« Ça ne veut rien dire ».
Ces mots dansaient dans la tête de Rose plus souvent qu'elle ne le souhaitait. Lorsque Scorpius effleurait son nez avec le sien, lorsqu'il plongeait ses yeux gris dans les siens, quand ils discutaient calmement, lorsqu'ils couchaient ensemble aussi... Rose essayait de maintenir son masque d'impassibilité intact, mais c'était horriblement douleureux, et de plus en plus dur.
Le lendemain de la première fois où elle avait passé la nuit avec lui, elle avait ouvert les yeux avec cette sensation d'avoir fait le plus beau des rêves. Rose avait sourit en constatant qu'il la regardait, et dans ses prunelles toutes grises, elle avait cru lire quelque chose, une étincelle, un truc indéfinissable, qu'elle n'aurait su décrire mais qu'elle vivait et ressentait elle aussi. Puis il avait parlé.
De toute façon, avec Malefoy, le charme se rompait toujours dès qu'il l'ouvrait. Charmeur, roublard, beau, mais horripilant et maladroit au possible. Il lui avait dit « Ça ne veut rien dire ». Avant d'ajouter un « Ce n'est que du sexe ». Et Rose avait très distinctement entendu son cœur se briser. Alors elle lui avait répondu un « Je te déteste », parce que c'était la vérité.
Merlin qu'elle le détestait.
Ou peut-être pas, justement. Et qu'elle essayait de commander à son cerveau, de le détester…
C'était sa formule magique. « Je te déteste ». Comme si cela allait réellement se produire.
Pendant toute leur scolarité à Poudlard, ils s'étaient chamaillés. Et même cinq ans après l'obtention de leurs ASPICS, ils continuaient de se hurler dessus. Rose avait constaté que Scorpius faisait partie de sa vie, parce qu'il faisait partie de celle d'Albus. Au début, c'était ça. Juste ça… Il y avait ensuite eu les moqueries, les coups-bas, les ricanements... Scorpius et elle interragissaient naturellement.
Puis c'était devenu autre chose. Elle n'aurait su dire quoi. Peut-être que c'était sa manière de la provoquer chaque fois qu'il en avait l'occasion, mais aussi sa façon bien à lui de l'écouter quand elle racontait ses journées à Albus. Il faisait comme si elle n'était pas dans la pièce, mais Rose savait qu'il entendait tout, et qu'il y prêtait attention. Elle le savait depuis leur sixième année, parce qu'un jour, elle s'était plainte du fait que Hayden Thomas ne fichait rien pour leur exposé, et qu'elle devait tout faire : le soir même, Hayden, tétanisé, était venu vers elle, son travail fait, et bredouillant d'excuses. A la table des Serpentard, elle avait remarqué le sourire en coin et satisfait de Scorpius...
C'était peut-être aussi son obsession de la contredire tout le temps, de contrer chacun de ses arguments ou encore sa belle gueule, sa loyauté dès qu'il apprenait que quelqu'un lui avait fait du mal. Dans ces moments-ci, il lui disait que seul lui avait le droit de la faire hurler. Cette soirée, celle où ils avaient trop bu, il avait pris sa défense parce qu'une de ses collègues à Albus et lui, lui avait dit qu'elle était sacrément chiante. Rose avait juste fait remarquer que les runes gravées sur son collier en or signifiaient « bouse de botruc » et que techniquement, en plus d'être franchement de mauvais goût, ça ne voulait rien dire, parce que le terme « bouse » n'était pas adapté aux botrusc. Puis Annie Johnson lui avait dit de se taire, qu'elle était « chiante » et « ennuyeuse à mourir ». Scorpius lui avait demandé de la fermer, très froidement, avant de saisir la main de Rose et de l'emmener loin, avec lui. Albus était occupé à boire avec un autre de leur collègue et Rose avait suivi Scorpius sans se poser de questions.
Grave erreur. Et Rose détestait faire des erreurs.
Un verre, puis deux, puis trois à maudire Annie Johnson et Rose avait trouvé le courage d'embrasser Scorpius.
– Éteins la lumière s'il te plait, demanda-t-elle en revenant à l'instant présent.
Scorpius s'exécuta sans rien dire avant de remettre ses mains sur sa taille, à l'endroit exact où elles étaient avant qu'il n'éteigne la lumière, comme elle l'avait ordonné. Parfois, elle avait la sensation qu'il avait mémorisé son corps, ses moindres détails et qu'il le connaissait mieux qu'elle. Il savait où la toucher, quoi faire, où poser ses lèvres, où la caresser jusqu'à l'entendre gémir. Elle se retenait de murmurer son prénom. Elle espérait secrètement au fond d'elle qu'il s'empêchait aussi de prononcer le sien.
Elle sentit ses pouces frôler ses lèvres et se retient de les embrasser. Scorpius était si grand, si robuste qu'elle avait parfois peur de disparaître sous son corps, dans son corps. Elle n'avait toujours pas déterminé si elle adorait, ou détestait ça.
« Ca ne veut rien dire » se rappela-t-elle. Elle renfila son masque d'impassibilité, et essaya d'en armer son coeur. Quand il se blottit contre elle, elle se dégagea mais resta dans le lit en s'enroulant dans la couette. Dans le noir, elle entendait la respiration encore saccadée de Scorpius.
– Je m'en vais pour les vacances, lui apprit-il.
– Comme tous les ans, murmura Rose.
– Tu pourrais… , commença-t-il.
Il allait lui proposer de venir avec lui. Elle le savait. Mais Rose était plus qu'une paire de fesses et de seins. Elle était plus qu'un plan cul. Ça ne lui conveait pas et ça ne lui conviendrait jamais. Pourtant, elle n'y résistait pas. Parce que personne ne lui faisait ressentir ce que Scorpius lui faisait ressentir et que c'était ses mains qu'elle voulait sur elle. Pas celles d'un autre.
– On ne se supporterait pas deux jours.
– Ce n'est pas vrai.
– Tu ne m'aimes pas.
– J'adore passer du temps avec toi, avoua-t-il en fronçant des sourcils. Et je ne sais pas pourquoi tu t'es mis dans la tête que je ne t'aimais pas.
« Ça ne veut rien » se répéta-t-elle.
Voilà pourquoi.