C'est la rentrée des classes aujourd'hui. La gare de King's Cross est pleine, gonflée par les sorciers qui déposent leurs enfants dans le Poudlard Express.
J'attends. Je me dis qu'avant, j'aurais passé mon angoisse en faisant les poches des voyageurs. Là, je les regarde simplement. Ils sont marrants. Ils sont de toutes les formes et de toutes les couleurs. Ils crient et respirent fort, et leur souffle me remplit doucement.
Tout s'apaise et s'allonge jusqu'à ce que je les vois. Je suis pas le seul à les reconnaitre, mais je suis le seul à venir me planter devant eux. Une des deux femmes dit très vite :
- Bonjour, merci, désolée on n'a pas le temps et...
- J'ai tué Ted Tonks.
- Pardon ?
- Vous avez ma baguette ? je demande au rouquin.
- Qui êtes-vous ? dit l'autre en se frottant le front.
Harry Potter. Le gros poisson. Ça me fait rire alors je ris, et ils me regardent comme si j'étais fou.
- Je suis Kumail.
- Il vient d'Azkaban, dit la femme aux cheveux bouclés.
Elle, je l'ai vue visiter ma cellule, à la fin. Elle s'appelle Hermione Granger. Elle a dû voir le tatouage sur ma cheville.
- J'ai tué Ted Tonks, je répète alors pour leur expliquer. Vous avez ma baguette.
- Venez, il est dingue, dit le rouquin.
Je le regarde. Il a changé.
- Tu te souviens pas de moi ? je lui demande en pointant le doigt sur mon visage. Il y avait Minny, Albert, Troll et Russel. Mais Russel se planquait à moitié dans une poubelle.
Il bafouille, il comprend pas, et je le comprends parce que j'y ai jamais rien compris.
- C'était il y a dix-neuf ans. Non... Vingt ans ?
Autant d'années passées à Azkaban après un procès pourri. Pendant que les Mangemorts discutaient avec leurs riches avocats, que le petit Malfoy était gracié, des magistrats réticents me demandaient si j'avais des regrets ; ils m'assuraient que si j'en avais, ma peine serait adoucie. Alors j'ai dit :
- Je regrette tout. Je regrette la guerre, et les rafles, et la saleté. Je regrette la force qu'on avait tous ensemble. Vous savez, si je pouvais revenir à cette époque, j'y retournerais sans hésiter. La plus belle période de ma vie.
Je l'ai dit en pleurant, mais j'ai un peu souri quand ils se sont énervés. Je l'ai répété devant l'assemblée de sorciers, puis il y a eu un grand coup de marteau, et « Azkaban ! », et le néant.
Dix-huit ans, ou vingt ans, donc, pour meurtre et collaboration avec l'Affreux. A l'époque, je me fichais bien de ce que ces types en robe disaient. Je crois que j'espérais que Russel viendrait me sauver.
Alors, la première chose que j'ai faite quand on m'a sorti d'Azkaban, c'est aller le voir. J'avais un tas de questions. J'allais le secouer. Pourquoi tu nous as lâchés après nous avoir tous emmenés mourir au pied de ton château adoré ? Pourquoi tu t'es caché quand l'autre m'a arrêté ? Et bordel, Russ, pourquoi Albert, pourquoi Minny, Minny, je pleurerais si la pierre de la prison n'avait pas bu toutes mes larmes.
Je l'ai trouvé facilement, au Chaudron Baveur, seul à une table avec son verre de limonade.
J'ai tiré un tabouret et je me suis assis en face de lui. J'ai pas parlé, je l'ai juste regardé. J'ai compris qu'il était pas si vieux, avant ; que maintenant, il était vraiment vieux. Ses épaules étaient très basses. Je me suis demandé ce qu'il pensait de moi. J'étais plus vieux mais j'avais rien vécu. Je me sentais comme à mes dix-huit ans. J'avais l'impression d'être encore l'enfant qui pleurait dans les cendres.
Comme souvent maintenant, mes questions ont pris le premier hibou qui passait et se sont envolées. Restait que sa fiente dans ma tête, un tas de merde incompréhensible qui ne laissait qu'un gargouillis dans ma gorge.
Comme il disait rien, j'ai finalement réussi à demander :
- Troll est mort ?
Il a levé ses yeux sur moi, ses yeux trop intelligents derrière ses gros sourcils gris. Il s'est raclé la gorge.
- Parti en Europe de l'Est. La Hongrie.
J'ai souri.
- Tu trouveras Minny et Albert à Balmaha.
Un moment, j'ai cru que je les trouverai vivants, et je les ai imaginés en train de se hurler dessus, heureux. Puis j'ai compris, et je suis parti visiter leur cimetière sans dire au-revoir à Russel.
Il pleuvait à Balmaha et les égouts semblaient rejeter toutes leurs merdes. Ça puait. Ça m'a rappelé notre rencontre.
J'ai trouvé leurs tombes. Je me suis demandé qui avait mis ces fleurs sauvages sur la pierre et taillé ces plaques grossières :
Mineral Waters
1968-1998
Albert de Montrose
1969-1998
J'ai ri en lisant le nom de Minny, puis mon souffle s'est coupé. Ça m'a fait plus froid qu'avec un Détraqueur. Ça m'a tiré, là, au fond de la gorge.
- Vous êtes un des Rafleurs qui me sont tombés dessus quand je suis parti.
Je cligne des yeux. Harry Potter et Hermione Granger et l'autre rouquine regardent le Weasley et finissent par comprendre. Ils se tendent tous, puis ils se calment et échangent un regard. Ils se disent sûrement : c'est du passé. Et on a gagné. Laissons ce pauvre type à moitié fou, Azkaban lui en a déjà assez fait baver. Ensuite, ils partent en se tenant par la main ou le bras.
Les valises et les voyageurs les engloutissent. Tant pis. Je dois aller voir Frieda.
Elle est en vie. Quand je suis sorti de prison, elle m'a envoyé une lettre depuis les Etats-Unis. Elle était signée « Jolly » et elle disait :
« Ma presque Perfection,
Si tu ne m'en veux pas pour ma lâcheté, viens me voir. Je ne sais pas quels souvenirs heureux Azkaban t'a volé mais je te rendrai les nôtres. »
Je l'imagine, son maquillage illuminant ses paupières et brouillant le temps sur sa peau.
Comment lui en vouloir d'avoir vu clair dans le chaos ? Comment la trouver lâche, comment l'oublier, comment ignorer l'Hippogriffe qui trépigne dans ma poitrine à chaque fois que je réalise qu'elle est en vie ?
Le Portoloin part dans une minute.
Au dos de la lettre, il y a son adresse, et j'ai regardé, il y a des forêts en Alabama. Il parait qu'elles sentent la boue, la pluie sur le pin et la liberté.