J'aime pas Greyback. Russel et Albert non plus, à en croire leurs regards méfiants. Seule Minny en est complètement dingue. Elle gambade autour de lui comme du bon gibier. Il y a une alchimie bizarre entre eux, et je vois la soif de sang de mon amie refaire surface avec lui. Comme d'habitude, Troll ne dit rien.
On a été forcés de rejoindre « la meute » il y a quelques jours. Rien que le nom est inquiétant. C'est un espèce de groupe de Rafleurs mélangés à des loups-garous, et ceux-là me donnent des mauvais frissons. Ils sentent des trucs qu'on sent pas, ils boivent des trucs qu'on boit pas, et surtout, ils bouffent des trucs qu'on bouffe pas.
Au début, on a protesté pour garder notre indépendance. Russel a fait un tas de discours, je crois même qu'il a réussi à parler à un Mangemort mais apparemment, ils préfèrent nous garder sous contrôle. On a fini par céder.
Ça fait donc des semaines qu'on suit Greyback et sa meute à travers le pays. L'avantage, c'est que quelques membres de leur groupe savent transplaner. Ils ont aussi un certain talent pour sentir la proie. Ce matin, justement, ils ont senti un truc.
J'étais en train de me plaindre à Troll - le dernier de notre groupe à pouvoir supporter mes complaintes sans dire un mot - de l'absence de Frieda. Deux semaines qu'on s'était pas vu, c'était long, j'en avais marre de partager ma couchette miteuse avec Russel et son énorme bide. Soudain, un des loups garou s'est mis a renifler, et puis ils ont tous reniflé, et on a dû les suivre dans la forêt.
Résultat : ça fait une heure qu'on trottine à côté de Greyback parce que Minny le suit comme un aimant. Une heure que Russel marmonne qu'on s'y prend comme des pieds de Troll - littéralement.
- Ta meute est trop bruyante, ronchonne-t-il en se frottant le front qu'il vient de cogner à une branche.
Greyback l'ignore. Il s'arrête et désigne un arbre qui a dû avoir connu Merlin tant il est vieux.
- Poste-toi là-bas, ma jolie, dit-il à une Minny guillerette. On va les encercler.
- Encercler qui, abrut...
Mais l'insulte de Russel se perd quand il aperçoit, en même temps que moi, un groupe de sorciers et de Gobelins à découvert dans une clairière. Ils n'ont clairement pas l'air d'être en piquenique du dimanche, et ça sent bon pour nous, car les sorciers en cavale sont les meilleures prises.
Je vois Russ compter nos effectifs. Une partie du groupe est dispersé ailleurs, on doit être une dizaine en comptant notre petit clan à nous. Nos proies sont cinq, mais les deux Gobelins ne comptent pas.
Troll respire bruyamment. Albert regarde Russel, qui a toujours l'air de soupeser nos chances. Minny nous sourit de toutes ses dents derrière son arbre.
Elle part à l'attaque quand Greyback lance l'assaut.
- MAINTENANT !
Je les suis avec un temps de retard. Très vite, les trois sorciers s'aperçoivent de notre présence et se jettent sur leurs baguettes pendant que les Gobelins lève les mains en l'air, déjà prêts à se rendre.
Et on se rend vite compte d'un problème. Ils sont doués. Le plus vieux maitrise rapidement trois loups garou, tandis que le plus jeune, un garçon à la peau noire, engage un duel serré avec Minny. Le troisième les couvre avec des charmes que je ne connais pas mais dont l'effet est toujours le même : nos sortilèges ne les atteignent pas.
Pas besoin de s'appeler Russel pour comprendre qu'ils ont une stratégie alors qu'on agit dans le plus grand chaos. Troll se contente de gueuler et si c'est assez impressionnant au début, ça devient vite lassant. Albert se sert de lui comme d'un bouclier tout en lançant des sorts à peu près aussi inefficaces que les miens. Les autres attaquent au hasard. Dix contre trois et on perd quand même.
Je reprends mon souffle un moment et c'est là que je remarque que Russel ne pointe pas sa baguette sur nos victimes. Il la garde en l'air et trace des cercles, les sourcils froncés, concentré.
- Je les empêche de transplaner, explique-t-il quand il voit que je l'observe.
Et personne n'y aurait pensé sans lui.
Un Rafleur tue un Gobelin, et il y a un silence. Un oiseau s'envole.
- Gardez l'autre en vie ! hurle Greyback.
