Andromeda Black avait pour Patronus un caméléon. Sa sœur l'avait cafeté à leurs parents et annonçait à qui voulait l'entendre le pathétique exploit. Un délicat et ridicule caméléon.
Mais Ted Tonks était passé par là, et avait dit de sa voix si grave : « le caméléon est un reptile. » Et alors ? Alors, comme le serpent. Et peut-être que Salazar Serpentard parlait aussi caméléon.
Ce jour-là, Andromeda avait pensé avoir trouvé l'homme qui accepterait d'être avec celle qui n'était pas. Elle s'était trompée, car il ne savait pas cela : caméléon est un langage opaque.
Elle s'était fondue chez les Moldus. Elle s'était abandonnée dans la bravoure et la rébellion comme on se faufile entre les vagues. La douceur et la chaleur étaient ses nouveaux fards. Andromeda glissait entre ses identités plus facilement qu'en buvant du Polynectar.
Alors...
- J'ai l'impression de ne pas te connaitre, lui avoua Ted lorsqu'elle se mit à jardiner.
Il faut dire aussi que le monde lui imposait mille identités. Tu es une Black. Tu es une femme. Tu es bête. Tu es ma femme. Tu n'es plus ma sœur. Tu es morte. Tu es mère. Tu es veuve. Tu es sans enfant. Tu es morte.
Elle était des choses, des gens, mais elle n'était pas des sentiments. Andromeda ne se souvenait pas avoir dit une seule fois : « je suis heureuse » ; « je suis triste » ; « je suis amoureuse », tout simplement.
Et son indécision identitaire rejaillit immanquablement sur sa progéniture.
Ironie, Nymphadora lui disait qu'elle ne la comprenait pas, qu'elle n'avait jamais eu à se sentir menacée, détestée pour ce qu'elle était ; qu'elle était, elle, au moins, qu'elle avait un visage.
- Je ne sais même plus qui je suis, Maman, pleura-t-elle un jour de ses quinze ans.
- Tu es spéciale.
Nymphadora avait tout de même choisi d'être Tonks. Puis Lupin. Puis Morte.
Peut-être qu'à force de ne pas être, ou d'être tout, peut-être Andromeda était-elle devenue incapable de les sauver. Peut-être n'avait-elle plus de prise sur le monde. Pourtant, elle avait essayé.
Elle voulut le suivre dans sa fuite. S'adapter pour survivre, c'était elle, après tout.
- Je suis un caméléon, tu te souviens ? Tu ne trouveras jamais meilleure alliée pour passer inaperçu. On sera deux fugitifs, comme dans ton film moldu. Bonnie and Clyde.
- Andromeda...
- Ted ?
- Nympadora a besoin de sa mère.
Elle voulut la retenir.
- Ne pars pas. Reste pour lui.
- Tu t'occuperas de lui. Tu es sa grand-mère.
- Je suis ta mère.
- Je sais, Maman, mais... Je dois y aller. Je me trahirais, autrement. Tu comprends ?
Elle ne comprenait pas. Andromeda s'était trahie toute sa vie. C'est ainsi qu'elle était devenue l'une des dernières survivantes de la famille Black.
Ne restait que Narcissa, Narcissa qu'elle avait retrouvée au Square Grimmaurd. Le petit Teddy à ses pieds dessinait sur la vieille tapisserie. Elles s'étaient réconciliées car elle devait être sœur.
Narcissa suivait du bout de ses doigts fins ridés les fils dorés les liant tous sur le tissu. Elle s'arrêta sur la brûlure qui noircit sa peau pâle.
- Entre toutes... murmura-t-elle, j'étais persuadée que tu resterais. Tu semblais si... à ta place. Là.
À la place des cendres.
- Alors quoi ? dit-elle encore. Tu faisais semblant ?
- Non. C'était moi. C'était moi à chaque fois.
Narcissa était l'apparence. Bellatrix était l'exhibition obscène. Andromeda était différente chaque fois, et pourquoi cela était-il si invraisemblable ? Car la vie change les hommes et les femmes, dans le monde - loin du monde des Black, là où il faut être pleinement.
C'était l'obsession de la pureté. Pureté du Sang, de l'identité. Pureté de la volonté, intransigeante ; illusion car la confusion gagne Toujours, même les plus Purs.
Lorsque Druella lui avait ordonné de démontrer son exploit raté, Andromeda avait tremblé. Bella ricanait. Cissy papillonnait. L'argent perça le noir, découpa les ténèbres du manoir, prit forme, doucement, hésita, amorça un caméléon, s'envola en un élégant faucon. On applaudit.
Le lendemain - et cela nul ne le sut - le Patronus devint corbeau. Puis plus tard, blaireau. Il traversa le bestiaire comme la femme traversait les hivers.
Et le dernier hiver, les souvenirs l'ayant quittée, Andromeda ne parvint à le conjurer. Ne restait que l'argent de ses cheveux, de sa bague et du lac gelé. Elle était, plus anonyme qu'elle ne l'avait jamais été. Elle était, et pour la première fois, elle était, simplement, heureuse.