Chapitre 1 - “Très classe, ton paternel !”
À quatorze heure, le soleil froid de décembre était au zénith. Ses rayons venaient frapper les vitres de la tour d’Astronomie, renvoyant vers le lac des éclats de lumière pure qui mouraient sur les rives. Dans le parc, les rares promeneurs qui osaient braver les températures hivernales et s’aventurer dans la neige se voyaient forcés de plisser les yeux lorsqu’ils observaient la surface de l’eau, à la recherche de remous laissés par le Calamar Géant. Beaucoup, ayant entendu la cloche de l’immense horloge sonner ses deux coups, se hâtaient de rassembler leurs affaires éparpillées autour d’eux et de remettre leurs gants avant de retourner en cours. Le parc, déjà peu fréquenté en cette période de l’année, se vida en quelques instant de toute présence humaine.
Scorpius Malefoy, accoudé au muret de pierre qui bordait la volière, regardait d’un œil indifférent les derniers élèves qui couraient dans le chemin verglacé pour ne pas arriver en retard en cours. Il réfléchissait. Sous son bonnet de laine, vert à liseré d’argent, quelques mèches d’un blond presque blanc dépassaient, dansant dans la brise froide qui se levait. Le jeune homme frissonna et porta sa main droite, dégantée, à sa bouche. Il souffla plusieurs fois à l’intérieur, tentant de la réchauffer, et finit par la glisser dans son gant émeraude, soustrayant sa peau à la morsure du vent. Un long morceau de parchemin, qu’il tenait entre deux doigts de sa main gauche, menaçait de se faire emporter. Il hésitait à le laisser partir dans la brise, pour pouvoir prétendre ne jamais l’avoir reçu. “Ça n’arrangera rien, Père saura que je mens.” Son père savait toujours tout.
Le parchemin se balançait dans le vent. Scorpius le regardait du coin de l'œil, agacé. Il n’avait pas envie de le relire, mais son regard était attiré par les grandes boucles d’encre qui se détachaient sur le fond de la feuille. Sans y penser, il se remit à parcourir des yeux les phrases que son père lui adressait.
Fils, - la lettre commençait ainsi. Pas “Mon fils”, pas “Cher Scorpius”, pas “À mon cher fils Scorpius”. “Fils.” Au moins, il n’était pas dépaysé : son père était toujours aussi peu expansif.
Fils,
Ta mère et moi-même espérons que tu te portes bien. Au Manoir, les températures ont baissé, et nous avons de la neige dans le parc. Tu t’en rendras compte lorsque tu viendras dans quelques semaines.
Scorpius jugea que ce début n’était pas si mal, comparé à de précédentes lettres. Son père avait au moins fait l’effort d’inclure quelques lignes de politesse et de conversation mondaine, on ne pouvait que l’en féliciter.
Je te passe les mondanités d’usage.
Ah, retour au sujet qui l’intéressait vraiment ! Il avait tenu trois phrases - mais l’une d’elles incluait un bon sentiment pour Scorpius, c’était vraiment un progrès.
Dès demain matin, certaines rumeurs vont te parvenir par la presse. Je ne souhaite pas entrer dans les détails, tu les apprendras bien assez vite, mais sache qu’elles sont vraies.
Très rassurant.
Lorsque tu en entendras parler, ne m’écris pas. Il se pourrait que ton hibou soit intercepté par nos opposants, et je ne peux que trop mettre l’emphase sur la catastrophe que cela serait.
Ah, l’habituelle paranoïa de son père ! Ne pas envoyer de hiboux, ne pas parler à voix haute en passant devant une cheminée, ne pas s’approcher des armoires… Père avait une magnifique collection de ces petites lubies, dont Scorpius ne connaissait pas l’origine - la guerre, disait Mère sur un ton qui signifiait “Ne pose pas de question”. A chaque nouvelle lettre, son père lui rappelait de ne pas répondre, se répétant comme un mécanisme grippé. De toute façon, il lui écrivait peu - quatre lettres seulement en sept ans, incluant celle-ci - et Scorpius aurait eu bien du mal à trouver quoi lui dire. Chaque lettre servait un but précis : s’assurer de son obéissance aveugle et totale.
