Il ouvrit la porte et se plaça sur les marches de l’entrée, respirant à pleins poumons l’air humide de la pluie.
Et il transplana.
Regulus adorait cette sensation de perdre pied, c’était assez paradoxal, lui qui détestait ne pas tout contrôler. L’air lui manquait, juste un instant, peut-être juste une seconde.
Et cette seconde était merveilleuse.
— Te voilà Black.
Rabastan posa une main sur son épaule et le guida dans le manoir.
— Ça fait plaisir de te voir Black. T’es tout pâle, tu devrais sortir plus souvent. Fais comme chez toi surtout.
Une musique assourdissante raisonnait entre les murs et il y avait du monde, beaucoup de monde. Avec surprise, il reconnut certains membres du Ministère, les plus jeunes surtout, ceux connus pour s’accorder aux idées du parti sorcier conservateur.
Rabastan était déjà parti, Regulus n’avait même pas fait attention, perdu dans ses pensées. Il s’avança et commença à déambuler dans les pièces et les étages. Partout du bruit et des lumières l’interpelait.
C’était merveilleux.
Ils étaient tous ensemble et si seuls à la fois, il n’aurait pas rêvé mieux. Il n’était pas obligé de parler et de faire des efforts, de toute manière personne le remarquait.
Il était personne.
Il réalisa qu’il avait un verre à la main. Commet était-il arrivé là ? Aucune idée. Autant le boire.
Regulus avait l’habitude de boire de l’alcool, son père l’avait habitué jeune à toutes sortes de spiritueux, car un homme, un vrai, ça boit et surtout, ce n’était jamais faible.
« Tu seras viril mon fils. »
Le goût était différent de ce qu’il connaissait, ce devait être cet alcool russe qu’avait ramené les recrues venues de l’Est. Ils avaient soutenu Grindelwald et maintenant, c’était le Seigneur des Ténèbres qui les réunissait.
L’ivresse le saisit immédiatement. Regulus slalomait comme dans sa bulle entre les gens. Peut-être l’appelait-on, qu’importe, il n’entendait plus. C’était bon ce sentiment de ne plus avoir pied, de quitter le monde du réel. Pourquoi s’emmerdait-il à ce point ?
« Sois sage. »
— Va te faire foutre !
Regulus avait crié. Ces voix, ces injonctions, elles tournaient en boucle dans sa tête. Elles ne pouvaient pas revenir, il voulait juste quelques minutes de répit, profiter encore de l’alcool et de la musique qui faisait boum boum dans ses oreilles.
— Bien dit ! cria une voix.
Un jeune homme s’approcha de Regulus, sa chemise était entrouverte et Regulus remarqua que son torse imberbe était luisant de sueur.
Il déglutit.
— Pourquoi tu as encore ta cape ?
Regulus regarda ses épaules, ah oui, il avait encore sa cape.
— Tu n’as pas chaud ?
Si, terriblement.
— Je… Je ne sais pas où la mettre.
Le jeune homme en face de lui éclata de rire.
— Oublie les conventions Reg, oublie tout.
— Je peux ?
Regulus s’étonna d’avoir parlé sans avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche. Et puis l’autre l’avait appelé Reg, il n’y avait que Sirius pour le faire. Enfin ça, c’était avant…
— Si tu le veux, répliqua l’autre en haussant les épaules.
Ses cils étaient longs et accentuaient la malice qui se dégageait de son regard. Ses longs doigts fins enserraient une bouteille dans une main et une cigarette dans l’autre.
— Tu veux fumer ?
Le sang de Regulus battait contre ses tempes.
« Sois sage. »
— Oui ok.
— Première fois ?
— Oui.
Il se sentait soudain un peu bête, un peu trop novice et pur finalement.
— Il y a deux manières de le faire, l’une est bien, l’autre ne l’est pas. Tu prends laquelle ?
Regulus sentit une pointe de panique montrer le bout de son nez. Ce n’était pas lui de dire oui, lui, il était le serpent qui travaillait dans l’ombre, pas celui qui prenait des risques.
— Je…
Le regard de l’autre le perturbait. Les lumières qui éclairaient la pièce bougeaient dans tous les sens, elles passaient sur son visage, illuminant ses cheveux châtains de couleurs pop. Regulus n’avait jamais rien vu de tel. D’où sortaient ces lumières ?
— Attend, j’ai un truc qui t’aidera, dit l’autre.
Il sortit de sa poche une pilule blanche.
— Qui m’aidera à quoi ?
— À t’oublier.
Le sourire qu’il lui donna lui fit tout drôle. La petite pilule blanche dans la main tendue du jeune homme semblait le narguer tout comme les dires de sa mère.
« Mérite ta place comme un Black, ou tu partiras d’ici comme un rien. »
« Sois sage. »
Il ne lui avait jamais désobéi.
Il tendit la main, la même main qui avait une chevalière frappées au blason Black, reçue lorsqu’il avait rejoint ses rangs, c’était il y a un mois. Le gars sourit à pleine dent et lui tendit son verre pour l’aider à avaler.
Boum, boum, boum.
Son coeur. Il le sentait battre, comment ne pas s’être rendu compte avant de la force de cet organe au fond de lui qui le maintenait en vie ? Il ressentait l’air qui remplissait ses poumons, apportant la dose d’oxygène nécessaire à sa vie. C’était incroyable.
Il vivait.
Le jeune homme en face de lui, sourit et prit une nouvelle bouffée de sa cigarette qui n’en était peut-être pas une finalement.
La musique, les lumières se mêlaient et voltigeaient autour de Regulus qui souriait tournoyant sur lui-même. Il n’avait plus de voix dans sa tête. C’était merveilleux, il n’allait pas s’écrouler, non, il volait.
— Je ne t’avais jamais vu sourire.
— Je n’avais pas de raison de le faire.
Sa réponse plut à Junior qui tira longuement sur sa cigarette.
— Approche et inspire.
Regulus ne réfléchit pas et s’approcha du jeune homme.
Boum, boum, boum.
Junior posa ses lèvres sur les siennes et souffla toute la fumée dans la bouche de Regulus. Surprit, il inspira par réflexe et se mit à tousser en sentant la fumer brûler ses poumons.
Ça piquait les yeux et sa gorge était toute enflammée.
Mais ce n’était rien. Rien comparé à la sensation de douceur encore sur ses lèvres.
— Tu vois, je te l’avais dit que c’était la bonne manière de fumer.
Déjà Junior se rapprochait pour lui souffler une autre bouffée. Cette fois-ci Regulus était prêt et profita de cet instant où leurs lèvres se touchaient. C’était peut-être un peu trop longtemps.
C’était même bien plus long que nécessaire.
Et alors ?