- C'est injuste ! protestait la petite fille maigrichonne aux cheveux clairs, raides, coupés en un carré incertain. Pourquoi n'y-a-t-il que des hommes sur les cartes de Chocogrenouille ?
Ses camarades soupirèrent encore et se rassemblèrent près de la fenêtre pour épargner leurs friandises des postillons de plus en plus irritants de la jeune sorcière. Une heure qu'ils étaient entrés dans le Poudlard Express, trente minutes que la dame au chariot était passée, et ses tirades enflammées n'en finissaient pas. À présent, la seule inquiétude que suscitait la cérémonie de la Répartition était de se retrouver dans la même Maison que cette insupportable donneuse de leçons.
Un gamin ouvrit la bouche pour lui demander de se taire quand une voix d'enfant bizarrement usée se fit entendre.
- Peut-être que les femmes valent mieux que de se retrouver sur des cartes barbouillées de chocolat bon marché mangé par des élèves dégoûtants.
Amelia Bones sourit avant même de se retourner. Et quand elle se retourna pour découvrir l'origine de cette remarque, elle ne fut pas déçue. Elle faisait sa taille, avait son âge, était infiniment plus belle et élégante, et s'appelait - tout le monde le savait - Bellatrix Black. Elle levait un sourcil impatient.
- Peut-être, concéda Amelia, ignorant les murmures impressionnés des autres. Mais ça reste injuste.
- Et alors ? grimaça la brune avec hauteur. Tu vas continuer à pleurnicher ?
- Non, répondit-elle aussitôt comme si elle attendait cette question depuis son embarquement à bord du Poudlard Express. Je vais refuser d'en acheter. Et quand ils verront qu'on ne consomme plus leur marchandise sexiste - elle avait prononcé ces mots d'un ton pompeux, peu naturel -, les fabricants de Chocogrenouilles penseront à donner aux femmes leur juste reconnaissance.
Les élèves de Première année pouffaient. Bellatrix Black penchait la tête, intéressée, curieuse.
- Ce n'est pas très efficace, fit-elle remarquer.
- Alors je devrais continuer à pleurnicher ? la provoqua Amelia d'un ton qui impressionna autant qu'il agaça l'héritière.
Cette dernière leva le menton et déclara, impérieuse :
- Il faut les forcer. Les menacer. C'est comme ça que Père fait, avec les Elfes.
Encore une fois, les autres rirent mais les deux fillettes les ignoraient. Elles n'avaient jamais été aussi sérieuses de leur vie.
- On ne peut pas utiliser la violence pour des cartes de Chocogrenouille, protesta Amelia.
- Tu disais pourtant toi-même que c'était injuste.
Elles débattirent sur le sujet durant toute la durée du trajet et sans prendre même le temps de s'asseoir. Amelia était debout au milieu de son compartiment, Bellatrix dans le couloir rendait tout trafic impossible, et elles se disputèrent avec violence, parfois, de la même manière qu'elles le feraient sur les bancs de l'école, dans les couloirs animés et les recoins oubliés où s'échoueraient leurs débats et leurs ébats, dans le secret mais sans honte, jusqu'au tribunal, et Azkaban, et la mort. Et quand elles arrivèrent à la gare de Pré-au-Lard, elles avaient trouvé un accord (car quelques fois elles en trouveraient un).
Ce seraient elles, les grandes sorcières de demain. Elles se voyaient déjà accomplir un noble destin. Et les fabricants de Chocogrenouilles seraient forcés de créer des cartes à leur effigie, car cela serait juste.