C’était fini.
Fini de se fuir, fini de s’éviter, fini de retarder l’inévitable. Fini d’espérer, fini de rêver, fini les tentatives désespérées de se sauver. Fini, le temps des sourires. Fini, l’été de leur amour. Les illusions les avaient longtemps masqués, mais le théâtre était déjà en ruines.
On y était. Ils étaient enfin face à face. Ni l’un ni l’autre ne l’avait voulu. Pas vraiment.
Peut-être qu’ils s’étaient aimés trop, peut-être qu’ils ne s’étaient pas aimés assez, mais c’était fini, et ils étaient réunis pour achever à jamais ce qui avait été.
Le silence avait avalé le moindre bruit. Ils se tenaient sur une terre calcinée et rouge de sang, éventrée comme un homme, vomissant ses entrailles. Ils se taisaient. Se contentant de se regarder. Un dernier regard. Un dernier silence. Ils ne bougeaient pas. Il leur restait quelques secondes avant de débuter le duel. Une poignée de secondes, un supplice.
Ils se regardèrent droit dans les yeux, glacials. Ils se regardèrent dans un instant électrisant.
Les cadavres qui jonchaient le sol semblèrent ouvrir leurs yeux pour regarder aussi.
Gellert s’inclina le premier, un léger mouvement de tête, une ployure des épaules. Albus suivit. Ils se regardèrent encore. Et soudain, c’était comme si rien n’avait changé, comme si, dans le jardin de Godric’s Hollows, les deux adolescents allaient encore se battre en duel en riant, appréciant chaque sortilège, déployant toute leur virtuosité pour s’impressionner mutuellement. Comme si Gellert allait lancer un sifflement d’appréciation, et Albus lui souffler un baiser dans un éclat moqueur.
Gellert lança le premier sort, comme il le faisait toujours, et Albus suivit encore. L’exaltation l’envahissait, étrange et dérangeante, le plaisir de se trouver, enfin, de nouveau face à son seul adversaire de taille. C’était presque un jeu. Ça l’avait été.
Mais ça ne l’était plus.
Ils ne retenaient pas leurs coups, s’aurait été sous estimer l’adversaire, penser qu’il ne pouvait pas parer le prochain sort, et ils s’estimaient plus que n’importe qui au monde.
Tout explosa.
L’orage se déchaina au dessus d’eux, crevant de haine, comme si tous les éléments accompagnaient leur rage.
Le duel devint une danse terrible et dévastatrice, faisant flamber la terre déjà exsangue. Ils se jetaient corps et âme dans la bataille, d’une passion qui hurlait tous les silences tous les non-dits, tous les trop dits tout ce qu’ils avaient été.
Le ciel craquait, se fissurait de partout, grondait, crachait sa bile, les éclairs déchiraient en flèches éblouissantes le paysage apocalyptique.
C’était leur dernière déclaration, leur dernier partage, duel hallucinant, et la violence des coups qui fusaient les transfigurait dans la lumière blanche de l’orage.
Le duel dura sept heures, il aurait pu durer des jours ou des années. Leur puissance était monstrueuse, combat de titans.
L’un deux sortirait de l’arène vainqueur, et l’autre vaincu.
Le monde s’était flouté et Albus y voyait si cruellement clair qu’il voulait se coudre les paupières
Il sentait tout son corps s’effondrer de fatigue, de douleur, il saignait, il le percevait confusément, mais il ne lâchait pas les yeux de Gellert et il continuait, désespérement, et il se sentait si affreusement creux tandis que le vide pulsait, dévorait leurs deux corps exténués.
Des corps qui ne leur avaient jamais appartenus des foutus corps à pulvériser pour devenir le dieu qui ferait plier l’autre
Autrefois ils avaient voulu être les dieux qui feraient plier le monde
Jusqu’à ce qu’Albus ne veuille plus être un dieu
Jusqu’à ce qu’Albus regarde le sang sur sa peau et se réveille d’un terrible rêve
Jusqu’à ce qu’Albus se lave les mains oubliant que l’odeur allait s’attacher jusqu’à la
Jusqu’à la fin
Dernier spectacle, dernière danse, et les sortilèges à chaque minute devenaient plus incroyables, plus spectaculaires. Albus ne pouvait s’empêcher de sourire, sourire comme un dément, sourire parce qu’il se sentait enfin heureux, enfin vivant, alors même que le monde s’écroulait.
