- Bon sang de Merlin, c'est pas vrai !
Plusieurs têtes se tournèrent vers Parvati. Son exclamation avait résonné dans le Hall. Elle n'avait pas pu se retenir. Neville lui adressa une grimace désolée et l'attira à l'écart. Elle le suivit volontiers : elle n'avait pas envie de faire une scène, elle avait besoin de digérer la nouvelle.
Pansy Parkinson. Pansy Parkinson était sa foutue binôme. Elle allait devoir se coltiner Pansy Parkinson pendant une putain d'année entière. Les autres allaient tellement rire quand elle le leur dirait. Neville avait la décence de paraître compatissant, mais Seamus ou Padma n'auraient pas tant d'égards.
Quelle idée, cette histoire de binômes...
Le professeur McGonagall le leur avait annoncé au banquet de début d'année. « En concertation avec le ministère de la Magie, le corps professoral a décidé de favoriser l'entente inter-maisons et décloisonner la vie étudiante. » Parvati n'avait pu s'empêcher de lever les yeux au ciel. « Favoriser l'entente inter-maisons »... Après leur année en clandestinité, Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle n'en avaient pas besoin. Elle n'avait aucune envie d'être amie avec des gens qui avaient fait le dos rond devant les Carrow - ou pire.
L'idée la plus absurde - avec tout le respect qu'elle avait pour le professeur McGonagall - était celle concernant les quelques élèves de « huitième année », revenus faire une année d'étude. Ils avaient la possibilité - les profs avaient insisté, c'était facultatif - de travailler en binôme avec un élève d'une autre maison sur une activité liée à la reconstruction de Poudlard. Y participer faisait gagner des points en plus dans la matière concernée.
Parvati n'avait pas besoin de points en plus ; elle avait envie de mettre la main à la pâte. Elle avait choisi la Botanique, parce que c'était un de ses points forts. Elle pensait être avec un ou une amie - il y avait surtout des Serdaigle et des Poufsouffle. Très peu de Serpentard étaient revenus à Poudlard.
Voilà que Parvati se retrouvait avec la seule Serpentard inscrite en Botanique - Pansy fucking Parkinson.
* * *
- Crois-moi, ça ne me fait pas plus plaisir que toi d'être là, lâcha Pansy.
La Gryffondor n'eut pas la décence de lui accorder un regard. Pansy ne retint pas un rictus méprisant.
Les choses s'annonçaient bien.
Elle observa la serre tandis que la professeure Chourave les faisait passer deux par deux pour s'outiller. La sœur de Patil murmurait quelque chose - sûrement une vacherie à son propos - à l'oreille de Granger. Londubat et Abbot se regardaient dans les yeux comme deux prépubères se retenant de s'embrasser. Jones et Perks échangèrent un gant chacune - un bleu pour la Poufsouffle, un jaune pour la Serdaigle. Quel symbole d'amitié inter-maison. Quelle belle entente - la vieille McGonagall aurait été ravie.
Il n'y avait pas à dire, leur binôme faisait tâche. Et les effusions de joie des autres ne faisaient que la lasser davantage.
Après un briefing rapide, Chourave leur distribua les plantes à rempoter. Ce soir, ils commençaient la façade est. La plupart des trous dans les murs avaient été colmatés. De jolis plants de Lierre constructeur, en plus d'embellir, permettraient de renforcer la solidité de l'enceinte.
Quelques instants plus tard, elle transportait un large bac de boutures. Patil tenait l'autre anse.
- Tu peux pas soulever un peu plus, Parkinson ? C'est moi qui porte tout !
Pansy répondit par un grognement et tira un peu plus fort. La cuve s'en trouva déséquilibrée et Patil se prit l'une des branches dans la figure. La Serpentard retint un rire mesquin.
- Si tu ne fais pas d'efforts, on ne risque pas de s'en sortir.
- Si tu ne me lâches pas la grappe, je risque de m'énerver.
- Parce que tu penses avoir le droit de t'énerver, dans ta position ? cracha Patil. À ta place je n'oserais même pas l'ouvrir.
- Oh, j'oubliais que nous autres de Serpentard sommes démoniaques et que vous êtes les saints qui nous ont tous sauvés. C'est bien ça ?
Son agacement se mut en une colère froide. Sans prévenir, elle lâcha l'anse qu'elle tenait. Toute la terre se renversa, le Lierre constructeur développa presque immédiatement un réseau de racines solides - presque impossible de le déplacer à nouveau. Elle entendit Chourave se désespérer depuis la serre. Patil la foudroya du regard.
