Après leur dispute, elles devinrent étrangères. Et c'était infiniment pire que d'être ennemies, car ce n'était qu'indifférence et mépris. Le froid effrayant avait remplacé leur passion. Il sifflait à leurs oreilles à la place de leurs mots. Il raidissait leur corps. Il les rendait amères. Il les plongeait dans une langueur mortifère.
Durant cette Cinquième année, elles n'échangèrent que quelques mots et regards, comme cette fois à l'Infirmerie où elles se trouvaient toutes les deux. Bellatrix, d'un simple mouvement de tête, lui adressa une interrogation silencieuse, de ces dialogues secrets qu'elles entretenaient autrefois. Elle sembla aussitôt le regretter, et Amelia ne sut aussi s'empêcher d'expliquer platement :
- J'attends Madame Pomfresh.
Ce fut tout. Elle se retint d'ajouter qu'elle se trouvait là car elle avait ses règles et plus aucune protection hygiénique et que ses camarades ne lui en auraient certainement pas prêté. Elle savait que Trix aurait répondu qu'il était inconvenant de dire les choses si crument. Puis elle aurait éclaté d'un rire ironique désintégrant cette dernière déclaration, et affirmé très sérieusement que le plus sûr était d'éliminer l'organe défectueux qui leur faisait subir ce calvaire chaque mois. Amelia aurait précisé doctement : Un utérus. Un quoi ? Un utérus, Trix. Et il n'est pas défectueux, même s'il a ses inconvénients. La fille Black, vexée, lui aurait jeté ce regard foudroyant - celui-là même qu'elle lui adressait à présent.
Amelia se frictionna les bras. Elle tendit le cou pour chercher l'infirmière. Elle reposa fatalement ses yeux sur Bellatrix. Elle remarqua alors seulement - sûrement parce qu'elle s'appliquait à ignorer sa présence depuis une dizaine de minutes - qu'une profonde entaille coupait son mollet. Du sang vermeil coulait dans le creux sa cheville et formait une petite flaque à ses pieds. La jeune fille y était indifférente, comme elle était indifférente à Amelia depuis plusieurs mois.
Ignorant la douleur que lui causait ce détachement qu'elle-même cultivait soigneusement, Amelia se fit la réflexion que Bellatrix devait tirer de sa blessure superficielle une fierté plutôt qu'une souffrance - une immense fierté, qu'elle lui aurait exhibée si elles s'étaient parlées.
Seulement, elles ne se parlaient plus. Elles ne se parlaient plus - et pire encore, elle ne se battait plus. L'excitation des duels, les rires, les grandes déclarations, tout cela avait été balayé par une ample bourrasque qui fouettait encore leur peau et leur cœur.
L'infirmière prêta à Amelia des protections hygiéniques, et Amelia lui offrit un sourire figé en retour. Quand elle partit, le regard de Bellatrix lui fit le même effet que lorsque Nick Quasi Sans Tête la traversait par erreur.
Le froid.
Mais peut-être ce froid n'était-il pas seulement de leur fait. Peut-être était-ce le même qui soufflait son givre sur leurs familles respectives.
Bellatrix endurait le rire de cristal de sa mère, sa voix qui vibrait tant qu'elle semblait constamment sur le point de se fragmenter au milieu de ses réunions mondaines. Ils sonnaient aux oreilles de sa fille comme des hurlements, les hurlements de désespoir d'une femme cherchant sa place dans un mariage où elle diminuait chaque jour.
Amelia guettait la plume inerte de son père. Son poignet, transi par la peur que l'on s'en prenne à sa famille pour ses tribunes dans la Gazette, sclérosait ses propos autrefois passionnés. Parfois, le liquide immobile dans l'encrier lui semblait un lac gelé.
C'est ainsi, alors que ce vent pétrifiait leur nuque et soufflait sur les dernières reliques de leur enfance, que Bellatrix et Amelia réalisèrent qu'elles ne sauraient survivre sans le brasier qu'elles animaient ensemble.