« Ameliaaa… siffla le Patronus d’Edgar. »
La petite Amelia explosa de rire et essaya d’attraper l’animal de fumée. Sur ses jambes maladroites d’enfant, elle poursuivait le lézard d’un bleu transparent.
« Siegfried ! Edgar, Siegfried s’échappe ! babilla-t-elle avec des gloussements amusés.
— Soyez plus leste, mon enfant ! Désirez-vous recevoir à nouveau encyclopédies et grimoires sur votre chef pour redresser votre dos courbé d’ancêtre ? se moqua Edgar. »
Edgar imitait très bien la vieille Tante Abigail toujours engoncée dans ses corsets et sa bienséance. Mais la petite Amelia avait bien d’autres ambitions que boire le thé avec le petit doigt en l’air et parler d’une voix calme et posée. Ce que la petite Amelia Bones voulait, c’était attraper le lézard de fumée répondant au doux nom de Siegfried.
« Edgar ! appela-t-elle. »
Elle s’écroula dans l’herbe et continua de rire avec toujours plus de bonheur d’être le centre d’attention de son grand frère adoré. Siegfried le lézard revint aussitôt grimper sur sa tête. Les chatouilles de sa langue sur le bout de son nez lui arrachèrent de nouveaux éclats de rire.
« Edgar, maman va être furieuse ! s’exaspéra Robin en déboulant dans le jardin.
— Edgar, votre mère ne sait définitivement point vous éduquer, reprit Edgar avec une dramaturgie égale aux manières de Tante Abigail. C’est un dressage qui est dorénavant nécessaire à votre jeune sœur à cause de vos agissements. Heureusement que ce cher Robin a, quant à lui, de la finesse dans son maintien. Ce n’est nonobstant guère à lui de…
— Edgar, sois sérieux deux minutes, soupira Robin en remettant la petite Amelia sur ses pieds. Tu as trente ans, tu es marié, tu as trois gamins, tu…
— Ce n’est pas Siegfried, ça, intervint la petite Amelia en pointant les fourrées du doigt. »
Les yeux rouges de la bête la regardaient avec une fixité dérangeante depuis une bonne minute lorsque ses frères cessèrent de se chamailler et baissèrent les yeux vers elle.
« Qu’est-ce que c’est ? demanda la petite Amelia avec curiosité.
— Un… serpent, répondit Robin avec étonnement. Que fait un serpent aussi gros au Royaume-Uni ? »
Amelia se contenta de s’approcher, les mains en avant. Elle renifla une courte seconde l’odeur froide et humide du reptile qui s’infiltra dans ses sinus avec quelque chose de désagréable. Le serpent s’enfuit et Amelia se précipita à sa suite. Elle entendit vaguement Edgar et Robin la prier de revenir, mais elle ne voyait plus que la queue verte et écailleuse du serpent. C’était comme si plus rien d’autre n’existait et que son monde entier se réduisait à la poursuite du reptile fuyard. Mais le reptile n’était plus gentil lézard, il était serpent pernicieux.
.
L’explosion réveilla brusquement Amelia. Elle retrouva sa chambre impersonnelle et ses draps froids depuis des années. Caresser la peau de Donna en pleine nuit pour oublier ses cauchemars lui manquait plus qu’elle ne l’aurait jamais avoué. C’était toujours le même rêve effroyable de nostalgie et d’horreur qui revenait depuis le jugement d’Harry Potter – une histoire de Détraqueurs l’année dernière. Edgar, Robin et elle, dans le jardin de la maison familiale à jouer à Attrape-Siegfried. Le souvenir s’était altéré au fil du temps. La simple inattention de la petite Amelia durant le jeu avait pris l’apparence du fameux serpent de Voldemort, Robin était devenu grincheux, et Edgar… avait eu l’âge de sa mort, avec une femme et des enfants.
Le même bruit d’explosion retentit et fit sursauter Amelia. Elle repoussa les couvertures d’un geste précipité pour sortir du lit. C’était sans doute Robin qui s’était encore une fois embrouillé avec son épouse ou Jessica qui pleurnichait sur un énième homme rustre et décevant.
