Le soleil brillait haut dans le ciel lorsqu’il s’extirpa difficilement de son lit. La nuit avait été difficile, comme en témoignaient les cernes violacés de Xenophilius. Tel un zombie, il enfila un vieux kimono orange élimé, aux manches bien trop larges pour être confortable. Les coutures de l’épaule gauche s’étaient défaites avec le temps, laissant le tissu pendre misérablement sur son bras nu. Mais Xenophilius s’en moquait totalement. En temps normal, il aurait joué de cette déchirure pour mettre en valeur un autre vêtement juste en dessous, d’une couleur encore plus excentrique. Mais ce jour-là, il n’était nullement question d’allure excentrique ou de redéfinition des canons de la mode. Aujourd’hui, c’était juste un kimono à son image, vieux, terne et en lambeaux.
Il se fraya un chemin dans le capharnaüm qu’était sa chambre et atteignit l’escalier d’un pas raide, le coeur déchiré. Le manque de sommeil n’avait pu tout à fait éteindre l’horreur qui le prenait aux tripes. Dix ans après, le cauchemar recommençait. Après sa femme bien-aimée, sa fille. Sa Luna, sa joie et sa raison de vivre. Ils l’avaient prise…
Les images de la semaine précédente hantaient son esprit. Son attente sur le quai de la gare, l’impatience se muant en inquiétude lorsque deux enfants, qui n’étaient pas Luna, s’étaient arrêtés devant lui. Le dernier des Londubat et la benjamine des Weasley peinaient à retenir leurs larmes, le visage marqué par la guerre, trop vite grandis. Ils avaient prononcé des mots insensés. « Les Mangemorts l’ont prise », avait dit la jeune fille, le visage livide. « Ils ont enlevé Luna. » Xenophilius avait nié, affirmé qu’il attendait sa fille, qu’elle avait dû se rendre dans un autre compartiment. Pas Luna, c’était impossible. La terreur glacée l’avait finalement saisi lorsqu’il avait compris qu’ils disaient la vérité, lorsque le dernier étudiant avait quitté le train. Longtemps, il était resté seul, bien après le départ des autres familles peu désireuses de s’éterniser. Pourquoi Luna ?
Quelques heures plus tard, il avait finalement décidé de rentrer chez lui, où l’attendaient deux Mangemorts.
— S’il vous plaît, les avait-il suppliés. Rendez-moi ma Luna…
— Tu aurais dû t’y attendre Lovegood, ça te pendait au nez.
— Non… Je vous en prie…
Face contre terre, agité de spasmes, il était pathétique à leurs yeux. Xenophilius ne s’était jamais intéressé au regard des autres, dans la joie comme dans la douleur.
— Cela dit, tu peux nous être utiles. Si tu veux revoir ta fille, il va falloir nous donner de précieux renseignements.
Fou de chagrin, Xenophilius avait cillé sans comprendre. Y avait-il un lien avec la transaction effectuée dans la semaine, cette corne qu’il avait acquise pour le Noël de Luna ? Avaient-ils intercepté le courrier qu’il avait fait parvenir à sa fille ? Était-ce à cause de ça qu’elle avait été enlevée ? Avec espoir, il releva la tête vers eux.
— Je peux… je peux vous démontrer l’existence des Ronflaks Cornus si c’est ça que…
L’un des deux hommes avait agité sa baguette et un bang avait retenti alors qu’une vive douleur l’avait saisi à l’estomac, pareille à un coup de poing. Ils avaient ricané tous les deux alors qu’il gémissait au sol.
— Espèce d’imbécile ! Nous n’en avons rien à faire de tes maudits Ronflaks ! Non, il nous faut des informations, de la connaissance, tu piges ?
Il avait acquiescé et ils s’étaient éclipsés, non sans l’avoir d’abord humilié.
