PROLOGUE
« Elle était une héritière sang-pur. Et il lui est arrivé ce que le destin réserve à un sang-pur qui ne tourne pas le dos à temps à ses idéaux. » Sirius Black
Le 12, Square Grimmaurd n'avait plus été aussi animé depuis des années.
Lors de son emménagement dans la vieille demeure qu'il avait hérité de sa famille dont il était l'ultime rescapé, Sirius Black n'avait pas cru possible de rendre ce lieu si délabré et sinistre agréable à vivre. Tout avait commencé par la reformation de l'Ordre du Phénix, auquel il avait volontiers accepté de prêter le manoir comme point de rassemblement. Les membres, qui allaient et venaient de façon de plus en plus régulière, avaient fini par investir les lieux au point d'en faire un véritable quartier général. Si cela avait quelque peu gêné le dernier des Black, au départ, ce dernier n'étant plus du tout accoutumé à la présence d'autres individus au quotidien, sa vie sociale ayant été réduite à la seule présence de Détraqueurs lorsqu'il était enfermé à Azkaban, il avait fini par s'y habituer et même à y prendre goût. La solitude, qui avait longtemps été une cruelle amie, commençait à laisser place à une nouvelle vague d'espoir que l'homme de trente-six ans n'avait plus ressenti depuis bien longtemps.
C'était sans compter sur la présence de son filleul, ce jour-là, qui s'apprêtait sous peu à faire sa cinquième rentrée à Poudlard.
Debout dans la cage d'escaliers qui surplombait le spacieux hall d'entrée de la demeure décrépie, Sirius, accoudé à la rambarde poussiéreuse, observait le garçon brun à lunettes rondes qui s'affairait avec ses deux amis, Ronald Weasley et Hermione Granger, à hisser une énorme malle tout en grimpant les marches.
« Mais qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? » se plaignit le jeune Weasley qui ployait sous l'effort. « Ce vieux machin pèse une tonne ! »
Sirius ne put s'empêcher de rire devant la mine déconfite du rouquin.
« Ce vieux machin, comme tu dis, Ronald, conserve mes souvenirs de jeunesse. Il doit bien s'agir, avec Harry, de ce qu'il me reste de plus cher en ce monde.
- Combien de vie avez-vous vécu pour que vos souvenirs pèsent si lourd, Sirius ? dit Hermione avec malice.
- Une seule, et rapidement écourtée puisque j'ai ensuite passé douze longues années à Azkaban. »
Sirius dégaina sa baguette avant d'entamer un rapide mouvement du poignet. « Je suis assez sentimental » poursuivit-il avec un clin d'œil. D'un sort informulé, la malle s'éleva dans les airs et lévita jusqu'au niveau supérieur sous les yeux ahuris des trois adolescents.
« Tu avais ta baguette sur toi depuis le début, l'accusa Harry.
- Oui.
- Et tu nous as laissé porter cette chose sans rien dire ni intervenir.
- En effet.
- Mais pourquoi ? s'enquit Ron, agacé par le temps perdu et l'effort que cela leur avait demandé.
- Parce qu'à force d'utiliser la magie, les sorciers ne savent plus comment se débrouiller pour réaliser des activités banales comme transporter un meuble.
- Facile à dire pour vous, marmonna Ron, vexé. Vous avez lancé le sortilège.
- Evidemment ; vous n'êtes pas majeurs. Vous n'auriez pas pu le faire vous-mêmes. »
Sur ces paroles, Sirius tourna les talons pour rejoindre la pièce dans laquelle sa précieuse malle venait d'être déposée. Au pied du lit à baldaquins, elle n'attendait qu'à être ouverte après toutes ces années scellée à double tours. Alors qu'il s'agenouillait et entreprenait de l'ouvrir, les trois Gryffondors le rejoignirent dans la chambre.