Nous en discuterons plus avant lors de ton séjour pour les congés de Noël. Je souhaitais te mettre en garde, en revanche : il est possible que beaucoup d’yeux se tournent vers toi suite à ce qui paraîtra dans la presse demain. Voici mes directives quant à l’attitude à adopter :
- Ne te fais pas remarquer outre-mesure ;
- Si on venait à te demander des précisions à mon sujet, réponds que tu ne sais pas (car de toute façon, j’ai veillé à ce que tu ne saches pas) ;
- Reste courtois, mais surveille tes fréquentations (d’ailleurs, s’il te venait à l’idée de ne plus fréquenter personne jusqu’en mai prochain pour te concentrer sur les révisions de tes ASPICs, je n’en serai que plus fier de toi).
Une liste de directives… Ça ressemblait bien à son père, ça ! Une liste de directives obscures, qui plus est, puisque Scorpius n’avait aucune idée de ce qu’étaient les “rumeurs” évoquées en début de lettre. Le message général était cependant assez simple à comprendre : “Reste dans ton coin et ne fais pas de vagues”, chose pour laquelle Scorpius était, de toute façon, doué de nature.
Je joins à cette lettre un petit manuel que j’ai jugé instructif, à toutes fins utiles. Il devrait t’apporter quelques éclairages sur mes prochaines occupations.
Ah, un peu de lecture supplémentaire ! Une charmante attention. Scorpius jeta un œil distrait au Petit précis de citoyenneté à usage des sorcières et sorciers de Grande-Bretagne qu'il avait fourré dans son sac. Merlin soit remercié, il avait l’air assez court. Il n’y avait que trois feuillets !
Ta mère se joint à moi pour t’adresser toute notre affection, et me charge de te dire qu’elle a hâte de te voir pour Noël.
Au 23 donc,
Drago Malefoy
La signature était précédée de la mention “Père”, raturée d’un grand coup de plume décidé. Un peu plus, et son père aurait versé dans le sentimentalisme ! “Merlin nous en préserve”, souffla Scorpius à voix basse, fixant toujours le parchemin couvert d’impeccables anglaises tracées à la plume qu’il tenait dans sa main gantée. Cette lettre inattendue n’avait aucun intérêt. En revanche, elle avait provoqué une angoisse diffuse, mais tenace, à son destinataire. “Je ne peux rien te dire mais tout de même fais attention à ce que tu fais et comment tu te comportes.” Merci Père, voilà qui est bien utile.
Scorpius soupira en repliant le parchemin et le fourra dans l’enveloppe qui lui était adressée. Sur son épaule, sa besace en cuir sombre menaçait de tomber, trop pleine de livres. L’esprit ailleurs, il saisit la sangle et la rajusta. Le poids du sac le fit grimacer. Il aurait dû passer dans la salle commune de Serpentard pour le vider avant de venir ici, mais la curiosité pour ce courrier arrivé après l’heure avait pris le dessus. Il regrettait un peu, à présent.
Il descendit d’un pas lourd les marches qui menaient à l’extérieur de la volière, dans le parc enneigé. La sensation de froid dans ses pieds ne réussit pas à la faire revenir à la réalité, trop absorbé qu’il était par le courrier qu’il venait de recevoir. Quelles étaient ces rumeurs dont son père parlait ? Qu’est-ce qu’il avait fait ? Et pourquoi en informer son fils - ou pourquoi l’informer maintenant, alors qu’il allait être mis au courant le lendemain par La Gazette du Sorcier ?
Agacé de ne pas comprendre, il sortit de son sac le Petit précis de citoyenneté à l’usage des jeunes sorcières et sorciers de Grande-Bretagne. Si Père avait jugé que ce manuel pouvait l’aider à comprendre sa lettre, c’est bien qu’il y avait un rapport entre les deux. Scorpius se mit à lire les feuillets de parchemins, reliés entre eux par une simple agrafe. C’était un manuel très simple et assez bien conçu, qui retraçait le fonctionnement du système électoral sorcier, l’importance de voter - droit acquis seulement 25 ans auparavant - et le déroulement des scrutins. Scorpius s’en fichait comme d’une guigne mais, énervé de ne pas comprendre la lettre de son père, il le lut et le relut plusieurs fois durant son trajet de la volière au reste du château. Absorbé, il ne fit pas attention à la neige qui mouillait le bas de son pantalon et s’infiltrait dans ses chaussettes, si bien qu’il parvint à la Grande Porte trempé jusqu’au mollet.