Et le chaos reprend. Et progressivement, d'autres Rafleurs nous rejoignent. Nos proies doivent comprendre qu'elles ne gagneront pas. Le plus vieux donne une tape sur l'épaule du garçon, puis il crie quelque chose et tous trois se dispersent hors de la clairière.
Minny poursuit sa première cible et je suis presque sûre qu'elle l'aura. Le sorcier qui se chargeait de les couvrir part dans la direction opposée, poursuivi par des Rafleurs que je ne connais pas. Et nous, on se retrouve avec le vieux. Il passe pas loin de moi et me stupefixie au passage. Une seconde plus tard, je suis libéré du maléfice par Russel, je crois, que je dépasse rapidement en slalomant entre les arbres. Je prends très vite de l'avance dans ma chasse au sorcier.
Je suis le plus rapide et agile. Je dévale derrière le vieux une butte pleine de ronces, et quand il comprend qu'il est coincé, il me regarde par derrière son épaule avec une détermination qui me donne des frissons. Il est essoufflé, épuisé, et je suis un peu étonné quand j'arrive à lui lancer un sort qui le projette violemment contre un arbre. Je m'approche de lui. Il a le souffle coupé, les vêtements déchirés par les ronces, sa baguette perdue dans les feuilles mortes.
Je pointe la mienne sur lui, attendant que les autres me rejoignent pour le livrer au Ministère.
- Tu vas me tuer, gamin ? demande le sorcier.
Je hausse les épaules, préférant lui faire croire temporairement à ce mensonge. Il y a aussi ce truc : la peur des autres rend plus fort.
- Il faut bien manger.
- J'ai une femme et une fille.
- J'ai personne.
- Je ne te crois pas.
Je croise les bras. Ce type n'est pas comme les autres. D'habitude, ils se débattent et nous regardent avec mépris. Ils nous traitent de goules, parfois ils nous crachent même dessus. (En général, je réponds en crachant plus fort. Je suis super fort en crachats, même si Minny est pas mal non plus.)
Mais lui me considère de ses yeux francs, presque rassurants. Sa voix grave m'apaise bizarrement. J'entends les Rafleurs et loups garou se rapprocher de nous.
- Tu t'appelles comment ? je grogne en jetant un bref regard pour remarquer qu'une partie d'entre eux n'est déjà qu'à quelques mètres de nous.
Il hésite.
- Ted Tonks, dit-il finalement d'une voix rauque. Je m'appelle Ted Tonks.
Ted Tonks se décale un peu, faisant crisser les feuilles mortes, et je comprends qu'il cherche assez peu discrètement sa baguette. Il ne me quitte pas des yeux, comme pour s'assurer que je ne bougerai pas. Et moi... bah je suis paumé.
Heureusement, Greyback arrive à ce moment-là et l'empoigne brusquement pas le col. Malgré sa carrure rivalisant presque avec celle de Troll, Ted Tonks n'arrive pas à se débattre. Sa main pend dans le vide, loin de sa baguette.
- T'as dit que tu t'appelais comment, le Sang de Bourbe ? gueule-t-il.
Je m'attends à ce qu'il réponde aussitôt mais quelque chose passe sur le visage du sorcier, qui ferme les yeux et serre les dents comme s'il regrettait quelque chose. Greyback le gifle mais il se tait toujours, et le groupe de Rafleurs maintenant là apprécie le spectacle. Alors que le visage de Ted Tonks se met à franchement ressembler aux porridges de Russ, j'interviens.
- Il a dit qu'il s'appelait Ted Tonks.
Je comprends pas pourquoi le vieux secoue la tête comme ça, ni pourquoi Greyback sort un parchemin de sa poche. Il doit trouver ce qu'il cherche parce qu'un sourire inquiétant se dessine sur son visage, qu'il rapproche trop de moi à mon goût.
- T'as bien dit Ted Tonks, morveux ?
Son haleine me dégoûte.
- Ouais, je réponds en m'éloignant de lui.
Et cette simple réponse le fait exploser de joie. Ses cris attirent l'attention des autres loups garous. L'un d'eux arrive.
- Lestrange va nous lécher le cul jusqu'à notre mort ! ricane Greyback. On a trouvé le Sang de Bourbe qui a épousé sa sœur !
- Faut le faire parler, se réjouit l'autre. Si on la trouve, elle, on est bon pour bouffer de l'or toute notre vie !
