Quand on leur demandait si elles étaient amies, elles répondaient qu'elles étaient ennemies. Cela signifiait qu'en classe, le professeur MacGonagall devait fréquemment les séparer avant que leur querelle ne provoque une émeute générale. Cela signifiait aussi que souvent, elles finissaient tout de même par la conclure avec un duel étonnamment intéressant pour des élèves de Première année. Cela signifiait surtout qu'elles se respectaient, ce qu'elles n'hésitaient pas à reconnaître.
Du reste, n'ayant pas d'amis - Bellatrix méprisait trop ses semblables ; Amelia les irritait davantage -, leur inimitié était ce qui se rapprochait le plus d'une amitié. Et quand elles se trouvaient une cause commune, elles étaient invincibles.
Comme cette soirée d'automne à Poudlard, alors que les autres élèves étaient rassemblés dans la Grande Salle pour le diner coutumier.
- Bellatrix, arrête, on n'a pas le droit !
Le profil moqueur de son alliée provisoire se dessina dans la pénombre.
- Et alors ? Ce n'est pas comme si on allait finir à Azkaban pour être entrées dans une serre...
- Black !
Amelia avait une autorité surprenante pour une fillette de son âge qui ne faisait pourtant jamais effet sur Bellatrix.
- Je ne vais pas me venger, c'est ridicule ! protesta-t-elle alors qu'elles entraient dans la serre numéro 1. La vengeance ne résout jamais rien.
- Tu ne te venges pas, Bones, répliqua l'autre, les yeux étincelants. Tu lui donnes une punition. C'est bien ce qu'on fait, non, quand quelqu'un fait du mal ?
Amelia soupira. Bellatrix Black avait un don pour transformer son idée de justice pour qu'elle corresponde à sa moralité tout à fait douteuse. À croire que la force résoudrait tout. Et elle n'arrivait pas à croire qu'elle, la Serdaigle inflexible, avait cédé à l'appel sournois de la Serpentard.
Peut-être était-ce à cause de cette lueur courroucée qu'elle avait surprise dans les yeux de Black lorsque cet idiot de Hudson l'avait traitée de « sac d'os ». Peut-être était-ce son propre silence qui la surprenait et qu'elle ne cessait de regretter depuis, car les répliques flegmatiques de la maigrichonne Amelia Bones étaient devenues légendaires.
Quoi qu'il en soit, elle se retrouvait à suivre Bellatrix tandis que cette dernière cherchait la plante de leur victime parmi celles des autres élèves de leur promotion. Ils étudiaient alors les moly, dont les tiges noires et les fleurs blanches étaient utilisées dans la potion de Wiggenweld si sa mémoire était bonne.
Finalement, Bellatrix eut ce sourire aussi inquiétant qu'exaltant.
- Trouvé ! chantonna-t-elle en s'emparant du moly de Hudson.
Amelia la regarda alors le cacher à côté de l'engrais de bouse de dragon, puis se pencher sur une autre série de plantes similaires.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda la Serdaigle, désormais plus curieuse que peureuse.
- De l'alihotsy, répondit Bellatrix avec hauteur. Son ingestion provoque l'hystérie, et on peut l'utiliser dans la potion d'Hilarité. Quand cet abruti s'en occupera, il respirera son pollen, et tu peux être sûre qu'il aura l'air encore plus stupide qu'il ne l'est déjà.
Amelia resta la bouche ouverte, comme sonnée. Elle demeura longtemps la seule personne à savoir que Bellatrix Black n'était pas seulement passionnée par la Magie noire mais aussi par la douce Botanique. Et elle en fut si surprise qu'elle accepta de donner à Hudson cette punition qui était tout de même une vengeance.
Elle fut plus surprise encore lorsque, après avoir placé l'alihotsy parmi les moly, son ennemie cueillit un cyclamen rouge qu'elle enfonça presque brutalement dans ses cheveux.
- Voilà qui rendra justice à ta beauté, déclare-t-elle pompeusement, comme pour imiter un courtisan.
Elle le dit pourtant sans ironie, et Amelia Bones se sentit plus forte, et un peu plus qu'un tas d'os.