– Regulus est mort. On n’a pas encore retrouvé son corps, mais Kreattur est formel.
Andromeda avait lâché un profond soupir. Elle était peu bavarde de nature, agissait avec nonchalance et discrétion, toujours dans la retenue. C’était le fruit de l’éducation des Black, très certainement nourrie par son propre caractère. Mais à l’intérieur… à l’intérieur, Andromeda explosait de mille émotions et sentiments.
Beaucoup pensait qu’elle était indifférente. Ils ne la connaissaient pas. Andromeda était laBlack la moin indifférente.
Ted la regardait depuis ce moment et attendait patiemment qu’elle lui adresse une phrase ou un signe trahissant une quelconque émotion. Ils savaient tous deux qu’elle ne s’autoriserait à pleurer qu’une fois seule. La lettre dans sa main tremblante, Andromeda se leva de sa chaise, abandonna sa tasse de thé et monta se réfugier à l’étage.
On disait d’Andromeda qu’elle n’avait rien d’exceptionnel et absolument tout, d’ordinaire. Dans une famille comme la sienne, naître et être affublée d’un tel adjectif, était une peine que l’on portait au quotidien. Elle tenait son nom de la galaxie aux mille milliards d’étoiles et pourtant, on avait de cesse de lui répéter qu’elle était aussi terne qu’un ciel nuageux et grisâtre.
Elle n’avait pas la passion brûlante de Bellatrix ou l’élégance froide de Narcissa. Des sœurs Black, elle était celle qui fascinait le moins et dont on se désintéressait le plus. Son caractère simple et doux ne pouvait toucher que ceux qui apprenaient à la connaître, au-delà de son nom, de sa famille et des attentes dont tout le monde l’accablait.
Sa discrétion avait cependant toujours été un avantage pour se faufiler dans les coins les plus sombres du Manoir des Black et ainsi rester de longues heures cachées, lorsque ses sœurs et ses deux cousins jouaient. Et pourtant, elle ne gagnait jamais. L’impatience de Bellatrix, la ténacité de Sirius, l’air ennuyé de Narcissa, la détermination de Regulus… Ils étaient autant de distractions qu’elle ne parvenait pas à ignorer. Ils lui arrachaient toujours un petit rire esclaffé entre les deux gros coussins du canapé ou les lourds rideaux verts de la cuisine.
Lorsque leurs deux familles se réunissaient, les enfants se retrouvaient entre eux. Dans de grandes maisons où le calme et la retenue étaient reines, avoir l’occasion de courir un peu et de jouer lorsque les adultes étaient trop occupés pour les surveiller, était une véritable bénédiction. Andromeda n’aimait rien de plus que de voir ses deux cousins. Bellatrix et Narcissa étaient si proches… Elle s’était toujours sentie à part, comme de trop. Elle aurait souhaité les comprendre et être aimée d’elles.
Regulus était le meilleur d’entre eux, à cache-cache. Probablement était-ce dû à sa petite taille et à sa discrétion naturelle. Regulus mettait tant d’ardeur à se fondre dans le moule et à être celui que tout le monde désirait qu’il soit : une version plus digne et fière de Sirius. Bella et Cissy étaient ennuyées au bout d’un petit quart d’heure. Elles se battaient souvent pour savoir laquelle des deux irait chercher tous les autres : Bellatrix gagnait presque à chaque fois. Il suffisait cependant que les étoiles soient bien alignées, qu’elle soit dans un bon jour et que Narcissa ait le bon regard suppliant et affectueux, pour que Bellatrix lui cède sa place.
La dernière fois qu’ils avaient joué à cache-cache, c’était Narcissa qui avait compté jusqu’à cent.
Andromeda ne se cachait jamais loin de Regulus : elle avait repéré comme il était doué pour toujours trouver la bonne cachette. Sirius aussi, l’avait très vite compris. Et personne n’avait plus l’esprit de compétition que Sirius. Il avait besoin de prouver qu’il était le meilleur. Mais au-delà de ça, Regulus avait la fâcheuse tendance à se faufiler dans des endroits incongrus, noirs, poussiéreux, et dans lesquels il fallait se contorsionner : Regulus ne parvenait jamais à en sortir seul. Il restait silencieux pendant un certain temps, avant de gémir de douleur, à cause d’un bras ou d’une jambe pris dans un angle étrangement bizarre. Sirius était celui qui venait le rejoindre dans sa cachette, qui s’y glissait et allait retrouver Regulus pour sécher ses larmes.