Ses pieds glissèrent dans ses pantoufles sagement alignées à côté de son lit. Elle chercha son kimono à tâtons sur le fauteuil pour l’enfiler par-dessus sa chemise de nuit.
L’explosion de bruit contre la porte la fit sursauter une troisième fois.
« Voilà ! J’arrive ! » s’époumona-t-elle inutilement.
Elle s’engouffra hors de sa chambre, baguette pointée devant elle pour s’éclairer. Manque de chance, elle marcha sur la ceinture inégalement répartie autour de sa taille et dévala les escaliers dans un fracas retentissant, perdant une pantoufle ici, déchirant son kimono là. Elle mit un temps à se relever, complètement sonnée. Robin ou Jessica s’énervait un peu plus contre la porte d’entrée pendant quelle jurait comme un Chartier. C’était pénible. C’était le troisième kimono qu’elle abîmait de cette manière. Elle devait vraiment faire régler ses verres de lunettes. Si elle séjournait à Ste-Mangouste pour une chute idiote dans les escaliers à cause d’un kimono mal mis et de verres de lunettes mal ajustés, le Département de la Justice Magique serait bien avancé. Elle essaya tant bien que mal de remettre les pans du kimono déchiré sur elle mais l’exaspération la gagnait. Robin ou Jessica avait intérêt à avoir une très bonne raison pour la réveiller en pleine nuit, lui faire dégringoler les escaliers, déchirer son kimono et détruire son ouïe avec des coups de tonnerre contre sa porte. Qu’ils viennent directement frapper ses oreilles tant qu’ils y étaient !
C’est au moment où elle ouvrit sa porte d’entrée pour hurler après le visiteur qu’elle se trouva d’une stupidité inouïe.
Le cri sortit tout de même de sa gorge. Elle ne parvint pas à refermer la porte assez vite face aux yeux rouges de son rêve. Ce n’était plus au serpent de s’enfuir, c’était à elle. Elle se jeta derrière le canapé de son salon en s’efforçant d’étouffer ses cris de panique.
Car elle n’avait plus seulement le serpent de ses cauchemars en face d’elle.
« Amelia Bones... siffla la voix reptilienne de Lord Voldemort. Amelia ne rentrez pas dans votre terrier comme un blaireau. Faisons connaissance, voulez-vous. »
Sa baguette était chaude dans sa main. Elle écouta sa respiration lourde. Elle avait enfin une chance d’atteindre le souhait le plus cher de tous les sorciers de Grande-Bretagne. Ce n’était pas seulement pour Edgar qu’elle sentait son cœur battre à toute vitesse dans sa poitrine. C’était pour elle, pour la peur et le maigre espoir de pouvoir arrêter la vague de destruction que Voldemort abattait à nouveau sur le monde.
« Amelia, écoutez-moi. »
La main froide et impérieuse de Voldemort s’invita dans sa tête pour s’emparer de sa volonté et dévorer sa liberté. Mais l’Impero avait seulement un goût amer pour Amelia, et elle le repoussa aussi violemment que le mage noir avait arraché Edgar de sa vie. Elle ne voulait pas discuter avec Voldemort et l’odeur de mort qui embaumait l’air sur son passage. Elle ne voulait pas écouter sa voix mielleuse embrumer ses pensées.
Elle le voulait mort, à ses pieds.
« Je suis Legilimens et Occlumens, Mr Voldemort. » se rebiffa-t-elle sans percevoir de tremblement dans sa voix.
Parce qu’elle ne tremblait pas. Elle savait qu’il n’y aurait que deux issues au combat : sa mort à lui ou sa mort à elle.
Et elle était prête, quitte à mettre sa vie en jeu.
« Vous êtes puissante, Amelia, il serait temps de rejoindre le camp des gagnants, lui indiqua Voldemort d’une voix plus forte. »
Elle comprit trop tard que ses quelques mots avaient permis à Voldemort de deviner sa cachette. Le meuble explosa alors qu’elle se jetait contre le mur. Elle eut à peine le temps de lancer un sortilège de Défense qu’une pluie d’éclairs rouges s’abattit sur elle, pulvérisant les objets alentours.
