Je t’aime. À en mourir, à en crever. À me laisser couler. Je t’aime Blaise. Du tréfonds de mon âme, de mon cœur en morceaux. Et c’est pour ça que je me perds. Que je me détruis, m’enlise. Je t’aime, mais je t’aime Blaise. Je t’aime à m’en consumer, à m’en brûler les ailes. Je t’aime, Blaise alors je t’attends.
Ce n’est qu’une lettre une énième que je brûlerais, encore. Je t’aime, je t’aime Blaise. Et tu es parti. Tu m’as abandonné, tu m’as détruite et je meurs.
Avril 2016
Tu as lu ces mots comme moi Blaise. Elle part tu sais.
Elle s’étiole, se meurt. Il faut que tu reviennes. Tu ne peux pas la laisser comme ça.
J’ai retrouvé cette lettre, l’une des nombreuses qu’elle n’a jamais pu t’envoyer. J’espère que ses mots te toucheront plus que les miens.
Tu es resté insensible à mes mots. Mes lettres ne sont restées que lettres mortes, mais tu ne peux pas rester de marbre devant de tels mots. Ils m’ont glacé ces mots tu sais. Ils m’ont fait trembler.
Alors que je t’écris, je ne peux que la surveiller du coin de l’œil tandis qu’elle se promène dans le ruisseau en contre bas de mon manoir. Je ne peux pas la laisser seule, j’ai trop peur. Je ne ferme plus les yeux, je guette chacun de ses pas, de ses respirations. J’ai peur du silence, mais sa voix me terrifie encore plus. Je sais que quand elle se met à ouvrir la bouche c’est pour crier, pleurer, t’appeler.
Putain Blaise ! Ce n’est pas à moi d’être à ses côtés. C’est toi son prince charmant. Ce n’est pas moi. Et pourtant, tu m’imposes ce rôle. Tu m’obliges à rester là, à attendre comme elle ton retour pour être à nouveau libre. Tu nous as emprisonnés.
Elle t’attend, ses longs cheveux blonds penchés sur l’eau, ses chevilles de plus en plus osseuses dans l’eau froide du ruisseau, ses yeux délavés par les pleurs clos crient pour elle son désespoir.
Elle t’attend et moi j’écris. J’écris pour nous. Pour que tu reviennes, que tu arrêtes de t’aveugler, pour que tu nous libères de nos chaînes.
Tu es égoïste Blaise. En partant tu l’as laissé seule, tu as fui sans regarder derrière toi, sans voir ce que tu laissé.
Et elle, elle a sombré. Et moi, je reste, encore. Je suis là, toujours. Et j’attends, à jamais. Je suis tout autant prisonnier qu’elle de ton ombre. Sans toi, elle ne peut pas vivre, sans toi, je ne suis pas libre. Depuis toujours ça devait être elle et moi. Et puis tu es venu, les fiançailles sont tombées à l’eau et tu as volé son cœur. Je l’avais accepté, son sourire valait tous les sacrifices. Mais tu n’es qu’un connard Blaise. Tu es partie et avec toi son cœur c’est brisé et mes chaînes sont revenues. J’étais à nouveau lié à elle, je ne pouvais pas partir, vivre ma vie alors qu’elle était en train de crever.
Tu as le droit de ne pas vouloir me répondre, de vouloir tourner le dos à ton passé. Des erreurs on en a tous fait. Tu ne seras pas le premier homme à avoir trompé ta copine, à sombrer dans l’alcool, à avoir fait la guerre. Mais tu es le dernier des abrutis d’avoir laissé derrière toi la seule personne qui t’aime malgré tout, inconditionnellement.
C’est sa beauté de savoir aimé sans vouloir rien en retour, sans fermer les yeux sur les défauts des autres. Alors pourquoi a tu fui ? Pour ne pas plus l’abîmer ?
Mais elle est plus forte que tu crois notre ange de bonté. Elle aussi a vécu la guerre, la déchéance, le jugement. La guerre l’a souillée plus que tu ne pourrais le faire. Elle avait juste besoin de toi pour relever la tête. Mais au lieu de ça tu as préféré courir les estaminets et les bras de cette fille. Mais pourquoi elle ? Tu ne pensais pas mieux mériter qu’une femme qui te bat ?
Tu crois peut-être que je ne savais pas, mais j’ai toujours tout su, c’est mon talent. Je suis l’homme de l’ombre, celui qui reste derrière vous et vous protèges de vos travers. Je t’aurais aidé, on t’aurait tous aidé. On est tous passé par là, la fin de la guerre n’a été facile pour personne, et encore moins pour ceux d’entre nous.
Mais non, tu as préféré les vapeurs de l’alcool et la compagnie perverse de Gemma Farley. Bordel Blaise ! Tu pensais vraiment ne pas la mériter pour rester si longtemps avec cette garce ? Elle t’avait choisi, toi, et personne d’autre. Alors qu’importait que tu penses la mériter ou non ! Tu n’avais qu’à lui rendre au centuple cet amour qu’elle t’offrait.
Et pourtant, lorsqu’enfin tu t’es réveillé de ton long coma tu as préféré quitter le radeau. Fuir le pays, mettre l’Atlantique entre toi et notre ange de pureté ? Mais tu sais sa vertu elle l’avait déjà perdu dans tes bras et elle comptait bien y passer le reste de sa vie.
Il faut que tu reviennes Blaise. Elle erre, hante le manoir. Dans son sommeil elle t’appelle, dans ses pleurs elle se meurt de toi, dans son cœur il n’y a que toi. Elle crie, se mure dans son silence. Elle t’attend. Il n’y a toujours eu que toi pour elle. Tu es le barycentre de sa vie. Sans toi elle tombe, oublie, s’étiole. Elle est prisonnière de ton odeur, de ta voix, de toi.
Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, elle ressemble de plus en plus à un fantôme. Elle ne me parle plus, elle se contente de me sourire de ce sourire qui me fait froid dans le dos. Elle n’est déjà plus vraiment là, elle est coincée quelque part dans les eaux glaciales de l’Atlantique.
Elle meurt tu sais Blaise, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’est plus qu’un corps décharné, aux yeux vide d’avoir tant pleuré. Elle t’aime à en mourir Blaise et ce n’est pas une figure de style, c’est littéral.
Chaque jour est un jour de plus gagné sur la mort, un jour de plus sans toi. C’est son dernier jour dehors Blaise, alors je la laisse profiter de l’eau glacée du ruisseau en la surveillant du coin de l’œil. Demain ça sera l’hôpital. Je n’ai plus le choix. Je ne peux plus rester à ses côtés, ça sera toi ou les bras de la mort.
Daphné est en train de mourir Blaise.
Une dernière fois je te le demande.
Si tu l’aimes reviens.