Par une fraîche journée d’automne, les traits encore tirés par une nuit compliquée, Lilly Arkensy traversait d’un pas vif le parc en direction de la serre du Professeur Chourave. Sa cravate jaune et noir, couleurs caractéristiques la maison qu’elle chérissait tant voletait au-dessus de son épaule. A 10 ans, elle avait été admise dans la maison Poufsouffle, reconnue pour ses valeurs de loyauté, de persévérance, de sincérité et de justice. L’humidité de l’air et le vent froid fouettaient ses joues blanches pendant que ses jambes la guidaient jusqu’aux portes de la serre. Son endroit favori dans le château, avec la bibliothèque.
- Miss Arkensy, j’ai presque failli vous attendre, lui dit une voix haut perchée provenant d’une épaisse touffe de feuilles rondes et marronées.
Elle entendait le bruit de cisailles qui taillaient vraisemblablement lesdites feuilles, certaines même bougeaient de gauche à droite.
- Toutes mes excuses Professeur, j’ai rencontré des difficultés... cette nuit. Lilly se précipitait derrière le monticule de feuilles pour y rejoindre sa directrice de maison.
Elle laissait son sac tomber à terre et se munit d’une seconde paire de cisailles afin d’aider le Professeur Chourave. Ce grand arbuste qui faisait bien trois têtes de plus que le professeur, bien qu’elle ne soit pas très haute, était un figuier d’Abyssinie. Lilly connaissait bien cet arbuste qu’elle avait appris à tailler dès sa deuxième année. C’est d’ailleurs en deuxième année qu’elle s’était trouvée une réelle passion pour les plantes et leurs usages. C’est ainsi qu’elle avait développé certaines prédispositions en potions, malgré un professeur Rogue sévère et intransigeant. Entre deux « clics » de cisailles, le Professeur Chourave s’enquit de connaître les raisons de la mauvaise nuit de son élève.
- Miss Bones vous donne encore du tracas à cause de ses ronflements ? Je lui ai pourtant dit de rendre visite à Madame Pomfresh pour lui trouver une potion adaptée. Vous n’êtes pas la première à vous plaindre des nuits sonores de votre camarade dit-elle d’un ton agacé, de sa voix aigüe et reconnaissable. Elle s’affairait devant son figuier, ses larges boucles brunes et argentées lui passant devant les yeux, sur lesquelles elle soufflait de temps à autre pour les écarter de son visage.
- Non, Professeur, Susan prend bien ses potions, et heureusement ! J’ai simplement entendu une rumeur hier soir pendant le dîner, au sujet de la délégation qui a été envoyée à Beauxbâtons le mois dernier.
Lilly était pensive, en effet sa nuit avait été agitée, et pour cause. Une semaine auparavant, juste avant Halloween, bon nombre de sixième et septième année avaient été envoyés à Beauxbâtons pour participer au Tournoi des Trois Sorciers. Le Ministère avait jugé trop dangereux d’envoyer de jeunes élèves, c’est ainsi qu’une cinquantaine d’étudiants de Poudlard âgés de plus de 16 ans, toutes maisons confondues, avaient été envoyés en France, afin de représenter l’école, et pourquoi pas, permettre au champion de Poudlard de gagner le Tournoi. Cette délégation, sur base de volontariat, avait été malheureusement constituée par une majorité de Gryffondor et de Serpentard. La raison était que les Serdaigle pensaient beaucoup trop à leurs résultats des B.U.S.E. pour se déconcentrer et bien travailler leurs A.S.P.I.C. et que la maison Poufsouffle n’abritait pas en son sein assez d’élèves suffisamment courageux et téméraires pour risquer leur vie dans un Tournoi aussi dangereux que le Tournoi des Trois Sorciers. Lilly n’avait pas remis en question son courage lorsque la question de partir ou non en France lui avait été posée, mais elle avait souhaité privilégier ses études, elle qui désirait au fond d’elle, devenir professeur de botanique.
- Une rumeur, Miss ? Le Professeur s’arrêtait dans sa taille et leva son visage rondouillet vers Lilly, essayant de pénétrer ses pensées de part son regard brun et perçant.
- J’ai entendu dire que, par soucis d’équité, les organisateurs du Tournoi présents en France auraient aimé que toutes les maisons de Poudlard soient représentées en nombre égal. Si j’ai bien compris... il y a trop de Serpentard et de Gryffondor, et pas assez de Poufsouffle et de Serdaigle, lui avoua-t-elle en réhaussant ses lunettes sur le haut de son nez fin. Elle fronça également les sourcils. Lilly savait ce que cela signifiait. Si les Serpentard et les Gryffondor étaient trop nombreux, et les autres, pas assez, cela donnerait lieu à des échanges, et non plus sur base de volontariat cette fois.
Le professeur Chourave se râcla la gorge pour éclaircir sa voix, et pris une profonde inspiration. Tout en reprenant la taille de son figuier, mais dans des gestes plus lents, plus contrôlés.
- Vous devez bien vous douter de ce qu’il va se passer Miss Arkensy. Il nous a été demandé, au Professeur Flitwick et à moi-même de dresser la liste de dix élèves de nos maisons que nous souhaitons envoyer à Beauxbâtons, dit-elle avec une voix plus calme et réfléchie, tout en baissant les yeux vers son petit tas de feuilles.