Tout s’écroulait toujours autour de son amant
Tout s’écroulait toujours autour d’eux
Et il avait oublié les bruits du bonheur émergeant de cette suie
Il ne sut jamais dire comme ça avait basculé, mais il vit, il vit un éclair dans le regard de Gellert, et il sut que Gellert savait. Un souvenir lui remonta brusquement en mémoire, un Gellert adolescent qui souriait à demi en le regardant.
« Tu as toujours été plus fort que moi, Dumbledore. Un jour, tu verras, c’est toi qui me battras. »
Albus l’avait fait taire d’une pression de lèvres pour effacer la distance.
Il vit, il vit, dans un accès de lucidité effroyable, il vit la faille dans la défense de Gellert. Il n’eut même pas le temps de réfléchir que sa baguette pivotait et que le sort filait. Il enchaina d’une pirouette, d’un nouveau coup et… Gellert tomba. Un dernier mouvement de baguette et Albus le désarmait. La baguette de Sureau vola à travers les airs pour atterrir dans sa main.
Elle était très légère.
Hébété, il la regarda sans réaliser vraiment. Son regard dévia sur Gellert. Il ne tentait même pas de se défendre alors que les Aurors l’enchainaient.
Anéanti, Albus comprit. C’était fini. Il se sentait sur le point de s’évanouir. Une pensée fulgurante le traversa : Je suis le maitre du monde.
Dans cette plaine ravagée jusqu’à l’os, il tenait le monde dans ses mains. Il avait vaincu.
Les flashs allaient s’enchainer, les reporters le harceler, les hibous éclater contre ses fenêtres, les foules allaient hurler, Le Ministère allait se lever comme un seul homme et battre des mains, Le Macusa embrasserait ses bottes.
La victoire lui échappait déjà, elle courait dans les bouches et les oreilles, elle se répandait, elle construisait une légende de carton glorieux
La légende ne raconterait jamais les sourires de Gellert quand il regardait Albus
Les légendes ne sont jamais à regarder de près.
Il était le maitre du monde
Et il voulut vomir.
Debout, raide, il se força à regarder de nouveau Gellert.
- Dumbledore, ont dit d’une voix basse, respectueuse, le chef des Aurors et le Ministre, derrière lui.
Taisez-vous, il a dit d’un geste brusque de la main.
Le visage ravagé, couvert de sang, de poussières, de larmes, il s’est agenouillé face à l’autre, le vaincu, terrassé sans gloire. Gellert Grindelwald a relevé la tête. Amertume sans espoir.
Le titan rétréci a l’air si poussiéreux.
Incapable de détacher son regard de ces yeux vairons rivés à lui, Albus hoqueta presque, de douleur, de colère, et dit bas, si bas que seul le mage pouvait l’entendre.
- Pourquoi ?
Pourquoi tu as su ? Pourquoi tu es tombé ? Pourquoi tu es parti, ce soir-là, quand Ariana gisait ? Pourquoi tes voltes-faces incompréhensibles ? Pourquoi tes explosions ? Pourquoi, à quoi bon ces conquêtes sans goût ? Pourquoi tu es parti si loin ?Pourquoi tu t’es tu si longtemps ? Pourquoi tu m’aimais ? Pourquoi ?
Un moment, il a cru que Gellert ne parlerait pas. Orgueil farouche invincible. Mais les lèvres gercées du prisonnier se sont étirées en un sourire sans joie.
- S’il faut souffrir, chuchota-t-il, autant que ce soit par toi. Regarde dans mes yeux. Est-ce que tu t’y vois ?
Albus se releva d’un bond, et dans un effort surhumain, détacha son regard des iris flamboyants.
Il inspira un grand coup, titubant, harassé de fatigue, de douleur, de chagrin.
- Prenez-le.
Sans un mot de plus, il s’éloigna, refusant les infirmières qui se précipitaient vers lui. Il jeta un dernier regard au paysage dévasté par le combat, à Grindelwald qu’on emmenait, solidement immobilisé.
Albus mourut.
Et puis Dumbledore transplana.
A ce moment, le ciel se fendit, et l’averse tomba, trempant la terre en cendres, comme un déluge de larmes.