- Bravo, siffla-t-elle entre ses dents. Tu peux me rappeler pourquoi tu participes à ces travaux optionnels, au juste, Parkinson ? Les points en plus, j'imagine. Fais-moi au moins le plaisir de ne pas aggraver le désastre qu'ont permis les élèves de ta maison en laissant des tyrans s'installer à Poudlard l'an dernier.
Pansy n'eut pas l'occasion de répondre : Chourave accourait. Avec sa gentillesse presque mielleuse, elle leur remonta les bretelles. Et alors que Patil commençait un :
- C'est Pansy qui a...
- Tut-tut-tut. Je ne veux pas le savoir, mesdemoiselles. Dans ce cours, vous êtes un binôme et vous serez jugées comme telles. Il va falloir apprendre à coopérer.
L'odeur du terreau humide renversé que Pansy respirait à pleins poumons lui parut, d'un coup, nauséabonde.
* * *
Après le désastre de la première soirée, il fallut un peu de temps à Parvati pour digérer l'humiliation des réprimandes de l'une des plus gentilles professeures de l'école. Si elle était tout à fait honnête avec elle-même, elle avait un peu honte d'avoir provoqué Parkinson.
Elle sécha plusieurs séances, et passa les autres à éviter sa binôme. Mais elle savait bien qu'elle ne pouvait pas passer l'année ainsi ; il lui faudrait jouer le jeu jusqu'au bout. D'autant que les autres groupes prenaient de l'avance. Leurs Lierres poussaient et commençaient déjà à s'élever haut le long des murs de pierre. Celui de Parvati et Pansy, heurté par sa chute et par la coupe de ses premières racines qui en avait résulté, tardait à grandir. La feuille la plus haute effleurait à peine les fenêtres du bas. Quant aux boutures qu'elles étaient supposées cultiver, le manque de soins coordonnés ne les aidait pas à s'épanouir. Un fumet acerbe se dégageait déjà de l'un des pots.
Une nouvelle consigne du professeur Chourave les força à reprendre contact. La directrice de Poufsouffle avait décidé de profiter de la reconstruction des serres pour les réorganiser. Elle chargea donc les binômes d'étudier les meilleures dispositions possibles en fonction des plantes magiques abritées par chaque dôme de verre.
Parvati mit son orgueil de côté, et finit par envoyer un hibou à sa camarade, pour lui proposer de se retrouver à la bibliothèque un samedi après-midi. La Serpentard lui répondit par un laconique "Entendu, rendez-vous à 15h à la table de la fenêtre ouest" - toujours à l'écrit.
Elles n'échangèrent aucun mot lorsqu'elles se rejoignirent le samedi suivant. Chacune s'assit en silence, d'épais volumes dressant une barrière entre elles sur la table. Parvati ne pouvait s'empêcher d'épier sa némésis entre deux chapitres. Malgré toute l'animosité qu'elle ressentait envers Parkinson, surtout depuis l'année précédente, elle ne pouvait s'empêcher d'être saisie de nostalgie, parfois, lorsqu'elle pensait à leur passé. Avant Poudlard, des années auparavant, les filles Patil et la fille Parkison avait été camarades de jeux - si ce n'est amies. La Répartition, et les affinités des unes et de l'autre, avaient tout balayé.
Au bout d'une heure, Parvati perçut des chuchotements qui se rapprochaient de leur table à moitié dissimulée par un rayonnage. C'était Padma, accompagnée de Su et de Hannah. Les trois filles la saluèrent, sans un regard pour sa compagne, et s'installèrent à la table, Padma à côté de Parvati.
- तुम कैसी हो ? क्या तुम निकलती हो जो तुम चाहती हो ? यह ज़्यादा अप्रिय नहीं है ?
- Tout va bien, ne t'inquiète pas, répondit Parvati en Anglais.
Elle était toujours un peu mal à l'aise quand Padma lui parlait en Hindi - elle n'avait plus le même niveau que dans son enfance, tandis que Padma s'était grandement améliorée.
- अगर तुम सचमुच ग्रुप बदलना चाहती हो मैं सोचती हूँ की तुम Chourave पूछ सकती हो...
* * *
Pansy leva les yeux au ciel. Les soeurs Patil qui bavardaient en hindi - ça ne lui avait pas manqué. Comme si cela l'empêchait de comprendre qu'elles causaient à son sujet...
- Parvati et moi travaillons sur un devoir commun, chères consoeurs de Serdaigle. Je pense que nous serons plus concentrées si nous pouvons échanger rien que toutes les deux.
L'autre sœur Patil, Abott et Lu lui adressèrent un regard interloqué. Pansy se contenta de leur servir un sourire sardonique. Elles échangèrent des coups d'œil, Abbot haussa les épaules, et les trois filles finirent par se lever de leurs chaises.