Il vit Harry jeter un regard circulaire à la pièce, examinant le lieu qui lui avait servi de refuge durant les seize premières années de sa vie. Sirius, à son emménagement au 12, Square Grimmaurd, n'avait pas été surpris de trouver la porte de son ancienne chambre verrouillée par la magie. En revanche, il ne s'attendait clairement pas à la redécouvrir fidèle à ses souvenirs. Rien n'avait bougé ; il s'était par ailleurs demandé si ses parents ou son frère y avaient remis les pieds après son départ en 1976. Les couleurs rouges et or tapissaient toujours fièrement les murs, à l'image des rideaux à baldaquins et à la parure de lit de la même couleur qui rappelaient ceux de son dortoir à Poudlard. De multiples posters de Quidditch et de groupes de musique moldue qu'il idolâtrait à l'époque n'avaient pas non plus bougé, faisant davantage ressembler la pièce à une chambre d'adolescent né-moldu qu'à celle d'un héritier sang-pur.
Il fit signe aux trois adolescents de s'installer. Hermione s'assit délicatement sur le lit, tandis que Ron s'affalait sur le parquet qui grinça. Harry, quant à lui, s'agenouilla aux côtés de son parrain qui avait relevé le lourd couvercle de la malle.
Un nuage de poussière fut soulevé par son geste, qu'il balaya d'un revers de main. Un sourire étira ses lèvres à la vue des fabuleux trésors qui se trouvaient à l'intérieur.
De multiples vinyls avaient été apposés sur le dessus du coffre, qu'il caressa du plat de la main chaque fois qu'il en sortait un. À mesure qu'il posait les objets sur son lit, près d'Hermione, une nostalgie empreinte d'amertume l'envahissait un peu plus. Ce fut quand ses yeux se posèrent sur les photographies qu'il perdit toute contenance. Il saisit la première du tas d'une main tremblante.
« Tes parents, déclara-t-il à Harry, la voix chevrotante. Ils sont sur de nombreuses photographies. Tu peux regarder, si tu le souhaites. »
Harry, les yeux brillants, ne se fit pas prier. Sirius céda la place à son filleul afin que ce dernier puisse fouiller plus aisément. Le trentenaire se releva et alla se poster devant la fenêtre sale, ses yeux perdus dans le ciel d'un même gris orageux.
Ce fut Hermione qui brisa le silence qui s'était installé.
« Qui est-ce ? »
Sirius se tourna lentement vers l'adolescente, qui, agenouillée sur la couette aux couleurs de Gryffondor, tenait l'une des photographies entre les doigts. Ron se penchait déjà vers elle pour regarder à son tour.
« Waoh ! Elle est belle !
- Ronald, soupira Hermione, tu es vraiment irrécupérable ! »
Harry céda à la curiosité et jeta un œil à la photographie lui aussi.
« Qui est-ce, Sirius ? Il ne me semble pas l'avoir vue sur la photo de l'Ordre que Remus et toi m'avez donné.
- Effectivement, confirma Sirius d'une voix rauque. Elle n'en faisait pas partie. »
Les trois Gryffondors se concertèrent du regard. L'attitude de Sirius avait brusquement changé à la vue de la jeune femme présente sur le cliché. Une note était inscrite au dos : Victoire Duchesne, décembre 1978, Pré-au-lard. Le portrait représentait une jeune fille blonde un peu plus âgée qu'eux, vêtue d'une luxueuse cape fourrée verte et argent. Les couleurs de Serpentard, ne put s'empêcher de penser Harry en fronçant les sourcils. Elle souriait à l'objectif, tournant le visage d'un air qui se voulait séducteur jusqu'à ce qu'elle reçoive une boule neige en pleine figure qui ne fit que renforcer son hilarité.
Sirius, le dos appuyé contre la vitre, soupira.
« Victoire Adélaïde Duchesne. Elle était la seule femme que j'aurais aimé dans ma vie.
- Que lui est-il arrivé ? demanda Hermione, hésitante.
- C'était une Serpentard, déclara Harry en vrillant ses yeux verts dans ceux de son parrain.
- Elle était une héritière sang-pur, répondit simplement Sirius. Et il lui est arrivé ce que le destin réserve à un sang-pur qui ne tourne pas le dos à temps à ses idéaux. »
Hermione sentit son cœur se serrer face à la tristesse de Sirius. Elle l'observa quitter la pièce sans un mot de plus, méditant ses paroles. Se penchant sur la malle afin d'y ranger la photo après un dernier coup d'œil à cette dernière, la Serpentard inconnue lui souriant avec un bonheur déconcertant, son regard se posa sur un carnet en cuir brun qui trônait au milieu des photographies en désordre. Son amour pour les livres prenant le dessus, la jeune fille se laissa porter par sa curiosité et le saisit.
