C'était arrivé. Ce devait arriver. Une autre nuit passée au bord du lac, une dispute plus violente. Elles avaient trop parlé. Une fois de trop.
Et déjà, le ciel s'éclaircissait. Et bientôt, le soleil s'en emparerait et Amelia ne pouvait se résoudre à commencer ce jour en haïssant Bellatrix.
Tout avait commencé quand Bellatrix avait affirmé de son ton sans appel : « la magie est tout ».
Amelia savait que c'était une conviction commune chez les familles de Sang-Pur ; souvent, elle se rassurait ainsi des opinions de Trix. Ce n'était que son éducation. Mais quand elle avait essayé de lui montrer que des hommes et des femmes pouvaient vivre sans magie, son ennemie avait rétorqué avec hauteur que ceux qui vivaient sans magie aspiraient du moins à elle.
Amelia avait réfléchi. Elle aussi avait grandi dans une famille de sorciers, mais ses parents l'avaient encouragée à s'ouvrir à la culture moldue. Et comme toujours quand elle débattait - y compris avec passion -, elle s'efforçait de rester neutre. Oui, les moldus rêvaient toujours de magie. Était-elle pour autant tout pour eux ? Amelia réfléchit longuement (mais pas trop, car alors Bellatrix aurait gagné) ; elle était lucide quant à l'utilisation de cette idée comme argument pour conforter l'idéologie de la suprématie des sorciers.
Plutôt que d'admettre que les Moldus n'avaient jamais su se séparer de l'idée de magie, elle expliqua donc qu'ils la trouvaient ailleurs que dans des baguettes et des chaudrons.
- Où, alors ?
- Dans... dans l'art ! dans la peinture, la musique, la...
- Dis, Amelia, tu vis bien à Poudlard, n'est-ce pas ? As-tu déjà remarqué les milliers de portraits sur les murs ou bien...
Elle s'était moquée un moment pendant lequel la Serdaigle avait maudit sa propre inculture. Elle était convaincue qu'en connaissant mieux les Moldus, elle aurait su les défendre. Mais elle ne s'avouait pas vaincue. Elle ne s'avouait jamais vaincue. Il lui fallait simplement trouver ce que Moldus et Sorciers avaient en commun, et qui dépasserait sans le moindre doute la magie. Il fallait...
Alors elle l'avait dit.
L'amour.
Elle l'avait aussitôt regrettée, car Bellatrix semblait presque en être effrayée, et qu'elle méprisait ce qu'elle craignait. Tout avait dérapé. Le mariage entre Moldus et sorciers en avait aussi pris pour son grade, et les Cracmols, et les nés-Moldus, et tout s'était mélangé alors même qu'elles savaient toutes deux qu'au fond, elles ne parlaient que d'amour.
Quand les premières étoiles avaient commencé à s'effacer, elles avaient dégainé leurs baguettes. Elles se seraient battues si les éclairs de leur duel n'avaient pas attiré l'attention sur elles.
Et elles en étaient là. Elles se haïssaient mais elles ne savaient pas pourquoi. Ou plutôt, elles savaient pourquoi elles se haïssaient, mais elles ne comprenaient pas pourquoi elles étaient là.
Elles auraient dû s'excuser. Elles avaient tant à se faire pardonner. Si éloquentes, elles en étaient pourtant incapables.
Cela resta comme une fissure, comme un jour jamais levé qui les condamna.
Elles devraient en rester à l'aube.