- हम वहां जातीं हैं जहां कोई हम पर हमला नहीं करता... उसकी साथ अच्छा भाग्य !
Pansy retint un énième soupir exaspéré en toisant les filles qui s'éloignaient.
- Tu te sens obligée d'être désagréable avec tout le monde, Parkinson ?
- Je n'ai pas plus envie d'être ici que toi. Alors on peut continuer nos recherches chacune de notre côté ou mettre en commun pour boucler ça rapidement. Qu'est-ce que t'en dis, Patil ? Qu'est-ce que tu penses que Chourave préférera ?
Parvati renonça à argumenter. Pansy se leva et fit le tour de la table pour s'asseoir à côté de sa camarade, sa liasse de notes en main.
- Voilà ce que j'ai, pour l'instant. Fais voir ce que tu as gribouillé.
À contrecoeur, elles échangèrent leurs croquis. Le style brouillon et fouilli de Parvati tranchait avec l'écriture soignée et les lignes tracées à la règle du plan de Pansy. Mais passé les détails stylistiques... le fond était profondément similaire. La Gryffondor lâcha un "oh" sonore.
- Toi aussi tu as placé les Braillantes avec les Voltiflor...
- ... parce qu'elles ont besoin d'obscurité et que les lianes pourront leur prodiguer. Et les Buissons ardents...
- ... proches des Figuiers d'Abyssinie, des Vignes à eau et des autres plantes tropicales. Comme ça, les Buissons feront le climat nécessaire, pas besoin de chauffer la serre. Qu'est-ce que tu en penses ?
Était-ce un soupçon d'appréhension qu'elle percevait dans la voix de Parvati Patil ?
- C'est... incongru. Mais ça se défend. Je crois... Je crois qu'on devrait mettre cet aménagement au centre de notre présentation orale.
Parvati eut un petit soubresaut de contentement, presque imperceptible. Un tic qu'elle traînait depuis l'enfance. Un truc que Pansy reconnut, parce qu'elle l'avait vu tant de fois auparavant. Un quelque chose qui l'attendrit presque.
- En revanche, tu ne penses pas que...
- Si, il vaut mieux que tu recopies le schéma. Ce sera plus propre, plus lisible.
- Tu fais toujours les mêmes petits pâtés qu'avant Poudlard.
Elles se regardèrent dans les yeux, sans trop savoir ce qui se passait. Un instant de complicité ? Pansy n'en revenait pas - Parvati non plus, à en croire ses lèvres pincées.
Elles se remirent au travail, en discutant avec tant d'entrain que Mrs. Pince les reprit deux fois. Finalement, ce sujet qui mêlait architecture et botanique les fascinait. Leurs idées fusaient - et dans la même direction. Trop perfectionnistes, elles restèrent jusqu'à la fermeture. La bibliothécaire dut les mettre dehors.
- Eh bien... je suppose qu'on est prêtes pour la présentation de cette semaine.
- C'était efficace, oui.
Un silence pesant s'installa. Ni l'une ni l'autre ne savait comment se dire au-revoir, comment se comporter après cet instant hors du temps. Parce qu'il leur était impossible d'admettre qu'elles avaient savouré leur échange.
- Bonne nuit, fit Pansy en tournant les talons.
- Attends !
Parvati la retint par le bras.
- Je suis désolée d'avoir été aussi infecte avec toi, dès le début.
- Excuses acceptées. Les torts sont partagés, je te présente les miennes. Allez, à plus...
Elle voulut se dégager mais la Gryffondor tint ferme.
- Je suis désolée de... enfin, tout est très compliqué. Pour tout le monde. Et je ne sais pas si pour toi... ce devoir, ça m'a rappelé... de bons moments. Et je voulais savoir si tu...
Mal à l'aise, Pansy chercha à couper court à la discussion.
- Je suis fatiguée, je crois que je vais vraiment y aller...
- Pourquoi tu participes aux réparations, Pansy ? Vraiment, je veux dire - pas le mensonge des points supplémentaires. Je te sens différente... Et si tu veux en parler...
- Une tranche de rigolade sur l'aménagement des serres ne fait pas de moi ta copine, Patil. On n'est pas là pour étudier la psychologie l'une de l'autre mais pour bosser. C'est tout. Bonne nuit.
Pansy s'enfuit dans le couloir.
* * *
Parvati ne revit pas Pansy jusqu'au jeudi. Le jour de la présentation, elle se sentait sereine, elle était prête et elle savait qu'elles avaient fait du bon travail. Elle se rendit à la serre n°3 en compagnie de Padma, Hannah et Hermione ; toutes étaient curieuses de voir ce que les autres binômes avaient concocté.
