Quand Parvati descendit du bus, elle eut la sensation soudaine de se trouver au milieu de partout et de nulle part à la fois. Le MagicBus s’arrêtait dans une immense gare routière. Tout autour d’elle, des bus moldus semblaient rouler dans tous les sens, des panneaux indiquaient des destinations qu’elle ne pouvait déchiffrer, et elle entendait des langues qu’elle ne comprenait qu’à moitié. Elle souffla.
Luna sortit du bus à son tour, elle était la dernière et le véhicule disparut aussi vite qu’il était apparu. C’était curieux, d’être là avec elle. Les deux jeunes femmes s’étaient retrouvées à Hampi ; Parvati y résidait dans la famille de sa mère, et avait hébergé Luna quelques jours. Elles s'apprêtaient maintenant à séjourner à Bangalore, avant de descendre plus au sud, vers le Wayanad.
Bien des années auparavant, Parvati Patil, l’adolescente insouciante, aurait ri aux éclats si on lui avait dit qu’elle explorerait un jour le sud de l’Inde en compagnie de « Loufoca » Lovegood. Elle aurait ri d'un tel voyage, elle aurait ri de Luna. Comme les choses avaient changé ! La guerre, l'âge adulte, la mort de son père l'avaient changée, Parvati n'était vraiment plus la même.
Elle n’était déjà plus la même qu’au début de ce voyage, à son arrivée en Inde pour l’enterrement de son père. Son amitié avec Luna avait déjà quelques belles années au compteur. Mais, deux mois plus tôt, elle n'aurait sans doute pas osé, ni même voulu, la suivre dans une expédition pareille, qui comportait tant d'inconnues. Sa redécouverte de l’Inde l’avait également changée.
La main de Luna qui tapotait son épaule la tira de ses pensées. Elle huma le parfum indescriptible qui émanait de son amie, et lui parvenait malgré les émanations si forte, caractéristique de la gare routière. Cela acheva de la ramener à la réalité, dans un mélange de confusion et d’excitation auquel elle commençait enfin à s'habituer, après quelques jours avec Luna. Encore une chose qui avait changé...
Laissant ces considérations de côté, Parvati adressa un joli sourire à son amie, puis lui fit signe de la suivre et se dirigea vers la sortie. Dans quelques jours, au cœur de la jungle, Luna serait la cheffe. Mais ici, en ville, Parvati était encore dans son élément. Elle était fière de savoir se mêler adroitement à la foule citadine, et retrouver son chemin sans l'aide de la magie.
Sa cousine Maya, qui les hébergerait pendant quelques jours, n’habitait pas très loin de cette gare routière. Parvati n’était encore jamais allée chez elle, elle ne pouvait pas y transplaner. Elles s’y rendraient donc de la manière la plus moldue qui soit : en rickshaw, ces véhicules tricycles motorisés qui quadrillaient la ville. Une petite file attendait devant la gare routière, prêts à les emmener vers leur destination.
Dans le rickshaw, Parvati se laissa porter par le tremblement occasionnel de la route, par les sons divers qui lui venaient aux oreilles, par les effluves des boutiques, des véhicules ou des immeubles qu’elle reniflait dans l’air. Elle se délectait de l’activité et des sensations de la mégalopole fourmillante. A ses côtés, Luna s'appuyait à la barre du véhicule, scrutant l'extérieur. Elle prit la parole :
« Les villes sont des endroits fascinants, tu ne trouves pas ? J’adore leur chaos, leur beauté minérale, les milles choses à voir et la magie qu’on ne trouve que là. Les gens pensent souvent que je passe ma vie à explorer la nature sauvage, mais j'ai bien souvent fait de très belles découvertes en ville. La faune y est bien plus imprévisible, à l'image de son environnement... »
Comme souvent avec Luna, Parvati n'était pas sûre de comprendre entièrement de quoi elle parlait. Mais ce chaos, cette beauté, cette magie et cet imprévu qu’elle évoquait, elle les ressentait. Elle découvrait peu à peu que, plus la ville était grande, plus elle la dépassait, plus sa liberté lui paraissait sans limites. Elle ne connaissait pas bien Bangalore, mais elle lui paraissait le lieu de tous les possibles.
« Cela ne me surprend pas, répondit-elle à son amie. J’ai parfois l’impression que tout est possible dans une ville, surtout une comme celle-ci dont la composition est si diverse, un endroit aussi ancien et moderne à la fois. On m'a souvent dit que la communauté magique de Bangalore était à part, et je veux bien le croire. J'ai hâte qu'on la découvre ensemble.
- J’ai bien hâte aussi, répondit Luna avec un sourire éclatant, les yeux brillants. Je suis heureuse d’être ici, avec toi, maintenant. C’est bien qu’on ait pu se rejoindre pour ce voyage au sud, et qu'on passe ici. Je suis certaine que ça va être palpitant », ajouta-t-elle, effleurant doucement de sa main le bras de Parvati, qui savoura le contact sans pouvoir se retenir.
Le rickshaw continuait d’avancer sur la route agitée, mais Parvati avait l’impression d’être en suspension. Tout pouvait arriver, se disait-elle en s’accrochant à la poignée de son sac, et à la barre du véhicule, à son siège, pour ne pas basculer dans l’infini des possibilités. Elle avait déjà parcouru de longs kilomètres, fait de belles rencontres, mais le voyage n'était pas encore terminé.
La route était incertaine, mais elle n’avait plus peur. Quoi qui l’attende, quoiqu’elle fasse – ici à Bangalore, puis dans le Wayanad, et après - où qu’elle aille, en Inde, en Grande-Bretagne, ailleurs. L'anticipation n'était plus mâtinée de crainte, et Parvati avait confiance. Après des années de confusion, d’angoisse, de brouillard, malgré le deuil et la peine, elle sentait l’apaisement, enfin, lui parvenir.