Bellatrix Black avait quatorze ans et elle ne se marierait pas.
- Pourquoi ? demanda Amelia.
- Je veux être libre.
- Mes parents sont mariés et ils sont libres.
La Serpentard secoua la tête avec irritation. Elle déchirait rageusement les brins d'herbe un peu gluants de ce côté du Lac.
- Mes parents sont mariés et ils sont grotesques. Ma mère est soumise, pathétique, cracha-t-elle.
- Je croyais que ta mère était appréciée dans les soirées mondaines.
Amelia le savait car sa propre mère répétait souvent : « Caqueter avec Druella Black, c'est dominer la basse-cour. » Elle disait aussi qu'il valait mieux dominer la haute Cour. Celle du Magenmagot.
- Et tu trouves cela valorisant ? répliqua Bellatrix avec dédain.
- Je pense simplement que ça fait d'elle une personne admirée. Pas soumise, explicita-t-elle.
La jeune fille eut un rire méprisant.
- Elle se complait parmi les faibles, mais face à Père, elle ne vaut pas mieux qu'un Elfe de Maison.
Amelia haussa les sourcils, surprise. Jamais Bellatrix ne parlait de ses parents. Souvent de sa sœur Andromeda, parfois de Sirius - avec ces sentiments mêlés de rancœur et d'affection -, mais jamais de ses parents. Ils demeuraient une entité étrange, célèbre et mystérieuse.
Amelia considéra son ennemie qui affichait encore cet air contrarié. Elle était assise sur l'herbe, les genoux repliés sur le côté dans une éternelle posture figée qui contrastait avec l'animation de son visage. Dans ses mains, sa baguette crépitait dangereusement.
- Peut-être que ta mère l'est, déclara-t-elle avec honnêteté, mais toi, je te vois mal en femme soumise.
- Non, bien sûr que non, répliqua aussitôt la sorcière, avant d'ajouter très sérieusement : mais c'est parce que ce n'est pas une vraie Black. C'est une Rosier. Et moi - je veux rester une Black.
- Tu ne veux pas perdre ton nom, comprit Amelia.
Elle se souvenait de leur première conversation. La carte de Chocogrenouille devrait porter le nom de Bellatrix Black.
- Je veux être libre, répéta-t-elle pourtant.
- Alors épouse-moi, proposa Amelia presque en même temps.
L'autre eut une expression interloquée, aussi continua-t-elle aussitôt :
- Je peux abandonner mon nom, si tu veux. Tu resteras Bellatrix Black.
C'était sorti comme ça. Une pensée en l'air, de celles qui se fondent si bien dans des nuits comme celles-là. Une pensée fantasque comme on en confie dans le noir, sans y croire et sans y penser. Pas si fou, en vérité ; simplement invraisemblable dans leur réalité.
Dans le silence que laissa cette déclaration, Amelia tenta vainement de comprendre pourquoi elle l'avait prononcée. Pourquoi elle n'effaçait pas cette spontanéité incongrue par un éclat de rire railleur. Pourquoi elle continuait d'attendre une réponse qui ne pourrait être qu'aigreur.
Après l'incident de l'an passé, une fois sortie de l'infirmerie, rien n'avait changé. Ce n'était qu'un combat parmi d'autres pour elles, c'était un coup bas, certes, mais c'était habituel, et d'autres querelles avaient suivi, depuis. Aussi, elles continuaient de se voir la nuit.
Au fond, Amelia savait pourtant qu'au milieu de ces confrontations qui se confondaient parfois en confidences, ces quasis rituels, quelque chose d'autre s'était glissé.
De la complicité, peut-être - bien que le terme aurait dégoûtée Bellatrix et inquiétée Amelia (complice de Bellatrix Black, terrible accusation !).
Surtout, de la curiosité. Car pour la première fois, Amelia avait vu Bellatrix hésiter. Une fraction de seconde qui avait brisé l'image de l'absolue assurance. Parfois, elle croyait l'avoir rêvée ; alors, elle rêvait de la retrouver.
Oui, c'était sûrement là la raison de cette proposition.
Amelia n'avait pas cillé - trop fière pour retirer ses pensées. Les bruits du Parc de Poudlard, les frémissements des créatures du Lac prirent une ampleur oppressante. Elle attendait sa réaction avec la ferme intention de garder la tête haute.
À sa surprise, Bellatrix ne lui exprima pas son dégoût. Elle, la reine des provocations, ne pouvait se permettre de craindre ce genre d'assertions. Elle la regarda droit dans les yeux à travers l'obscurité et mit dans cette phrase une assurance crâne :
- Et tu crois être digne de porter le mien ?
Amelia respira à nouveau, sourit et répondit à son tour avec son aplomb coutumier :
- Oui.
Bellatrix ne la contredit pas. Elle se pencha plutôt en arrière, en appui sur ses bras, l'attention faussement portée vers le ciel.
- Mes parents ne seront pas d'accord, soupira-t-elle comme on se plaindrait d'une interdiction de sortie.
- Ils seront heureux que leur fille reste une Black.
Amelia vit, de profil, le coin de ses lèvres se retrousser.
- Et la loi ? Deux sorcières ne peuvent pas se marier.
- La loi n'a pas toujours raison.
Bellatrix se redressa brusquement, porta la main à sa bouche, mima une expression de scandale.
- Amelia Bones vient de critiquer la loi !
- Je n'ai pas...
Mais elle fut coupée par son éclat de rire et abandonna, sourit. Puis Bellatrix pencha la tête et interrogea :
- Et qui serait l'homme, d'abord ?
Amelia réfléchit. Elles oscillaient entre le sérieux et le jeu.
- Je ne veux pas être un homme.
À présent, la fille aînée des Black lissait sa robe.
- Moi non plus. J'aimerais leur liberté mais je préfère ma force.
- Je crois qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait un homme, décida alors la Serdaigle. D'ailleurs, c'est bien l'objectif de ce mariage : pas d'homme, pas de nom de famille à abandonner. Il vaut mieux rester deux femmes.
Et c'est en prononçant ces mots qu'elle réalisa l'ampleur de ce qu'ils impliquaient. Leur comédie prenait des intonations scandaleuses. Curieusement, elle n'en était pas choquée. Bellatrix en revanche se figeait dans son attitude aristocratique, le dos droit, le menton levé. Une attitude qui dissimulait autant le dégoût que la curiosité.
- De toute façon, je ne te supporterais pas, finit-elle par déclarer.
Amelia acquiesça sans hésiter.
Ce fut la conclusion rassurante qu'elles trouvèrent à leur conversation. C'est la conclusion qu'elles donneraient aussi à leur relation.