“Mr. Malefoy !”
Scorpius leva les yeux de sa lecture et blêmit. Mr. Sherrington, l’intendant du collège, le fixait de ses petits yeux porcins, un rictus mauvais sur les lèvres. Cet homme l’avait toujours détesté.
“Vous allez salir les couloirs.
-Je…
-Vous voulez salir les couloirs ? Je ne crois pas que vous ayez envie de salir les couloirs”, déclara Sherrington d’un ton menaçant.
Il l’embêtait, avec ses couloirs !
“Je vais me sécher, répondit Scorpius très vite en rougissant un peu.
-Je préfère ça. Sinon, je serai obligé de dire à votre directeur de maison que vous aimez salir les couloirs, que ça vous amuse de dégrader les lieux !”
Scorpius sortit sa baguette sans répondre. Il était à peu prêt certain que le Professeur Zabini se fichait de qui salissait les couloirs et dans quel but, mais Sherrigton avait une façon si personnelle de rapporter les moindres incartades et infractions faites au règlement que le directeur de Serpentard aurait tôt fait de mettre Scorpius en retenue. Une seule fois, il s’était retrouvé en retenue avec le professeur Zabini, et il ne tenait pas à réitérer l’expérience : il avait passé la soirée à laver les Veracrasses dont se servaient les troisièmes années pour leur cours de Soin aux Créatures Magiques, et le seul souvenir de cette punition lui rappelait l’odeur horrible des baquets. Et ce mucus gluant qui avait tâché toutes ses robes !
Scorpius se sécha d’un geste désinvolte de la baguette, le regard de Sherrington toujours braqué sur lui. Qu’il aille s’occuper de quelqu’un d’autre, celui-ci ! Le jeune homme ne comprenait toujours pas pourquoi il lui en voulait autant, après sept ans d’étude. Peut-être parce qu’il passait son temps avec Weasley, Raban et les autres, connus pour laisser une pagaille énorme partout où ils passaient.
“Je préfère ça”, lança le concierge alors que Scorpius franchissait les portes du château.
“Vas terroriser des Poufsouffles ou passer le balais chez Mimi Geignarde, ça me fera des vacances”, grinça Scorpius entre ses dents.
Courageux mais pas téméraire, il avait parlé très bas, pour ne pas à se faire de nouveau rappeler à l’ordre. Après tout, la lettre de Père disait de faire profil bas !
Les portes de la Grande Salle étaient fermées. Le hall était désert, les élèves étant soit en cours, soit calfeutrés dans la douce tiédeur des salles communes. Seuls quelques fantômes, glissant sans bruit au-dessus des dalles, passaient ça et là, discutant à voix basse. Sans réfléchir, Scorpius laissa ses pas le guider vers les escaliers qui menaient aux cachots, pour rejoindre la salle commune de Serpentard. L’idée de brûler la lettre de son père dans la grande cheminée s'immisça dans son esprit, séduisante. Ça ne changerait rien, mais ça le soulagerait peut-être. De toute façon, il n’avait rien compris à cette lettre sauf la partie qui l’enjoignait à la plus grande prudence - mais pourquoi, par Merlin, devait-il être prudent ?!
Alors qu’il longeait le mur de pierre humide des cachots du premier sous-sol - au lieu de l’embêter, Sherrigton aurait dû s’occuper de ré-appliquer un sort d'étanchéité, tiens ! - un rire familier lui fit tourner la tête. Par la porte d’une salle de classe restée entrouverte, il aperçut un éclat blond et bleu, furtif. On était jeudi après-midi, et le groupe des septième année de Serdaigle et Poufsouffle avait cours de potion.
Scorpius s’arrêta à l’angle du mur. De là, il voyait l’intérieur du cachot sans pour autant être vu. A la première table, penchée sur un chaudron qui faisait la taille de son buste, une jeune fille un peu petite pour son âge riait en agitant sa baguette. Quelques mèches couleur miel s’échappaient de son bandeau bleu et bronze, soufflées par l’épaisse fumée lavande qui se dégageait du chaudron en fonte.