« C’est aussi ce que vous avez proposé à mon frère ? hurla-t-elle en jetant un Maléfice Cuisant entre deux sortilèges de son adversaire. »
Une brûlure cuisante à la cuisse lui fit perdre l’équilibre et crier de douleur. L’estafilade saignait déjà abondamment lorsqu’elle réussit à s’enfermer dans la salle à manger. De rouge, le sang devenait progressivement noir à cause du maléfice de Voldemort. Sa jambe s’engourdissait et exhalait une odeur de putréfaction absolument insoutenable. Tout en se concentrant sur ses inspirations et expirations pour ne pas penser à la douleur, elle détacha un morceau de sa chemise de nuit pour le ceinturer autour de sa cuisse. C’était de ça qu’Alastor parlait lorsqu’il décrivait le Maléfice de Gangrène ?
« Amelia, ouvrez-moi. Je ne viens que vous demander du soutien dans notre quête d’un monde meilleur pour les sorciers. Les vrais sorciers, précisa Voldemort derrière la porte.
— Je vais vous tuer ! hurla-t-elle en serrant un peu plus la bande de fortune pour arrêter le flux de magie noire.
— Amelia, je demande des jugements cléments pour nos alliés, une convocation pour Harry Po…
— Vous allez mordre la poussière et croupir avec les Veracrasses ! cria-t-elle en se remettant debout tant bien que mal. »
Elle était au bout de la table, juste en face de la porte. Dès qu’elle lèverait le sortilège et qu’il pousserait le battant, elle n’aurait qu’un seul sort à lancer.
« Vous devenez grossière, Amelia, siffla Voldemort. »
Il était chez elle, dans son salon, il voulait la tuer, comme Edgar, comme…
La porte s’ouvrit d’un coup.
Elle cria le sortilège de la Mort.
L’Avada Kedavra se contenta de rebondir sur la peau blafarde de Lord Voldemort et de percuter le miroir qui vola en éclat.
Tout comme la foi et l’espoir d’Amelia Bones.
Elle vit les yeux rouges de Voldemort briller dans la semi-pénombre de la pièce d’une lueur de colère pendant qu’elle ne comprenait pas.
Elle avait lancé le sortilège, elle était sûre de vouloir la mort de ce sorcier. Pas par souci de vengeance, mais pour sauver. C’était une mort pour sauver des vies. Son âme n’était pas déchirée, son âme voulait sauver, son…
« Vous m’ennuyez, Amelia, gronda la bouche sans lèvres de Lord Voldemort. Vous avez compris que je ne pouvais mourir, vous ne voulez pas coopérer de votre plein gré et en plus vous résistez au sortilège de l’Imperium. Que me reste-t-il si ce n’est vous tuer ? »
Si Amelia avait cru avoir peur en découvrant devant sa porte le visage blanc comme un cadavre, sans nez, sans sourcil, sans cheveu et avec des yeux rouges de serpent, elle comprit que ce n’était rien par rapport à cet instant.
À cet instant, elle était terrifiée.
Elle était terrifiée de comprendre enfin ce que les Aurors lui disaient depuis des années dans les procès, que Voldemort était trop fort.
Invincible.
Immortel.
« Je ne veux pas jouer au chat et à la souris, Amelia, lui annonça Lord Voldemort en faisant le tour de la table. »
Il leva sa baguette quand Amelia ne trouva plus qu’une solution pour gagner du temps. C’était évident à présent qu’elle n’était pas celle qui vaincrait le mage noir. Elle ne pouvait que retarder l’instant. Elle se jeta sous la table, tapa du poing sur la latte de parquet magique et récupéra la fiole de potion d’oubli.
Elle n’hésita pas une seconde à en vider le contenu dans sa bouche.
Car sa bouche, quels que soient les maléfices lancés contre elle, devait garder pour elle ce que le Ministère savait sur Lord Voldemort.
« Qu’est-ce… »
Elle regarda la fiole vide rouler sur le parquet en oubliant progressivement ses désirs, ses ambitions, ses joies, ses peines… sa vie.
Elle ne sut bientôt plus qu’une chose.
Se battre jusqu’à ce que mort s’ensuive.