Je me retourne sur l'assistance qui nous a rejoints. Minny nargue le garçon qu'elle a capturé. Ce dernier ne réagit pas. Il ne quitte pas des yeux la dépouille du troisième sorcier, mort, tenu comme un sac à citrouilles par un loup garou énorme. Le reste de la meute continue d'affluer, gueulant sa victoire. Albert les considère comme la bande de sauvage qu'ils sont. Et Russel, le visage rouge d'avoir tant couru, me désigne Ted Tonks du menton.
Je me tourne à nouveau vers lui. Il est assis, saucissonné par des cordes épaisses, sa baguette définitivement inatteignable. À côté, Greyback et ses copains débattent de la meilleure manière de le torturer pour qu'il leur livre sa femme et sa fille.
Ted Tonks, lui, me fixe. Dans ses yeux calmes brille autre chose, quelque chose comme de la peur qui me contamine aussitôt. Je me penche sur lui, attiré par lui comme par une Vélane.
- Tue-moi, chuchote-t-il.
Et ça sonne comme « sauve-moi ».
Je fais un pas en arrière, balaie l'assemblée du regard avec la certitude qu'ils l'ont entendu. Mais ils sont tout à leurs festivités. Russel fait mine de me tourner le dos mais j'ai comme l'impression qu'il sait ce qu'il se passe.
J'ai mal au ventre.
Je secoue la tête parce que je sais pas quoi dire.
- S'il te plait, petit.
Ce qui est con, c'est que je suis tellement en colère qu'il me demande ça, que le tuerait bien, là.
Pour qui il se prend, Ted Tonks ?
Il a pas le droit de m'appeler petit après m'avoir demandé de le tuer. Il a pas le droit de me demander ça alors que je vais me faire zigouiller au moment où je l'aurai assassiné. Il a pas le droit de me regarder comme ça, bordel, je suis Rafleur, un petit voleur qui cherche des meilleurs prises, pas un putain de meurtrier !
Je cherche encore Russel du regard. Il hoche la tête comme s'il avait compris. Moi, je comprends juste que tout le monde se fout de mon avis.
Je pointe pourtant ma baguette sur Ted Tonks. Ma main tremble comme un vieux balai. Je suis pas con, je sais que mes captures finissent souvent par embrasser un Détraqueur. Mais là, faire face au vieux...
Il sourit, presque rassuré. Et moi, même avec ma baguette pourrie, je sais que j'y arriverai. Je vérifie une dernière fois que personne ne me regarde.
Et alors je le fais. Je le tue.
Et c'est si simple ! Quelques mots et son corps qui s'affaisse dans ses cordes.
Je suis tellement surpris par la facilité de l'opération que je réalise un peu tard que tout le monde s'est tu. Greyback s'approche dangereusement de moi, je recule.
- Qu'est-ce que t'as fait, espèce d'abruti ?
- J'ai dû me tromper de sort, je réponds rapidement en sautillant en arrière.
Il sourit de toutes ses dents noires.
- Vraiment ? On va voir si je vais me tromper de sort, maintenant...
À force de reculer, je trébuche et tombe comme un con dans les branches sèches. J'ai tellement peur que je tremble, et jamais je l'avouerai mais j'appelle doucement : « Maman. ».
Pourtant, c'est un immense corps se place devant moi.
- Touche pas.
Juste comme ça, Troll me protège de Greyback, des Rafleurs et des loups garous qui se jettent sur moi en comprenant que j'ai ruiné leur seule chance de capturer une proie de valeur.
Et alors que Albert me tire en arrière, que Russ prend les devants, que Minny couvre nos arrières, qu'on s'éloigne tous de la silhouette rugissante de Troll, à ses pieds le cadavre de Ted Tonks, je pense à ce que le vieux m'a dit. « Je ne te crois pas. » Oui. Peut-être bien que je ne suis pas vraiment seul.
***
Pendant des jours, je parle pas. Les autres s'inquiètent un peu, parce que je suis pas du genre à tirer la tronche. Mais j'ai rien à dire. C'est tout.
Il y a aussi qu'il manque Troll. On l'a laissé avec la meute de Greyback et les cadavres de Ted Tonks, de l'autre sorcier et du Gobelin. On sait pas ce qui lui est arrivé. J'espère qu'ils l'ont pas tué. Je suis sûr que c'est impossible, Troll est increvable, mais son absence nous perturbe. Tout semble plus grand, trop grand sans lui pour nous forcer à nous coller les uns aux autres. Tout semble vide. Même sa puanteur me manque.
Son absence et la mort de Ted Tonks me font mal.
- Il était vieux, ton Sang de Bourbe, de toute façon.