“Maggie, tu sais qu’elle n’est pas censée devenir violette, lui souffla la jeune femme à côté d’elle.
-La cou… La cou… Couleur...”
Hoquetant de rire, la jeune fille était incapable d’articuler, mâchant la moitié des mots qui lui restaient dans la gorge. Ses épaules tressautaient au rythme des gloussements qui s’échappaient de sa bouche, et ses mains tremblaient si fort que Scorpius craignit qu’elle ne fasse tomber sa baguette dans le chaudron.
“Professeur Zabini ! appela son amie d’un ton affolé. Professeur, je crois qu’il y a un souci avec la potion de Maggie.
-Couvrez-vous la bouche, Miss Granger, répondit une voix appartenant à un homme que Scorpius ne voyait pas. Miss Taylor a ajouté ses racines de Dictame avant de faire bouillir son mélange, et non après, ce qui produit un gaz hilarant d’une efficacité redoutable. Ne respirez pas les vapeurs !”
De là où il était, Scorpius vit une baguette en noyer sombre s’agiter au-dessus du chaudron, et le gaz disparut sans laisser de trace. Un instant, la silhouette d’un homme passa dans son champs de vision, l’empêchant d’observer la jeune femme qui se tordait à présent les côtes de rire.
“Il semblerait qu’elle en ait inhalé une bonne dose, reprit la voix d’homme. Miss Granger, pouvez-vous l’accompagner à l’infirmerie ? Elle ne risque pas grand-chose, mais on n’est jamais trop prudent.
-Oui, professeur.
-Laissez vos affaires, ajouta-t-il, vous aurez le temps de terminer votre propre antidote après.
-Bien, professeur.”
L’homme se déplaça et, de nouveau, Scorpius vit la petite Serdaigle qui riait aux éclats. Elle trébucha un peu en tentant de s’extirper de derrière la table, et se rattrapa à l’épaule de son amie qui grimaça sous le choc. Ah, s’il avait pu la faire rire le quart de ce qu’elle riait à présent ! Même un simple sourire amusé lui aurait suffit, en vérité. Mais il n’arrivait déjà pas à lui adresser la parole sans bégayer, alors la faire rire…
Scorpius, perdu dans ses pensées, réalisa soudain que les deux amies se dirigeaient dans sa direction. Paniqué, il chercha des yeux une issue de secours. Il ne fallait pas qu’elles le voient ! Quel abruti… Qu’est-ce qu’elles allaient s’imaginer ? “La vérité, se dit-il affligé : que je les espionne comme le dernier des imbéciles !”
Du coin de l'œil, il avisa les deux jeunes femmes qui venaient à sa rencontre, et décida de se réfugier dans un des cachots qui bordaient le couloir. Plutôt tomber sur le Baron Sanglant en plein rituel de magie noire que de se faire voir ! Scorpius ouvrit la porte du cachot situé sur sa droite à la volée et la referma aussitôt derrière lui, soulagé. Elles n’avaient pas encore tourné l’angle du couloir, aucune chance qu’elles l’aient vu !
“Qui va là ?”
La voix, familière, provenait de derrière le jeune homme. Il se tourna par petits accoups, peu désireux de se trouver nez-à-nez avec la personne à qui elle appartenait. Cette journée ne faisait rien pour s’améliorer…
“Ah, mec, c’est toi. Comment tu savais qu’on était là ?
-Je savais pas Weasley, répondit Scorpius d’un ton assuré. J’croyais que vous aviez cours ?
-Ouaaaais, mais Flitwick s’est senti très mal au bout d’un quart d’heure, et le cours de Sortilèges a été annulé !
-En même temps, ajouta un garçon aussi large que haut, s'il s’était pas jeté sur le chocolat qu’il nous a confisqué…
-Grave, le pauvre, renchérit Weasley d'un ton qui feignait la pitié. Si seulement quelqu'un s'était douté qu'il contenait une pastille de gerbe… C'est quand même pas de chance…"
Le garçon qui ressemblait à une commode sur pattes partit d'un gros rire gras. Scorpius se força à sourire, pour donner le change. Des tours comme celui-ci, Louis Weasley était capable d'en infliger une dizaine par jours à ses nombreuses victimes, dont le Serpentard n'avait pas envie de faire partie, merci beaucoup. D'ailleurs, il en faisait déjà bien assez les frais en tant que simple observateur : c'était la faute de Louis s'ils s'étaient retrouvés plongés jusqu'aux coudes dans les Veracrasses, l'année dernière.
