Quand on a 4,57 milliards d'années, on en a vu, des choses. D'ailleurs, de mon point de vue, tout est toujours très clair. Après tout, c'est moi qui la donne, la lumière.
Mais c'est aussi ça, la difficulté d'être Soleil : on ne voit jamais l'ombre.
Je n'ai jamais aperçu la ruelle sombre. Les arbres obstruent mes rayons ; où sont les geckos, les phasmes, les étranges poissons ? Je ne connais pas les cache-cache. Et quand je vais me coucher, je ne vois pas la fin de leur baiser.
C'est solitaire, être l'étoile du système solaire.
Sauf quand je la vois. Quand je l'éclaire. Tantôt ronde, tantôt moitié, tantôt creusée. Vous me direz, c'est commun, l'amour du Soleil pour la Lune. On en a bien parlé, ça suffit, la poésie est épuisée.
Seulement, ce n'est pas de l'amour. C'est une amie.
Souvent, le jour, je lui demande ce qu'elle voit et elle me raconte les ténèbres. Elle me parle de cette jeune fille qui lui ressemble. Elle n'est pas comme moi et mon éclairage barbare et cru. Elle ne brûle pas. Elle n'est pas lointaine, dangereuse. Elle est là avec eux.
Parfois, on lui dit de garder les pieds sur Terre. Comme mon amie, je la préfère la tête en l'air. Dans l'univers. Elle observe et comprend les nuances, la brume, l'invisible. Elle perçoit même ce qui n'est pas - mais qu'en sais-je, je ne le vois pas.
Mais je vois bien cela : d'en haut, bizarre, sous mes rayons et sans mes rayons, elle veille sur eux.
Luna.