Andromeda doutait qu’il y ait eu un jour d’autres personnes qu’elle et Sirius, à avoir un jour entendu Regulus pleurer.
Andromeda avait toujours été attendrie de la relation que les deux frères entretenaient. Ils étaient différents, et pourtant, l’aîné protégeait le cadet, et le cadet faisait confiance à l’aîné. Pour Andromeda qui était la sœur du milieu, elle n’avait jamais connu cela, dans aucun sens et pour aucune de ses deux sœurs. Elle leur avait envié ça, au point d’en crever de jalousie parfois.
Andromeda connaissait la solitude, et elle venait toujours la cueillir, lorsqu’elle était cachée, toute seule, et qu’elle entendait les deux frères patienter ensemble le temps que Cissy ou Bella viennent les trouver.
Mais la dernière fois qu’ils avaient joué, Andromeda n’avait pas suivi Regulus. Elle avait couru jusqu’au placard à balais de l’elfe de maison, persuadée que Narcissa n’irait jamais dans un tel endroit, et n’était certainement pas prête à se salir pour un simple jeu. Elle avait attendu plus d’une heure, toute seule, avant de craquer et de sortir de sa cachette.
Les éclats de voix de Sirius et Regulus faisaient trembler les murs.
– Pourquoi tu n’es pas venu ?
Longtemps après ça, Andromeda entendait encore distinctement Regulus prononcer ce reproche avec un sanglot dans la voix. Elle revoyait encore l’air indifférent de Sirius face aux yeux rougis de son frère, qui avait séché ses larmes pour que ni Cissy, ni Bella ne les voient.
– Tu n’es plus un bébé. Et si t’es si doué que mère et père le disent, tu ne chouinerais pas à cause du noir !
Sirius avait fait payer l’indifférence de ses parents, leur mépris envers lui, à son propre frère, le Petit roi des Black, parce qu’il n’avait tout simplement personne d’autre à qui s’en prendre. Andromeda imaginait sans peine les remontrances que Sirius avait subi avant de venir ici : elles étaient de pire en pire, de plus en plus autoritaires et dures, là où Regulus avait une petite tape sur la tête et tous les compliments. Il était le parfait coupable, pour Sirius. Il n’avait pas encore la force et l’âge de se dresser complétement contre ses parents, alors sa vengeance, sa colère, son sentiment d’injustice, il les avait adressés à Regulus. Bella riait, Cissy passait une main dans ses longs cheveux et les adultes ne s’occupaient pas d’eux. Andromeda était intervenue, pour réconcilier les deux frères. Les regards brillant de colère et de tristesse, ils s’étaient serrés la main. En revanche, ils n’avaient plus jamais joué à cache-cache.
Parce qu’ils avaient grandi et que ça ne les amusait plus. Parce que Regulus avait toujours peur du noir, qu’il était devenu trop grand pour ses cachettes, et que Sirius et lui ne pouvaient plus s’y glisser ensemble, pour tellement de raisons… La graine de l’animosité avait été plantée entre eux tous.
Pauvre Regulus.
Dix-huit ans, c’était l’aube d’une vie et l’imaginer perdu, quelque part, lui brisait le cœur. Elle l’imagina avec Sirius, pliés tous les deux dans un coin, à attendre qu’on les trouve. Elle se demanda si Regulus avait toujours peur du noir, même après toutes ces années… Elle espérait qu’on retrouve son corps le plus rapidement possible, pour qu’il ne soit plus seul, lui semblait pourtant s’être enfermé dans une solitude imperméable.
Les jours passèrent et les rumeurs se répandirent selon lesquelles il aurait trahi le Seigneur des Ténèbres.
Regulus... Pauvre Regulus... Jamais maître de son destin et la seule fois où il avait agi pour lui et avec son cœur, il en était mort.
Regulus était mort. On ne savait pas trop pourquoi. On ne savait pas trop comment. On ne savait où. On ne savait rien.
Et amèrement, elle espérait qu’il ne gagne pas sa dernière partie de cache-cache et que l’on retrouverait vite son corps. Mais il n’y avait toujours que Sirius d’assez malin, pour toujours trouver son frère et Andromeda avait la certitude que cette fois-ci, l’aîné des Black n’avait pas suivi son cadet, perdu à jamais.