Alors qu'il était en quatrième année, s'occupant de ses devoirs dans son coin à la bibliothèque, Scorpius s'était retrouvé nez-à-nez avec Louis Weasley, déjà grand pour ses treize ans. Croyant qu'il voulait lui demander un renseignement, et flatté qu'un élève plus jeune puisse voir en lui un mentor, Scorpius lui avait demandé d’une voix polie ce qu'il voulait. La réponse du rouquin avait été succincte, mais directe : "Tu es un Malefoy. Je connais ta famille. On devrait traîner ensemble." Scorpius n'avait même pas réfléchi au manque évident de logique dans cette phrase. Il se voyait déjà, modèle pour le petit groupe de Louis et ses amis, leur faire découvrir Poudlard et ses secrets, les guidant comme lui aurait aimé être guidé à l'école de sorcellerie. Et, après tout, il n'avait pas beaucoup d'amis…
La réalité avait été assez différente. Louis était beaucoup de choses, mais en aucune façon un gamin en recherche d'un exemple à suivre. Là où Scorpius était timide et effacé, lui était assuré et m'as-tu-vu au possible, cherchant à se faire remarquer autant que faire se peut. Il passait son temps à se pavaner dans les couloirs, élaborant mauvais coups sur mauvais coups. Il avait dit à Scorpius, une fois : « Le nom Weasley a une certaine réputation, il faut que je sois à la hauteur ! », en parlant de deux de ses oncles qui étaient devenus des légendes pour avoir quitté Poudlard en créant la plus grande pagaille de toute l’histoire du château. Très fier de cet héritage, le jeune Weasley multipliait les coups fourrés et incartades, espérant lui aussi obtenir un entrefilet à sa gloire dans L’Histoire de Poudlard – édition révisée. Ses plaisanteries, au début innocentes et sans grandes conséquences, étaient devenues de plus en plus cruelles et gratuites au fil des ans, et le Gang à Weasley, comme l’appelaient certains étudiants, inspirait une peur tenace à nombre d’élèves plus jeunes. Peu importait le nombre de retenues, de punitions ou de Beuglantes qu’il recevait, le Gryffondor continuait de terroriser les autres étudiants – et certains membres du corps enseignant.
“Flood et Raban sont pas avec vous ? demanda Scorpius lorsqu’Eames eu terminé de rire.
-Ils ont Métamorphose.
-Eh, Eames, viens me filer un coup de main !”
L’armoire à glace se tourna vers son ami. Scorpius le voyait s’agiter, tournant et retournant sa baguette d’un vieux balais en bois clair, qui avait vu des jours meilleurs.
“Vous bricolez quoi ?
-Eames a piqué les clés de la réserve de Quidditch des Poufsouffles au crétin qui leur sert de capitaine. Je trafique un peu le balais de leur batteuse. Rien de bien méchant, t’inquiète.
-La saison n’a pas commencé…
-C’est l’idée ! Si elle pouvait se casser un bras pendant les sélections, ça m’arrangerait ! Elle avait qu’à pas m’envoyer ce Cognard dans les côtes, l’an dernier. C’est la meuf blonde avec les nattes, tu vois laquelle ? Flood a entendu dire qu’elle était Sang-de-Bourbe, c’est toujours ça de pris…”
À chaque fois que Weasley, ou un des abrutis qui lui servait d’amis, se lançait dans leurs grands discours sur la pureté du sang et la nécessité de le préserver, un profond malaise s’insinuait en Scorpius. Il n’aimait pas parler de ça. Son père comme sa mère lui avait toujours dit d’éviter d’en discuter en société, que le sujet était sensible, qu’il valait mieux ne pas en parler. “Ton sang est une fierté, disait souvent Père, mais il est bon de ne pas être fier trop fort.”
“Au fait, dit soudain Eames en levant le nez, bien ouej’ pour ton père.
-Mon père ? répéta Scorpius sans comprendre.
