Elle porte un voile blanc, l'image est étrange. Il l'a toujours vue vêtue de noir, à Poudlard et après ; sa seule touche de fantaisie consistait dans ses bijoux émeraude et les armoiries vertes de leur maison. Ainsi vêtue, elle ne semble pas vraiment elle-même. En vérité, toute la cérémonie ne lui correspond pas, à elle. Bellatrix est forte, indépendante. Elle n'a pas besoin des hommes. Elle n'a accepté que pour contenter son père, contenter la société. Traditions qu'elle respecte trop pour les envoyer paître. Pourtant elle garde la tête haute. Soumise, elle reste digne.
Elle s'avance jusqu'à l'autel appuyée au bras de son père. Ou est-ce lui qui s'appuie sur elle ? Difficile à dire, à les regarder de l'extérieur. Rodolphus se demande la relation qu'ils ont bien pu entretenir, elle et lui, le père et sa fille aînée – Bellatrix n'en parle jamais. Il doit être fier. Rodolphus le serait, à sa place. Cygnus lâche la main de sa fille pour la confier à son futur époux. Rodolphus n'ose pas la serrer. Il n'ose pas la regarder. À travers les gants, sa peau est glaciale.
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La première fois qu'il l'a vue, il ne s'en souvient pas. Trop jeunes. Dans ce cercle de familles, on présente les héritiers avant même qu'ils ne sachent parler. Ainsi, on noue les relations. Il ne s'en souvient pas mais elle a toujours exercé ce pouvoir sur lui. Cette fascination. Déjà enfant, elle était la plus maligne d'entre eux. Elle était différente, la seule fille à s'imposer dans leurs jeux de garçons alors que les autres poupées restaient sages comme des images. Elle gagnait à tous les coups. Rodophus rêvait d'être comme elle.
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– Je ne sais pas à quoi tu t'attends, Lestrange. Sache simplement que je ne serai jamais ta propriété. Je n'appartiens à personne. Ce mariage n'est qu'une façade. De quoi contenter les attentes ; et qui sait, peut-être qu'un jour nous serons contraints à assurer la descendance de nos familles. Mais n'y songe pas. Pas dans un futur proche. Nous avons plus important à faire, tu le sais aussi bien que moi. La marque sur nos bras en témoigne. Je sais que tu n'es pas idiot, Rodolphus, alors tout cela ne doit te surprendre.
Non, il n'a pas été surpris. Il n'en attendait pas moins d'elle. Il n'a pas osé ouvrir la bouche pour répondre. Un simple hochement de tête, une inclinaison respectueuse. Son cœur, dès lors, tiraillé entre des émotions contraires. Ce bonheur qu'elle dorme si près de lui ; dans son lit, leurs noms inscrits à l'intérieur de ces bagues qu'ils portent tous deux. Cette tristesse que jamais l'illusion ne devienne réalité. Il n'en attendait pas moins d'elle. Pourtant, une part de lui a espéré, malgré tout. Mais elle ne lui appartiendra jamais.
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Quand le Seigneur des Ténèbres a commencé à marquer la peau de ses fidèles, ils n'étaient encore que des adolescents. À Poudlard, leur groupe s'est détaché petit à petit des autres élèves. Ils ont constitué leur club d'élite. Vraiment ? Un groupe d'enfants qui ne se destinaient qu'à suivre les pas de leurs parents. Encore une fois, elle se détachait. La seule fille parmi eux. La seule dont le père ne soit pas l'un des amis de jeunesse du Lord. La seule et pourtant plus puissante qu'eux tous. Rodolphus commençait à rêver d'elle.
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– Quel drôle de couple vous formez, tout de même. Hors de chez vous, on ne vous voit jamais ensemble ; et ce n'est pas comme si vous receviez souvent pour compenser. Es-tu heureux, fils ? Pas que je veuille me mêler de ce qui ne me regarde pas. Tu sais que je ne suis pas comme ça ! Mais tout de même... Il faut avouer que cette jeune femme est particulière. Tu ne dis rien, tout va bien ? Tu avais l'air enchanté quand ton père a proposé cette union. Je te trouve bien terne depuis qu'elle a eu lieu.
Sa mère a toujours été particulièrement intrusive. Il se dit que les choses doivent être pires pour Rabastan, qui vit toujours avec leurs parents. Elle doit s'inquiéter de le voir célibataire, lui qui refuse toutes les soupirantes que le patriarche lui offre. Peu importe. Rodolphus use de patience et tente de la rassurer. Il n'est pas bien difficile de défendre sa femme. À mesure qu'il dépeint leur portrait commun, leurs relations, il réalise quelque chose. Chez eux ou dehors, les choses sont les mêmes. Leur équilibre va contre l'ordre défini, cela leur convient. Il lui appartient.
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Quand qu'il l'a revue, après Poudlard, ils se trouvaient à la même table. Même place, même cérémonie. Il était plus âgé qu'elle mais elle était plus débrouillarde. Elle a obtenu une place dans les rangs à juste dix-sept ans, simplement parce qu'elle le voulait. Elle a une volonté de fer. Qu'est-il, en comparaison ? Il se souvient de l'ombre noire au-dessus de ses yeux. Elle était effrayante – lui était effrayé. Elle n'a pas tremblé. Et quand la baguette du Maître a brulé sa peau, une lueur a brillé dans ses yeux.
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Félicitations, Bellatrix. Les mots du Maître semblent toujours résonner dans la tête de Rodolphus. Il ne s'agit pas de la première mission qu'elle mène à terme seule. Mais celle-ci était plus complexe, plus dangereuse – Bella a particulièrement brillé par sa tactique et sa force. Cette fois, c'est un ennemi éliminé au Ministère. Cette fois, c'est une place libérée pour l'un d'entre eux. Ils gagnent en pouvoir. Oui, le Maître est satisfait. Et Rodolphus l'a vu, lorsqu'il l'a félicitée. Il a effleuré la main de sa femme du bout des doigts.