- Je suis sur cette liste, n’est-ce pas Professeur ? demanda Lilly, d’un ton déçu, presque attristé, car elle posait la question mais connaissait malheureusement la réponse.
- Je vous ai inscrite sur cette liste Miss Arkensy.
Son expression était brute, ferme, presque impassible. Lilly la dévisagea, essayant de comprendre les raisons qui avaient poussé sa directrice de maison à l’envoyer en France pendant près de 6 mois. Était- ce pour l’écarter de ses cours, la forcer à sortir le nez de ses ouvrages poussiéreux ? Voulait-elle se débarrasser d’elle ? Prenait-elle trop de place ? Lilly adorait l’herbologie, elle l’adorait tellement qu’elle pouvait passer des heures dans la serre sans s’en rendre compte. Était-elle devenue aussi envahissante qu’une balsamine ?
- Je vous ai inscrite car vous êtes une de mes meilleures élèves, si ce n’est la meilleure. Votre place est là-bas. Vous ne serez peut-être pas championne, mais vous représenterez dignement notre école. Vous représenterez dignement notre Maison. Vous comprenez ?
Lilly soupira, c’était donc ça la raison. Elle était tellement douée en classe, qu’elle méritait d’aller applaudir trois fous en quête d’adrénaline pendant 6 mois, en France, loin de tous ses repères et de tout ce qui faisait qu’elle se sentait chez elle. Est-ce qu’elle comprenait ? Oui, ou peut-être pas. Elle n’était pas sûre. Elle n’arrivait pas à saisir l’intérêt de partir là-bas. Elle ne voyait pas le but.
- Je pense que je comprends, j’ai du mal à l’entendre, mais je le comprends, dit-elle, résignée.
- Miss Arkensy, il y aura des cours là-bas, et une des plus belles bibliothèques de France. Vous pourriez apprendre des choses que vous n’apprendriez jamais ici. Ce n’est pas pour le Tournoi que je vous y envoie, soyez-en certaine.
Il était là l’intérêt de ce déplacement. Le Professeur Chourave ne la punissait pas. En réalité elle lui offrait une opportunité unique d’apprendre, d’étudier. Un peu comme un stage à l’étranger ?
- Pour être franche professeur, je n’ai que faire des démonstrations sportives de nos écoles. Elle remontait à nouveau sa paire de lunettes dorée sur le haut de son nez.
- J’en ai bien conscience miss, ce n’est pas pour cette raison que je vous envoie à Beauxbâtons. J’aurais aimé vous l’annoncer dans d’autres circonstances, mais comme certaines rumeurs courent plus vite qu’un hippogriffe dans cette école...
Toutes les deux riaient de bon cœur, terminant la taille de leur figuier. De tous ses professeurs, Pomona Chourave était sans conteste sa préférée. Elle était directe, franche, ne machait pas ses mots et faisait toujours son possible pour tirer ses élèves vers le haut. Elle avait l’art de déceler le potentiel chez ses élèves, qu’ils soient de sa Maison ou pas. C’était sa vision de la justice, sa plus grande valeur. Celle qui faisait que l’on était un vrai Poufsouffle.
- Savez-vous quand cela sera rendu officiel ? Et quand devrai-je m’envoler vers Beauxbâtons ? demanda Lilly en rangeant les cisailles dans le tiroir prévu à cet effet. Les figuiers étaient dorénavant bien taillés, la récolte des feuilles servirait à préparer potions et onguents, et ils pourraient produire de belles figues au printemps.
- Nous avons rendu notre liste au professeur Dumbledore hier soir même. Une fois qu’il aura donné son aval, je suppose que vous devriez partir d’ici la fin de la semaine. Le Professeur Rogue et le Professeur McGonagall ont également dû établir la liste des élèves qu’ils souhaitaient voir rapatriés ici. Tout ceci doit être fait avant que les champions soient désignés.
- D’ici la fin de la semaine ? s’exclama-t-elle, choquée. Je n’avais pas du tout prévu cela, dit-elle pensive.
Elle se saisit de son sac, et remonta les passants, machinalement. Le Professeur Chourave lui tendit un sourire affectueux.
- Je sais que ceci semble précipité, et croyez-moi que j’aurais souhaité que cela se déroule autrement. Mais le Tournoi est fait d’imprévu Miss Arkensy. Je suis persuadée que vous brillerez par vos talents et votre détermination à Beauxbâtons. Vous avez beaucoup à apprendre des Français, mais rassurez-vous, elle fit une moue mutine, ils ont également beaucoup à apprendre de vous.
Lilly lui rendit son sourire, sans s’en rendre compte. Elle s’entendait si bien avec le professeur Chourave. Elle était maternelle avec elle, et même si elle se comportait de la même manière avec tous ses autres élèves, et particulièrement les élèves de sa propre maison, Lilly se plaisait à penser qu’elle avait une relation privilégiée avec sa directrice. Elle lui faisait une confiance aveugle, et si le professeur jugeait bon pour elle se partir en France pour le Tournoi, elle le ferait, que ceci l’enchante, ou non.