Faisant fi des voix de Ron et Harry qui entamaient une conversation à ses côtés, Hermione en feuilleta rapidement le contenu, admirant la calligraphie distinguée aux lettres liées et serrées qui noircissaient les pages. Ce fut la signature, sur la dernière, qui retint son attention. Victoire Adélaïde Duchesne.
Elle observa un instant ses deux amis qui discutaient toujours, avant de lire la dernière page.
Dis, Sirius…
Je t'ai dit un jour que si je venais à mourir, je vous entraînerai toi et tes proches dans ma chute. Jamais je n'aurais pensé que ce souhait se réaliserait. Ni que ce moment serait si proche et douloureux.
Entends-tu les battements de mon cœur ? Entends-tu comme je t'aime ? Non, tu es trop loin, à présent. Tu ne peux certainement pas les atteindre.
C'est la fin, Sirius. Je le sais, je le sens. Mais je t'en prie, ne te laisse pas aller. Je t'en supplie, bats-toi, et fais en sorte que ce souffle ne soit pas le dernier pour toi.
Evidemment que je suis triste. Qui ne le serait pas ? Mais ne t'en fais pas pour moi ; je vais bien. Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu'aujourd'hui. Et tout ceci grâce à toi…
Te souviens-tu comme je te repoussais, autrefois ? Te souviens-tu de cette distance que je maintenais avec toi, le traitre-à-son-sang, mais aussi avec tous ceux qui étaient subtils de me rappeler mon rang ainsi que la vie qui m'attendait irrémédiablement ?
Non, bien sûr, tu n'étais pas comme les autres. Et c'était justement ce qui me faisait peur. J'étais la parfaite petite sang-pur promue à un futur sans avenir, aussi noir que les ténèbres. Comment es-tu parvenu à me sortir de là ? Je m'étonne à ne plus réussir à m'en souvenir à l'heure qu'il est, enfermée dans ces oubliettes si froides.
Tout a dérapé le jour où j'ai répondu malgré moi à ton baiser. Parce qu'à ce moment précis, j'étais consciente du tournant que risquait de prendre ma vie. Ma conscience avait beau me hurler de cesser ce petit jeu, d'oublier ton existence, jamais je ne suis parvenue à regretter mon geste.
Dans le jeu de la séduction, dit-on, une seule règle subsiste ne jamais tomber amoureux. J'avais perdu. Et nous en subissions les lourdes conséquences. Pardonne-moi, mon amour.
J'ai essayé de rejeter la main que tu me tendais. Mais toi, tu n'as jamais abandonné tant tu étais borné.
Je me sentais infiniment seule et incomprise, au fond. Toi, tu as su me réchauffer le cœur. Me redonner espoir.
J'étais la pire des égoïstes. De ton côté, tu ne pensais qu'au bien de tous ceux qui t'entourait.
J'ai été lâche quand tu portais à merveille les couleurs rouge et or de ta maison.
Mais étions-nous réellement différents ? Au fond, n'étions-nous pas plus semblables que je ne voulais le croire ? J'aurais dû être plus forte. Comme toi.
Si tu lis ceci, Sirius, je dois certainement avoir cessé de respirer. J'ai couché sur ce journal toute une vie de remords, ignorant si je pourrais, un jour, sortir d'ici. Mais s'il y a une chose que je ne regretterai jamais, mon amour, c'est m'être tournée vers toi.
Ce journal raconte mon histoire. Notre histoire.
Et sache que malgré tout, de là où je dois être, mon amour pour toi brûle toujours avec la même ardeur.
Si tu ne me crois pas, lève donc les yeux vers le ciel. Vois-tu Aquila, qui scintille ? L'étoile de l'Aigle. L'étoile de la Victoire.
Sache que je veille sur toi, de là où je suis. Et que je continuerais de briller tant que tu me regarderas.
Tienne, pour toujours et à jamais.
Victoire Adélaïde Duchesne
29 octobre 1981