Un geste manqué, une erreur. Le Seigneur des Ténèbres s'est empressé de s'écarter d'elle. Comme si elle l'avait brûlé. Bella n'a pas remarqué le dégoût sur son visage. Elle a regardé le bout de ses doigts avec fascination. Un sourire léger sur ses lèvres fines. Ses joues ont rosi, aussi. C'était peut-être le plus difficile à regarder. Ou peut-être le plus lourd était-il le regard des autres : ils l'ont tous vu, elle. Rodolphus ne sait pas pourquoi cela fait si mal : il sait, pourtant, qu'elle ne l'aimera jamais.
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C'était Blair Avery qui avait abordé le sujet. Cette gamine était la plus jeune du groupe. Pour autant, elle était une véritable tête brûlée. Elle l'avait toujours été et depuis la disparition de son père, elle était véritablement inconsciente. Un atout autant qu'une malédiction. Blair avait souligné que Bellatrix se faisait âgée – vingt-cinq ans – et qu'il lui faudrait bien finir par se marier. Bella avait répondu que l'homme de sa vie leur était infiniment supérieur. Tous avaient compris : tous avaient ri. Pas Rodolphus. Il avait compris que ses sentiments étaient voués à l'échec.
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Rodolphus n'aurait trop su dire quand il a compris qu'il l'aimait. Les choses se sont éclairées, progressivement. Elle est époustouflante. Elle l'a toujours fasciné car elle était hors de sa portée. Trop parfaite. Lui est quelconque, à côté. Mais il pouvait lui offrir le peu qu'il lui manquait. Elle n'aurait pas d'héritage par son statut de femme : lui était l'aîné d'une famille pleine aux as. Elle portait un nom souillé tour à tour par sa sœur puis son cousin : celui des Lestrange était sans tache. L'alliance avait été conclue rapidement.
Bellatrix est calculatrice, intelligente. Lui n'est qu'un pion dans son jeu : et s'il s'agit de la seule place qu'il peut prendre, il s'en contentera. Elle l'aveugle. Il lui offre tout. Reste seulement le problème des enfants. Dans sa situation, elle se doit d'être mère. Après des mois, elle a fini par le solliciter – pour essayer. Alors ils ne font l'amour que trois fois par mois : ses jours de fécondité. En silence, sans se regarder dans les yeux. Il s'agit des seules nuits où il peut la serrer dans ses bras.
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Le mariage de Narcissa est bien plus somptueux que le leur. Rodolphus sent que Cygnus tente de faire oublier Andromeda. Ses artifices n'empêcheront pas la société de jaser. Bellatrix le sait aussi bien que lui. Elle parcourre les convives de son regard noir. Même sans propre famille, ils se trouvent en présence d'ennemis – de faux alliés du moins. Elle les dévisage, prête à les foudroyer au moindre mot de travers. Elle soupire, enrage. Et tout cela, elle le fait à son bras. Elle le fait à ses côtés car elle a compris qu'il est son meilleur soutien.
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Ce soir, elle s'est blottie contre lui. Elle est nue, malgré les glaciales températures de l'hiver. Il la réchauffe de son mieux, de sa chaleur. Elle a froid, elle est fatiguée ; il lui semble même qu'elle tremble. Il la serre avec force et délicatesse. Question d'équilibre. Il a du mal à masquer sa joie : qu'enfin, elle cherche le réconfort dans ses bras. Mais son sourire est mal placé, alors il reste de marbre. Regulus est mort, Narcissa est enfin mère, et Bellatrix commence à se sentir seule. Mais lui est là, pour elle – pour toujours.
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Le Maître, disparu ? Il refuse d'y croire – cela semble surréaliste, improbable, une mauvaise farce qui n'aurait fait rire personne. Les choses sont bien pires, pour elle. Elle paraît malheureuse, blessée, désespérée. Il s'agit de la première fois qu'elle pleure devant lui – de tristesse, de désespoir, pas de rage. Chaque seconde, elle se décompose un peu plus. Il a peur pour elle. Peur qu'elle n'y survive pas. Dans leur trop grand salon, ils se sont plus que quatre. Le reste a fui, s'est résigné, ou pire : ne reste que Rabastan, Dolohov et eux deux.
– Nous ne pouvons pas nous avouer vaincus, commence Rodolphus. Pas tant qu'il reste encore un espoir possible. Pensez-vous que le Seigneur des Ténèbres trouverait une telle attitude acceptable ? Non, nous ne pouvons pas nous le permettre. Lançons-nous à sa recherche. Qu'avons-nous de mieux à faire ? S'il s'est volatilisé dans la nuit, ce devait être chez les Londubat ou les Potter. Il n'est rien qui nous retienne ici : nous en sauront plus en nous y rendant. Ne pensez-vous pas qu'il serait infiniment plus digne de faire quelque chose ? Peu importe quoi.
Il ne croit pas un traître mot de ce qu'il dit. Mais cela n'a pas la moindre importance. Elle relève la tête dans sa direction et, pour la première fois, il lit de la gratitude dans ses yeux. Il sait que cette dernière mission les mènera à leur perte. Quelle importance ? Leurs ennemis les condamneront au pire quoi qu'il arrive. Autant user à bon loisir leurs dernières heures. N'est-ce pas son rôle d'époux, de l'aider en toutes circonstances ? Qu'importe qu'elle ne l'aime pas. Elle a son cœur et son âme.