Hermione était une Miss Je-sais-tout. Et les Miss Je-sais-tout savaient tout faire, n’est-ce pas ?
Ses dents écrasèrent sa lèvre inférieure et un sanglot sombra dans sa gorge pour s’abîmer quelque part près de son cœur. Elle aurait tant aimé ne pas savoir, ne pas pouvoir, être incapable cette fois-ci. Mais voilà : elle savait qu’elle ne pouvait ignorer le risque qu’elle leur ferait courir à tous en se lançant dans cette quête aux côtés de Harry. Elle savait qu’elle devait être responsable, comme toujours. Elle savait qu’elle devrait faire des sacrifices. Qu'elle devait se sacrifier.
Hier elle s’était tuée méthodiquement, sort après sort, dans l’esprit de ses parents. Alors aujourd’hui pour la première fois elle se sentait vraiment, vraiment vide ; pleine de peine en même temps.
Elle leur en avait parlé, bien sûr. Elle ne les aurait jamais pris par surprise. Elle leur avait même demandé, pour tenter de dédramatiser, s’ils avaient une préférence pour les prénoms. Ils avaient refusé de répondre ; son sourire de façade s’était effrité.
Sa mère l’avait suppliée de ne pas modifier leur mémoire, de les maintenir dans le secret, de leur faire confiance. Hermione lui avait pourtant bien expliqué que cela n'avait rien à voir. Et devant le désespoir de sa mère elle s’était interdit de flancher.
Son père avait plus vite accepté mais avait pleuré, beaucoup, énormément. Elle avait découvert que ses yeux pouvaient être bleus pour elle. Et c'était comme si on essorait un linge humide dans son ventre à chacun de ses nouveaux gémissements.
Il l’avait serrée maladroitement dans ses bras en lui murmurant tout un tas de choses qu’il ne lui avait jamais dites, et le cœur d’Hermione ne s’était toujours pas tout à fait calmé depuis.
Et si l’Australie c’était loin d’elle, c’était tant pis mais c’était surtout tant mieux. Voile sur les antipodes, loin de l'Angleterre et de la guerre, de la menace et de la mort. C’était pour le mieux. Et les sillons creusés dans ses joues par ses larmes en fusion n’y changeraient rien. C’était la bonne chose à faire.
Ses parents aimaient l’Australie. Ils en avaient parlé, plusieurs fois. Ils prévoyaient d’y organiser leurs prochaines vacances ; elle avait juste précipité un peu les choses, finalement. Elle n’avait fait que leur rendre service…
Wendell et Monica Wilkins avaient toujours rêvé de s’installer en Australie, mais surtout…
Wendell et Monica Wilkins ne devaient pas avoir d'enfant.
Son visage s’était effacé de toutes les photographies. Les grains de bromure avaient dévoré ses sourires l’un après l’autre. Ils ne lui en avaient laissé aucun.
La petite fille, l’adolescente, et la jeune femme avaient disparu de la mémoire du couple, de leurs affaires, de la maison. N’était alors plus restée qu’Hermione, chancelante et pâle, au beau milieu du salon.
Avec un peu de chance, elle reviendrait les chercher, et autrement… Un nouveau nœud se logea dans sa gorge. Que c’était douloureux d’envisager le pire. Autrement, si quelque chose se passait mal, elle avait suffisamment confiance en la puissance de ses sortilèges pour qu’ils puissent les maintenir en sécurité et heureux pour le reste de leur vie. Et si c’était sans elle, tant pis. Elle préférait mourir dans l’indifférence que de les entraîner dans sa chute. Si elle était amenée disparaître, elle serait déjà effacée de leur vie. Ils n’auraient pas à endurer la perte d’un enfant. Ils ne méritaient pas de voir leur vie détruite ; elle leur en offrait une nouvelle.
Et alors qu’elle pensait que le plus dur était passé, alors qu’elle venait de s’effacer de leur esprit et que Wendell et Monica Wilkins lui faisaient face, sa mère avait relevé les yeux vers elle. Et avait posé la seule question qu'elle aurait pu poser dans ces circonstances :
« Qui êtes-vous ? »
Elle avait eu l'impression d'être l'une de ces bougies pas tout à fait éteintes que l'on rallumait soudain dans la douleur en soufflant dessus.
« Personne.
— Vous ressemblez tellement à… »
Personne. Personne. PERSONNE. Elle ne ressemblait à personne. Elle n’était personne. Plus personne. Aujourd’hui elle s’annihilait. Ils devaient l’oublier. Elle devait les libérer.
Elle resta longtemps immobile après avoir transplané.