Pansy n'était pas encore là.
Parvati ne s'en inquiéta pas ; elles étaient en avance - traîner avec Hermione et Padma avait ce genre d'effet sur elle.
Mais quand le professeur Chourave entra, Pansy n'était toujours pas là.
Si l'enseignante constata l'absence de son élève, elle ne réagit pas, et demanda au premier groupe de présenter ses plans pour la serre n°1. Trois groupes défilèrent ainsi, mais Parvati n'écouta que d'une oreille. Elle sentait l'anxiété monter en elle.
Pansy déboula enfin dans la serre alors que le quatrième groupe s'installait. Parvati ne put retenir un soupir de soulagement, mais ne dit rien. Sa camarade était essoufflée, sa robe était de guingois - bien loin de la mise impeccable qu'elle arborait chaque jour - et elle avait les yeux rouges. Parvati n'osa aucune remarque.
Quand ce fut leur tour, Pansy semblait avoir repris ses esprits. Elle introduisit leur exposé d'un ton qui exsudait la confiance. En d'autres circonstances, Parvati l'aurait trouvée suffisante ; mais elle ne pouvait s'empêcher d'admirer l'aisance avec laquelle elle s'exprimait. Elle fit de son mieux pour être convaincante également.
Cela fonctionna. Chourave leur adressa des félicitations chaleureuses :
- Bravo, bravo, mesdemoiselles ! Je suis impressionnée, vous avez fait preuve d'une grande créativité tout en respectant parfaitement les règles de la Botanique. Il n'y a rien à changer dans votre proposition, je pense que nous allons pouvoir l'appliquer telle quelle...
L'enseignante continua ses compliments, et Parvati ne put retenir un grand sourire tandis qu'elle se délectait des compliments qui leur étaient adressés. Elle s'en était tant voulu de son comportement, qu'elle était heureuse de voir que leurs plans étaient aussi cohérents qu'elles l'avaient espéré. Ce serait une belle contribution à la reconstruction de son école adorée.
-... Enfin, je suis ravie de constater que vous avez su travailler de concert, malgré un départ... houleux. Je vous donne 10 points chacune en plus de ceux que l'atelier vous rapportera, merci beaucoup.
Le professeur Chourave annonça la fin de l'atelier peu de temps après. Parvati fut bien vite entourée de sa sœur et de ses amis. Elle leur donna rendez-vous dans la Grande salle, et les laissa partir devant.
La serre se vida. Il ne restait plus que Pansy et Parvati. Celle-ci s'approcha de la Serpentard, hésitante.
- C'est bon, Patil, je vais pas te bouffer.
Parvati lâcha un petit rire gêné.
- Bravo, continua l'autre d'un ton égal, sans la regarder. Tu as fait du très bon travail.
- Toi aussi. Tu étais excellente, vraiment. Je n'aurais pas pu faire tout ça sans toi.
- Je te prie de m'excuser pour mon retard. C'était très déplacé de ma part, ça n'arrivera plus.
- Ce n'est pas moi qui te ferai la leçon là-dessus, Pansy, je pense que tu le sais...
- Je me suis endormie sans le vouloir... continua la Serpentard à voix basse, comme si elle ne voulait pas que sa binôme l'entende. Je... je ne dors pas très bien.
Parvati attendit qu'elle continue, mais Pansy ne semblait pas décidée à en dire plus.
- Cauchemars ? demanda-t-elle simplement, après un silence.
L'autre releva les yeux, et elle s'aperçut qu'ils étaient toujours rougi.
- Je les ai aussi, Parkin... Pansy. On les a tous. Je m'en sors avec des siestes, comme toi, et parce que je peux me confier à mes amis. As-tu des gens à qui te confier ? osa-t-elle demander.
Pansy haussa les épaules.
- Je sais qu'on n'est plus amies comme on l'était avant, depuis longtemps, continua Parvati. Je pense qu'il n'y aura jamais plus de "comme avant". Tu n'es pas obligée de me parler. Mais sache que tu n'es pas seule avec tes démons. Et, si tu as besoin de partager...
Elle ne termina pas sa phrase, mais soutint le regard de Pansy tout de même.
Après un long moment, celle-ci lui adressa un timide sourire.
- Merci.
En sortant de la serre, l'attention de Parvati fut attirée par un rayon de soleil qui rayonnait à travers le feuillage des Lierres constructeurs grandissant à vue d'oeil. Elle sourit, apaisée. Elle ne savait pas trop ce qui l'attendait, au bout de cette année. Mais quoiqu'il arrive, cet atelier de Botanique se déroulerait bien, désormais.