-Ça va, pas la peine de faire comme si tu savais pas avec nous, répondit Eames en fixant le balais qui se débattait sur la table du cachot. Ma tante m’a envoyée l’interview au p’tit déj’. Très classe, ton paternel !
-Ah, l’interview ! lança Scorpius d’un ton assuré. Oui, bien sûr, grave… J’avais zappé.”
Il n’avait aucune idée de ce qu’était cette interview. À croire que l’intégralité des sorciers de Grande-Bretagne était au courant des affaires de son père avant lui - mais c’était à lui qu’on envoyait des mises en garde, bien sûr.
“Tu l’as avec toi ? Je l’ai pas lue encore.
-Normal, ricana Eames en fouillant dans son sac, ma tante l’a terminée hier ! Les avantages de connaître du monde à La Gazette”, termina-t-il sur un ton évocateur en tendant à Scorpius l’édition du lendemain.
Le Serpentard s’en saisit. Sous le nom La Gazette du Sorcier en gros caractères d'imprimerie s’étalait un portrait sépia, sur lequel son père le toisait d’un regard austère. Par moment, il prenait appui sur sa canne, ou ajustait la robe noire qui lui tombait jusqu’aux genoux. Juste en dessous, un titre énorme clamait “Interview exclusive avec Drago Malefoy : “Il faut rendre à notre communauté ses lettres de noblesse !” Scorpius s’assit sur une des tables du cachot et parcourut l’article d’un œil, pressé de comprendre enfin ce que son père préparait.
L’article s’ouvrait sur un long paragraphe retraçant le parcours politique de Lucius Malefoy, le grand-père de Scorpius, aujourd’hui décédé. S’ensuivait une interview d’une bonne page avec Drago Malefoy qui expliquait avoir, après des années à se consacrer aux affaires de la famille Malefoy, racheté la charge de son père à la chambre des Mages - une des deux instances politiques en charge de la nomination du Ministre de la Magie, et s’allier au Parti des Mages pour la campagne électorale à venir. L’interview se terminait sur l’annonce de sa candidature au poste de Ministre de la Magie, avec pour objectif de “remettre au centre du débat les valeurs chères aux sorcières et sorciers de Grande-Bretagne : la famille, l’éducation et la préservation de notre mode de vie.”
Scorpius reposa le journal. Voilà qui expliquait mieux le Petit précis de citoyenneté qui accompagnait la lettre ! Et dire que ce crétin d’Eames était au courant avant lui de la candidature de son père au poste le plus en vue du pays ! Brillant. Sa colère, retombée lorsqu’il était passé devant la salle de cours des Potions tout à l’heure, remontait à présent en flèche. Il était impossible que son père ait pris sa décision la veille, mais il avait attendu le dernier moment pour en informer Scorpius. Parfait.
“Il présente bien, dit Eames en récupérant son journal.
-Bof, il est un peu tiède, non ? demanda Weasley en rangeant sa baguette dans sa poche.
-Il fera un meilleur Ministre que ton oncle, en tout cas !
-Grave, souffla le rouquin, j’espère bien ! Celui-ci… Les Moldus ceci, les Moldus cela… Mais vas-y, habiter avec tes Moldus, personne te retient !”
Un rire gras sortit des lèvres d’Eames. Scorpius n’avait qu’une hâte : que la cloche sonne enfin pour qu’il puisse prétendre avoir cours à l’autre bout du château, et ruminer en silence ce qu’il venait d’apprendre. L’indifférence totale de son père à son égard - qui n’avait, cette fois encore, pas jugé bon de le mettre au courant de ses affaires - le mettait dans un état de rage qu’il devenait difficile de contenir.
“Malefoy, bouge, râla Weasley en s’approchant de lui, il faut qu’on remette le balais dans la remise avant 16h !
-Allez-y, répondit Scorpius en s’écartant de la porte du cachot, je vous rejoins plus tard. J’ai, euh… Divination.”
La tour de Divination était à l’opposé du château. Parfait. Scorpius attrapa son sac, le jeta sur son épaule et s’en fut dans le couloir humide sans jeter un regard en arrière. Il entendit la voix gutturale d’Eames résonner le long de la coursive alors qu’il avançait d’un pas vif vers l’escalier :
“Depuis quand il fait Divination, lui ?”