Arrivé au bas de l’escalier circulaire, Xenophilius chassa ces souvenirs traumatisants. Il devait se concentrer, bon sang ! Il étouffait. En titubant, il sortit de la maison. Non, tout cela n’était qu’un cauchemar, un horrible cauchemar. Comment pourrait-il vivre sans Luna désormais ? C’était impossible. Il la voyait partout autour de lui dans la maison, dans le jardin. Sur un petit parterre qu’elle avait soigneusement bêché au cours de l’été, les premiers boutons d’hellébore étaient apparus. Elle attendait ce moment avec tant d’impatience et à présent, elle ne pouvait y assister. Ce détail lui donna les larmes aux yeux. Il leva ses iris bleus au ciel et observa les rares volatiles qui s’aventuraient dans le froid de décembre. Tout, autour de lui, lui rappelait Luna, même ces oiseaux qui étaient l’emblème de sa maison et…
Mais bien sûr. Il tenait la solution. Les Mangemorts n’avaient-ils pas dit qu’ils souhaitaient de la connaissance ? La reconstitution du diadème de Serdaigle sur laquelle il avait travaillé l’été dernier ! Tout homme s’enrichit quand abonde l’esprit ! Tu-Sais-Qui ne pourrait refuser une telle offre. Confiant, il rentra à toute vitesse à l’intérieur de la maison et dénicha son nécessaire à lettres dans le tiroir près de l’évier de la cuisine. À gestes saccadés, il écrivit simplement : J’ai ce que vous recherchez, puis envoya son hibou.
Chaque seconde devint une torture. Avec une précaution infinie, il descendit le buste sur lequel il avait reproduit le fameux diadème perdu de Rowena Serdaigle. Xenophilius se maudissait de ne pas y avoir pensé avant. Le chagrin lui faisait perdre la tête. Il tournait en rond dans la cuisine, littéralement, autour de l’escalier central. Autour de lui, les oiseaux peints par Luna semblaient voltiger, libérés de leur prison de plâtre.
Finalement, la porte d’entrée s’ouvrit à la volée.
— Alors, Lovegood, qu’est-ce que tu as pour nous ?
Xenophilius s’arrêta et pointa du doigt la statue, d’un geste triomphal. Pendant quelques secondes, les Mangemorts ne répondirent pas, interdits. Leurs regards alternaient entre lui et le buste représentant Rowena Serdaigle. Soit ils étaient soufflés, soit ils n’avaient pas compris ce dont il s’agissait.
— Ceci, Messieurs, est la réplique parfaite du diadème perdu de Rowena Serdaigle, articula-t-il comme s’il s’adressait à des enfants de bas âge. Vous trouverez ainsi des siphons à Joncheruines, des ailes de Billywig, -
Une vive douleur le frappa à la poitrine et il s’effondra au sol.
— Tu as vu ça, Selwyn, fit le Mangemort qui l’avait attaqué, une moue de dégoût sur les lèvres. Il y a vraiment cru. Il a vraiment cru qu’on allait rendre sa fille en échange de… de cette horreur.
— Non, sanglota-t-il, des larmes de douleur roulant dans son épaisse barbe blanche. Je vous en prie, laissez-moi vous expliquer… Ma Luna…
— Nous expliquer quoi ? Pourquoi on voudrait de ton chapeau pourri ?
Un autre jet de lumière jaillit de la baguette de Travers et Xenophilius rampa sur le plancher, hors d’atteinte.
— Je te préviens, Lovegood, la prochaine fois que tu nous déranges, tu auras intérêt à avoir du concret, du solide. Sinon, tu peux déjà oublier ta fille.
Il lui lança un autre Doloris pour la forme puis s’éclipsa, indifférent aux gémissements désespérés de l’homme à terre.
Haletant, lové en foetus, il resta un long moment contre le sol de la cuisine. Lorsqu’enfin il parvint à se remettre debout, il tomba nez-à-nez avec la maquette inachevée du prochain numéro du Chicaneur. Le déclic se fit, moins triomphal que celui de la matinée. Au fond de lui, il savait, il l’avait toujours su. Il savait pourquoi ils l’avaient prise. C’était la seule explication. Son journal avait été le seul à soutenir Harry Potter et la résistance. Luna en était tellement fière, elle qui avait enfin un cercle d’amis précieux. Leurs visages souriants ornaient le plafond de sa chambre. Si jeunes et déjà résistants. Longtemps, il n’avait pas compris pourquoi les adultes hésitaient, bien plus que les jeunes, à dire non. Aujourd’hui, il comprenait. Ils avaient pris sa Luna. Ils avaient pris sa Luna parce qu’il avait dit non, à cause de ce qu’il écrivait.