Minny a une façon de me consoler qui ne fonctionne que moyennement. Même Albert détourne les yeux. Russel réfléchit dans son coin. Il doit penser à une prochaine cachette. Ça fait bizarre, de se planquer comme des proies après des semaines à jouer les chasseurs. Mais d'après lui, c'est temporaire. On doit faire profil bas le temps qu'ils nous oublient. Ensuite, tout reviendra à la normale.
- Je pourrais parler à Greyback pour qu'il nous réintègre dans sa meute, lance encore Minny dans le silence.
- Non merci, grogne Albert. Pas très envie de te voir fonder une famille de louveteaux avec lui.
Elle se redresse brusquement, manquant de se cogner à la paroi humide de la grotte où on se cache depuis trois jours. Les Lumos de nos baguettes réunies donnent à sa peau une teinte bleue, un peu inquiétante. Elle s'ennuie et je crois qu'elle est prête à tout pour retrouver l'adrénaline d'un combat.
- Quoi ? T'es jaloux ?
- Pas vraiment, répond Albert d'un ton placide qui contraste avec l'agressivité de Minny. Simplement, je ne savais pas que tu en pinçais pour les hybrides.
- Un peu plus que pour les connards, en tout cas !
Encore. Je prends ma baguette et me lève pour fuir une énième dispute. Je fais tout de même un signe silencieux à Russ pour le prévenir que je vais faire un tour. Il hoche vaguement la tête.
Bizarrement, plus je sors de la grotte et moins il fait froid. Il fait nuit, aussi, et j'écoute les bruits de la forêt. La vérité, c'est que c'est le truc que je préfère, dans ma « profession » (c'est comme ça que Frieda l'appelle) de Rafleur. Être dans la nature. C'est bête, mais j'ai toujours vécu en ville. Je me retrouvais parfois au parc avec les gens de mon quartier, mais jamais à la campagne.
Et alors que je suis comme un con à m'extasier devant les arbres, je me laisse surprendre. Un croche pied, puis deux mains sur mon torse qui me plaquent au sol. Je résiste pas. Je me mets même à fermer les yeux, trop fatigué pour faire quoi que ce soit, résigné à laisser mon agresseur me dépouiller.
Puis je sens une odeur. Celle de l'unique Rafleur d'Angleterre à sentir bon.
J'ouvre les yeux et c'est Frieda qui me surplombe. Frieda et ses cheveux blonds qui brillent sous la lune, et ses yeux-papillons qui me dévisagent bizarrement. Elle est à califourchon sur moi et si je ne me débats pas cette fois, c'est parce que cette position n'est pas si désagréable que ça.
- Je pensais que tu serais plus heureux de me revoir, dit-elle d'un ton taquin.
Je réalise que j'ai pas souri. J'essaie mais j'y arrive pas, alors je fais semblant d'aller bien en croisant les mains derrière ma nuque, toujours allongé sous elle.
- Tout dépend de si tu veux me donner à bouffer à Greyback.
Elle hausse les épaules.
- Greyback est passé à autre chose.
- Alors t'as appris ?
Je me moque d'avoir ruiné les petits plans de Greyback. Par contre, je sais pas pourquoi, mais l'idée que Frieda sache que j'ai tué Ted Tonks... ça...
Mais elle fait pas de remarques.
- Oui. Au début, tout le monde en parlait. Et puis il s'est rendu compte que tout le monde se foutait de lui parce qu'il s'était fait avoir, alors il a fait taire les gens.
Ça me rassure un peu mais pas vraiment. J'essaie de sourire, encore.
- Je suis pas là pour te ramener à lui, ajoute-t-elle.
- T'es là pourquoi, alors ?
- Pour te ramener à moi.
Cette fois, j'arrive un peu à sourire.
- Je savais que t'étais assez folle de moi pour me traquer dans tout le pays.
Frieda secoue la tête mais se penche ensuite et m'embrasse tout de même. C'est comme une immense bouffée d'air, un grand vent qui éclaircit le brouillard des derniers jours. Tout, son odeur, ses lèvres, ses cils qui caressent mes joues quand elle s'écarte doucement, tout allège le poids de Géant que j'avais dans la poitrine. Puis elle se laisse tomber à côté de moi, face au ciel.
On a l'air de deux cons amoureux qui regardent les étoiles.
