Il n'y avait rien de pire que de mourir au lever du soleil. C'était un affront que de s'éteindre quand l'astre s'éveillait. C'était comme tuer un nouveau-né.
Et Amelia Bones ne voulait pas mourir. Elle voulait, pour la première fois de sa vie - elle, la gratte-papier, la Serdaigle attendant à l'aube l'ouverture de la Bibliothèque, la juriste froide et pratique - admirer le bleu clair puis l'orange et le rouge inonder le ciel. Elle ne voulait pas se trouver face à ce masque de mort blanc comme ses nuits, ces pupilles écarlates et pourtant sans chaleur. Elle voulait regarder le ciel et le soleil.
- Miss Bones, siffla Voldemort, remplissant la pièce, sa maison toute entière d'un air glacial. C'est un honneur. Sachez que j'ai beaucoup entendu parler de votre famille - bien que d'eux, je n'aie entendu que des cris.
Il dévoila une rangée de dents grisâtres, comme satisfait d'un trait d'humour particulièrement subtil. Amelia quant à elle reposa sa mallette de travail sur la table du salon et l'ouvrit, semblant se préparer à un entretien très sérieux. Elle sortit avec des gestes précis un parchemin qu'elle déroula, une plume, son monocle et sa baguette.
- J'ai moi aussi beaucoup entendu parler de vous, déclara-t-elle finalement d'une voix calme, ses yeux bleus courageusement vissés à ceux du mage noir.
Le sourire de Voldemort s'élargit.
- Par vos accusés, je suppose.
- Entre autres.
Il y eut un mouvement derrière lui, dans la pénombre du couloir, mais Amelia ne le quitta des yeux que lorsqu'il poussa devant lui un sorcier aux longs cheveux noirs.
- Vous connaissez sûrement mon ami Pius...
- Thicknesse, dit-elle aussitôt d'une voix professionnelle, un mouvement de tête entendu à son adresse. Ravie que tu sois là. Je te cherchais justement pour le rapport que tu devais me rendre jeudi dernier.
Elle était incongrue, cette remarque, mais la présence de Lord Voldemort chez elle à sept heures du matin l'était encore plus et Amelia avait besoin de temps et de courage. Le sorcier leva son regard vide sur son maître, comme dans l'attente d'une réponse à donner.
- Le rapport attendra, Miss Bones, répondit-il donc à sa place. Pius est venu vous demander votre lettre de démission de la Direction du Département de la justice magique.
- Ma lettre de démission ? répéta innocemment Amelia. Voyons, Pius, tu sais que je n'ai certainement pas l'intention de quitter mon poste. En parlant de ça, continua-t-elle lentement en s'emparant du morceau de parchemin et de sa plume, je note ici plusieurs infractions à la Loi magique. Avez-vous déjà entendu parler de violation de la propriété privée ?
Sans prévenir, un sortilège verdâtre fusa droit sur elle ; il fit exploser l'immense horloge qu'elle plaça entre eux d'un geste vif de baguette.
Amelia lissa son carré argenté et replaça son monocle.
- Usage d'un Impardonnable, nota-t-elle encore d'une voix tranquille tandis que le mécanisme de la pendule s'agitait faiblement à ses pieds. Même en mettant de côté l'Imperium que vous avez lancé à votre ami, je crains que le Magenmagot ne se résolve immédiatement à vous condamner à Azkaban, Monsieur Jedusor.
Son sang-froid dût amuser le mage noir car il baissa sa baguette, comme saisi d'une nouvelle idée.
- Merveilleux, susurra-t-il. Et croyez-moi, je sais reconnaitre le talent quand je le vois. Je pourrais vous trouver une place de choix dans mes rangs, Miss Bones. Pius manque de poigne, que diriez-vous d'être Ministre de la magie pour moi ?
Il y eut un long silence durant lequel il sembla espérer sa réponse avec une avidité inattendue. Amelia le rompit de sa voix claire et tranchante.
- Tentative de corruption d'un agent du gouvernement, énonça-t-elle en griffonnant à nouveau sur son calepin.
- Alors vous préférez mourir ? l'interrogea Voldemort en se rapprochant d'elle.
Amelia raya d'un trait sec ses derniers mots.
- Tentative d'intimidation, se corrigea-t-elle en fronçant les sourcils, comme peu satisfaite par son manque de rigueur.
- Et si je vous brisais les os un à un, Miss Bones ? Resteriez-vous aussi droite que vous le prétendez ?
Elle sourit, son regard le défiant à nouveau.
- Essayez-toujours.
Elle dissimula le frisson qui coula dans son dos lorsqu'un rictus malveillant s'étira sur les lèvres fines du mage noir.
- Permettez que je laisse cette tâche à d'autres. Le législateur ne peut aussi être également bourreau, n'est-ce pas ? dit-il d'un air presque complice avant d'appeler avec autorité : Bellatrix.
Amelia abandonna toute tentative de dissimuler son effroi lorsque la silhouette de la sorcière se détacha de l'ombre. Maigre, courbée, féline, Azkaban l'avait métamorphosée mais la magistrate se souvenait avec précision de chacune de ses courbes et de ses angles. Amelia connaissait mieux le corps de Bellatrix que la Code international de la magie - qu'elle savait pourtant réciter par cœur depuis ses quinze ans.
Et Bellatrix avait peur. Amelia le voyait à l'amplitude de sa respiration sur sa poitrine tandis qu'elle levait fièrement le menton. Et elle eut pitié - elle eut presque pitié car elle comprit que c'était elle, la punition de son échec au Département des Mystères quelques mois plus tôt.
- Trix... souffla-t-elle en tentant de capter son regard vacillant.
- Trix ? répéta Voldemort avec amusement. Comme c'est adorable. Un passé commun, peut-être ?
Cela confirma qu'il savait. Il savait leur passé à elles. Le lui avait-elle raconté ? L'avait-il lu dans son esprit ?
Bellatrix s'avança de son pas lourd et élégant - si loin de sa démarche saccadée à elle - et lui fit face, si proche, familière et étrangère à la fois. C'était quelque chose dans son odeur de conviction qui avait pris la teinte de la soumission.
- Alors c'est toi, qui me tortureras ? chuchota la juriste.
Sa mèche bouclée retombait sur son front, devant son regard de fer, et elle fut tentée un instant de la remettre derrière son oreille. Bellatrix fixa un instant sa main, comme si elle avait lu dans ses pensées, puis se reprit.
- Oui.
- Tu ne peux pas.
Son rire rauque secoua tout son corps sans atteindre celui d'Amelia, figé comme sous l'effet d'un maléfice.
- Vraiment ? Ne suis-je pourtant pas la seule à avoir su te faire ployer ? demanda Bellatrix avec une ironie qui dissimula mal le grain brisé de sa voix.
Sa chevelure de jais prit des éclats dorés, son visage une teinte saturée, et Bones sut que le soleil s'était levé.
- Car tu es faible, Amelia, et nous le savons toutes les deux : la justice sans la force est impuissante*.