Que devait-il faire à présent ? Luna serait tellement déçue s’il cédait. Elle ne dirait rien, comme toujours, mais il sentirait, pour la première fois, sa désapprobation. Mais quel autre choix avait-il ? N’était-il pas temps d’accepter la réalité, que rien ne vaudrait jamais les yeux de sa fille ?
Et pour libérer Luna, il était prêt à tout. Il prit alors une grande inspiration et se mit au travail.
Une semaine fut nécessaire pour achever son oeuvre. Même le jour de Noël, il travailla avec acharnement. Malgré tout, le dégoût l’emplit alors qu’il démarra enfin sa presse à imprimer. Le numéro de janvier du Chicaneur était prêt. Il essaya de ne pas imaginer la déception de Luna. Ce qui comptait, c’est qu’elle restât en vie. Mais cela suffirait-il à ces rustres de Mangemorts ? Ils avaient bien dédaigné le diadème de la connaissance, tout comme la preuve de l’existence des Ronflaks Cornus. Il hésitait à leur envoyer un hibou…
Le premier magazine sortit de la presse. Il osa à peine regarder la couverture représentant Harry Potter, le visage barré ces terribles mots « Indésirable n°1 ». Il examina consciencieusement la qualité de l’impression, l’ordre des articles et des pages. Tout était parfait.
Abandonnant le cliquetis de la machine, il se rendit dans le jardin, humer les fleurs d’hellébore. Les roses de Noël avaient fini par éclore, sans Luna. Alors pour elle, il s’occupait de son jardin. Un gnome de jardin approcha avec intérêt et contempla les fleurs avec lui. Cela lui procura du réconfort. Peut-être que la morsure du gnome au mariage de Bill et Fleur Weasley porterait chance à sa fille ? Oui, il en était sûr. Il l’aurait su. Le contraire était impensable, impossible à concevoir. Non, Luna ne pouvait… Non. La terreur glacée le submergea à nouveau, suffocante. Il abandonna le gnome interloqué et se précipita à l’intérieur de la maison. Il fallait qu’il s’occupe autrement, qu’il trouve n’importe quoi.
Ce fut à ce moment que des coups furent portés à la porte d’entrée. Nom d’un Billywig, pourquoi ces visiteurs choisissaient le pire moment ? Exaspéré, il ouvrit la porte.
— Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? s’écria-t-il, d’une voix haut perchée, grincheuse.
Trois jeunes gens se tenaient sur le seuil. Ces visages, il les connaissait. Ils se trouvaient sur le plafond de Luna, la jeune fille et le rouquin. Mais ce fut surtout le troisième qui retint son attention. Une cicatrice en forme d’éclair lui barrait le front.
— Bonjour, Mr Lovegood, dit Harry en lui tendant la main. Je suis Harry, Harry Potter.
C’était impossible. Figé sur le seuil, il marqua un temps d’arrêt, inconscient de la main tendue. Était-ce un stratagème, une illusion ? Il fixa la fameuse cicatrice. Il n’y avait pas de doute, c’était bien lui. C’était sans nul doute une offrande du gnome de jardin. Était-ce là, sa chance de sauver Luna ?
— Pouvons-nous entrer ? demanda Harry. Nous voudrions vous poser une question.
Non, Luna ne voudrait pas qu’il livre ses amis. Elle le haïrait s’il se rendait coupable d’un tel forfait. Que faire, par Merlin, que faire ?
— Je… Je ne suis pas sûr que ce soit raisonnable, murmura Xenophilius.
Il déglutit et jeta un rapide coup d’œil dans le jardin. Le gnome avait disparu.
— C’est assez surprenant… Ma parole… Je… Je pense que je devrais…
— Ce ne sera pas long, promit Harry.
Il n’avait pas le choix. C’était un signe et il ne pouvait l’ignorer. Ce serait dangereux, il se haïssait déjà pour ce qu’il allait faire, mais l’espoir de retrouver Luna fut plus puissant.
— Je… Bon, d’accord, entrez vite. Vite.