Et c'est bizarre mais c'est exactement ça. Frieda continue de voir d'autres gars, de temps en temps, mais je crois que c'est pour se rassurer. Parce qu'on a un truc tous les deux, un truc qui fait qu'à chaque fois qu'on s'embrasse, c'est comme si c'était la première fois et la millième fois. Je sais qu'elle est fière alors je vais pas en rajouter, mais si elle m'a traquée jusque ici... eh ben c'est qu'elle est vraiment folle de moi. Frieda ou l'unique Rafleur dans toute l'Angleterre à porter des robes courtes pour chasser les ennemis du régime est amoureuse de moi.
- Je lui ai demandé son prénom, je lâche finalement alors qu'elle enroule son bras au mien.
Sa tête repose sur mon épaule. Je respire son shampoing et ferme les yeux.
- Je lui ai demandé son prénom, et puis je l'ai tué. Il avait un regard bizarre...
- Tu l'as tué parce qu'il te regardait de travers ? se moque-t-elle.
Je souris un peu.
- Quelque chose comme ça, ouais.
- Et alors ? me demande-t-elle en se redressant sur le coude.
- Alors quoi ?
- Il s'appelait comment ?
- Ted Tonks.
Dire à haute voix ce nom qui tourne dans ma tête depuis des jours me soulage un peu. Frieda plisse les yeux, semble se souvenir de quelque chose.
- Je connaissais une Nymphadora Tonks.
- Quoi ?
- Je connaissais une...
- T'es sûre ?
- Il y a pas mille personnes assez timbrées pour s'appeler Nympha...
- Il m'a dit qu'il avait une fille, je souffle, le cœur battant.
- Elle était à Poudlard avec moi.
Cette découverte n'a pas l'air de la choquer mais moi, je suis brusquement agité. Je me redresse et m'assois face à elle. Frieda est allée à Poudlard jusqu'à sa Quatrième année, avant d'être virée pour comportement inapproprié - quel comportement, aucune idée.
Alors elle a connu la fille de Ted Tonks...
- Pire binôme de Potion, commente-t-elle comme je me tais. Elle passait pas un cours sans renverser un chaudron. Ça va ?
Je sais pas. Peut-être que j'ai sauvé Nymphadora Tonks en tuant son père. Pas besoin de s'appeler Russel pour comprendre qu'il cherchait à la protéger, elle et sa femme. Et je sais pas. Non, vraiment, je sais pas. Je sais pas quoi penser et j'en ai marre. J'avais pas prévu ça. Je veux oublier Ted Tonks et Nymphadora Tonks, je veux oublier l'éclair verdâtre qui pourrit mes rêves, je veux oublier que je n'ai jamais autant détesté la magie, et cette fichue baguette, et cette cachette, et le regard de Ted Tonks, et ma colère, et... Je veux juste être tranquille.
Je me rallonge à côté d'elle. Je suis sur le point de proposer à Frieda de construire une cabane pour vivre tous les deux dans la forêt jusqu'à ce que je sois trop vieux et moche pour elle, quand elle me demande, son souffle tout près de mon cou :
- Tu m'as jamais dit comment tu t'appelais.
- Tu sais comment je m'appelle, je ricane. Je m'appelle Paki.
Ses cheveux me chatouillent quand elle secoue la tête.
- Ton vrai prénom.
C'est bizarre, mais je dois réfléchir pour m'en souvenir. Ça fait des années qu'on m'appelle Paki. Au début, je le choisissais pas. Je comprenais pas, parce que les gens appelaient aussi ma mère comme ça. Ils le lui disaient avec un dégoût qui me donnait envie de les frapper. Elle, elle les corrigeait patiemment : « Moi Neha », les premiers mois - puis plus tard, avec le plus bel accent anglais : « Je m'appelle Neha, Monsieur. Appelez-moi Neha. »
Je suis pas comme Maman, je suis pas patient. Comme les autres changeaient pas et retenaient pas mon prénom, ou s'en foutaient royalement, j'ai décidé que je serai Paki. J'ai fini par prendre les devants et me présenter, directement, fièrement, comme Paki.
Ma mère aurait détesté ça. Elle adorait mon prénom.
- Kumail, je prononce enfin comme un mot étranger, avec l'accent qui me donne l'impression de revenir au Pakistan. Ça veut dire « perfection ».
Je joue le gars hautain, un sourcil levé à la Albert. Mon prénom plane longtemps entre nous dans la nuit.
- C'est joli, dit-elle, un immense sourire sur ses lèvres rouges.
- Non, c'est Kumail.
Frieda rit au souvenir de notre première conversation puis m'embrasse encore.
Je crois que je vais vraiment la construire, cette cabane dans les bois.