Il était une fois, à une époque lointaine, au temps des chevaliers et des nobles dames, quatre sorciers qui firent un rêve.
Ce n’était pas un rêve ordinaire, bien que l’on ne puisse réellement qualifier quoi que ce soit d’ordinaire lorsqu’il s’agit de sorcellerie. Ce rêve, fait par quatre sorciers que tout opposait, était un message du Destin. Un appel tout ce qu’il pouvait y avoir de plus officiel, avec les formules d’usage à rallonge, les encouragements plus ou moins énigmatiques et tout le fourbi !
Le Destin, personnifié à l’occasion par Merlin car une apparition sous sa forme de Jésus aurait été inopportune, avait une mission capitale pour ses sbires : ouvrir une école de magie qui s’appellerait Poudlard, où les plus jeunes magiciens pourraient apprendre l’art et la manière d’utiliser leurs dons. Le Destin avait déjà trouvé un lieu en Écosse, un très vieux manoir abandonné entouré d’un lac et d’une forêt. Il n’y avait plus qu’à le mettre aux normes de sécurité, qui étaient bien basses en ces temps lointains, et à organiser la machine à fabriquer des petits sorciers.
C’est dans ce but qu’un jour, malgré la grisaille et la pluie, Godric Gryffondor, Helga Poufsouffle, Salazar Serpentard et Rowena Serdaigle prirent la route.
Salazar, comte de Serpentard, fut le premier arrivé sur les lieux. Il avait quitté le domaine familial au son des supplications de sa grand-mère, désespérée que son cher Salazinou ne quitte le nid. Lui, trop heureux de fuir les jupes de la comtesse douairière, avait fait préparer son baluchon en toute hâte.
Il attendait patiemment depuis plusieurs heures, assis au bout d’une table poussiéreuse, quand, enfin, il entendit du bruit. Ravi d’avoir bientôt le loisir d’une conversation, il tomba des nues en voyant sa première acolyte.
Helga Poufsouffle était une sorcière de basse naissance qui aurait été bien incapable de le cacher. La vie à la ferme avait tanné sa peau comme du cuir, voûté son dos et rougit son nez. Elle n’avait pas tout compris au rêve qu’elle avait fait, le Destin utilisant par moments un vocabulaire au-delà de sa portée, mais elle savait qu’elle devait partir. Et quand le Destin vous appelle, même la meilleure fromagère du monde ne peut raccrocher. Son ton bourru et sa voix grasse inspirèrent au jeune et noble Salazar un rictus de mépris, il ravala difficilement sa fierté pour demander poliment comment s’était déroulé le voyage de la sorcière.
- Par Merlin, pas si mauvais. ‘Me suis arrêtée à la taverne des deux hippogriffes.
- Et d’où venez-vous ?
- Fort Augustus m’sieur Sire. Au sud d’Inverness.
- Fort Augustus ? s’étonna le comte, connaissant bien la géographie de l’Écosse. Vous voulez-dire que vous avez fait seulement deux lieues avant de faire une pause ?!
- Eh, c’est qu’on est pas des ch’vaux d’traie !
Affligé, Salazar soupira, il tenta d’ignorer le bruit de la chaise qui semblait sur le point de craquer sous le poids de la sorcière. Il ne put cependant prétendre échapper à la forte odeur qui vint assaillir ses narines quand Helga ouvrit sa vieille besace pour en sortir du fromage à l’air moisi et de la viande faisandée.
Quelques 96 minutes plus tard, ce fut au tour de Rowena Serdaigle de franchir la porte du vieux manoir abandonné, son apparition soulagea quelque peu le pauvre Salazar qui écoutait d’une oreille distraite les élucubrations de la Poufsouffle.
Rowena, fille du duc de Serdaigle, était une jeune femme à l’esprit vif mais qui peinait à se faire entendre. Son sexe et son jeune âge, elle n’avait pas plus de vingt ans, lui valaient souvent d’être ignorée par les autres qu’il s’agisse de ses parents, de ses prétendants, de ses amies et parfois même de ses serviteurs. Aussi, le lendemain matin de son appel du Destin, elle entra dans le salon du domaine Serdaigle, se posa devant ses parents et dit :
- Père, Mère, j’ai reçu un appel de Merlin. Il souhaite que je rejoigne trois autres sorciers pour ouvrir une école de magie en Écosse.
- C’est cela oui, fit Artemis Serdaigle, le regard vide.
- Bon courage très chère, renchérit Héra sur le même ton.
Et Rowena était partie.
Sa chevelure brune bien coiffée malgré le voyage, sa peau de porcelaine et la grâce avec laquelle la jeune femme se déplaçait rassurèrent le comte qui trouva immédiatement en elle une compagnie autrement plus appréciable que la fermière qui avait bu pas moins d’un demi litre de boisson depuis son arrivée.
Malheureusement, le quatrième compère tardait à arriver. Les minutes s’écoulèrent, devenant des heures…
- Par les nécromants ! Quand notre dernier compagnon daignera-t-il se montrer ?! gronda le comte.
- Peut-être notre camarade vient-il de loin, tenta de tempérer Rowena de sa voix douce, en vain.
- Eh bien, quand on vient de loin, on part plus tôt. C’est pourtant un stratagème connu de tous.
- C’est qu’il est bougon ce m’ssieur sire ! taquina Helga. Prenez donc un morceau de ma tome. Un bon fromage raffiné à ma ferme, ça va vous faire oublier vot’ humeur.
Mais rien que la vue de cette tome de fromage avait sur Salazar Serpentard un effet tout à fait négatif. Il déclina sans montrer une once de politesse, ce que la sorcière concernée ne remarqua même pas, et les trois acolytes attendirent encore.
La nuit avait commencé à tomber quand, enfin, le chevalier Godric Gryffondor arriva au château.
Si le jeune Godric était né parmi les pauvres gens du Pays de Galles, ses faits d’armes remarquables lui avaient valu d’obtenir des titres dont celui très honorable de chevalier. C’était un jeune sorcier volontaire, au visage avenant, dont le courage était loué sur toute l’île d’Angleterre.
- Salutations compagnons et compagnes ! lança-t-il avec un entrain démesuré.
- Vous êtes en retard; gronda Salazar.
- Toutes mes excuses, je me suis vu obligé de pourfendre un bicorne. Parbleu il ne viendra plus demander le reste de la monnaie de son galion.
- Au moins vous nous aurez rapportez ses cornes.
- Ses cornes ? Pouah ! Pourquoi faire m’ssieur sire ? demanda Helga.
- Des potions bien sûr.
- Navré camarade, répondit Godric en offrant à son complice une tape dans le dos, elle lui coupa le souffle. J’ai laissé la bête à son agonie.
Salazar, sous le regard à la fois amusé et compatissant de la jeune Rowena, retrouva sa respiration en se pinçant l’arête du nez.
Un comte prétentieux, une fermière alcoolique, une demoiselle ingénue et un chevalier simplet. Voilà ceux que le Destin avait choisi pour fonder Poudlard.