Chapitre 1
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Il estait une foiz
Dans un castel fort resputé
Une chasteleine toute en joy
Car Ameur elle avait trouvé
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Dame Ignatia du comté de Fontaine-à-la-Bonne-Fortune en pays gallois était de fort belle humeur en ce matin de printemps de l’an mil deux cent soixante-douze. Elle regardait la surface métallique de son miroir en chantant l’amour nouveau qui s’ouvrait en son cœur et répandait force merveilles en ses pensées jadis ternes et malheureuses.
Son époux, Sire Edmond du comté de Fontaine-à-la-Male-Fortune en pays gallois avait donné durant la soirée de la veille un bal avec moult gentilshommes et ménestrels. Les mets et le cochon saigné et grillé pour la fête avaient régalé les invités, la bière avait coulé à flots, et les troubadours n’avaient cessé de chanter l’épique chanson du chevalier Roland, mais surtout les ballades du pays d’Oc qui émerveillaient les dames de la cour et la Châtelaine Ignatia avec elles.
Et ce troubadour… ce troubadour !
Dame Ignatia entendait encore sa voix merveilleuse lui conter l’affreux comportement de ce chevalier qui avait oublié sa dame par amour du devoir… mais le devoir n’excusait point l’oubli de l’amour et de la fidélité ! Les chevaliers ne pensaient point assez à leur dame, il n’y avait que ce Graal à quêter et cet honneur à sauver dans leurs esprits !
Les chevaliers étaient si surfaits de toute façon.
Alors que les troubadours… Alors que ce troubadour !
Dame Ignatia tourna sur elle-même et se mit à rire au milieu de sa pièce de vie. Elle regarda avec un soupir tout le mobilier que Sire Edmond lui avait fait faire, toutes les tentures qu’il lui avait achetées, tous les bijoux qu’il lui avait forgés pour lui donner un sourire qu’elle ne savait plus faire depuis des années : et tout ceci la fit rire, car rien, rien ne pourrait à présent remplacer dans son cœur et son âme la voix merveilleuse du troubadour Geoffroy De-la-Lande-Sauvage.
Geoffroy, comment avait-elle pu oublier Geoffroy, son compagnon de Gryffondor lorsqu’elle était jeune fille à Poudlard ? Son compagnon malicieux avec lequel elle avait appris la magie ? Son compagnon qui faisait toujours le pitre pour la faire rire ? Geoffroy. Son Geoffroy.
Elle s’était sentie si seule durant tant d’années passées à s’occuper du Château de Fontaine-à-la-Male-Fortune, si seule lorsque Sire Edmond étaient parti pour la Croisade reconquérir Jérusalem en vain, si seule !...
Mais tout était terminé à présent. En dépit de leurs origines si opposées, en dépit de Sire Edmond qui pourrait chercher querelle à voir son épouse s’acoquiner avec un ménestrel et tout abandonner pour une vie sur les routes, en dépit de tout : ils s’étaient promis, Geoffroy et elle, de se retrouver et de ne jamais plus se quitter.
Dame Ignatia regarda l’horizon avec émerveillement : toute cette vue était pour elle. Qu’importent les brigands des routes, elle userait à nouveau de sa baguette pour s’en défendre. Qu’importe l’effronterie qu’elle ferait à son époux, ses enfants et ses parents : Geoffroy et elle pourraient à nouveau rire ensemble. Qu’importe tout, tant qu’elle pourrait trouver la voix de Geoffroy à ses réveils à venir, et sentir à nouveau sa main dans la sienne.
Qu’importe le monde, une nouvelle vie s’offrait à elle !
Elle se mit à rire aux éclats en se laissant tomber sur son lit de châtelaine. Et dire qu’hier soir, lorsqu’ils s’étaient reconnus après des années de séparation, elle l’avait tiré à sa suite et ils avaient batifolés là, sans aucune pudeur, comme possédés par des démons, incapables de maîtriser plus longtemps un désir qu’on ne leur avait pas laissé le temps de comprendre dans leurs jeunes années ! Dame Ignatia en pouffa de bonheur, en rougit d’euphorie, en cria de joie, en perdit l’équilibre et se ramassa sur le sol de pierre en riant toujours autant.
La vie était si belle.
Hum, il y avait seulement un petit problème : elle devait trouver une solution pour retrouver Geoffroy dans le hameau du Pré-du-Lard dans huit jours. Cependant, dès que Sire Edmond avait su qu’elle faisait de la sorcellerie comme toutes les demoiselles et les damoiseaux du comté de Fontaine-à-la-Bonne-Fortune, maints sortilèges de protections avaient été installés pour empêcher quiconque de l’emmener loin du Château de Fontaine-à-la-Male-Fortune. C’était fort aimable et prévenant de sa part : tant de chasseurs de licornes et de brigands avides de rançons kidnappaient des sorcières pour leur faire faire de si viles actions.
Mais céans, cette protection l’ennuyait fort.
Que faire ?...
Il n’y avait qu’à trouver un moyen de passer outre cette protection par la magie ! Les brises légères la porteraient loin d’ici en passant outre les incantations installées tout autour du Château de Fontaine-à-la-Male-Fortune, et elle pourrait s’envoler et retrouver son Geoffroy dans le hameau du Pré-du-Lard, lieu de leur sorties juvéniles, et ils pourraient encore batifoler pour les siècles des siècles. Amen !
Elle se jeta sur sa malle pour en tirer le codex qu’elle avait soigneusement annoté à sa sortie du château de Poudlard afin de ne jamais oublier les sortilèges, maléfices et potions que Dame Outrerhin et Sieur Foindepaille lui avaient enseignés. Elle avait scellé son grimoire il y a tant d’années, quand tout avait perdu goût à sa bouche, après des journées entières d’un ennui triste et épuisant tant est si bien que même entretenir sa magie l’avait ennuyée. Elle cassa le sceau de cire rouge et ôta le ruban avec fébrilité. Les pages de vélin avaient jaunies mais le codex avaient été de qualité – elle avait insisté auprès de son père – et le tracé de sa plume ansérine était demeuré intact.
Elle redécouvrit avec plaisir les instructions qu’elle avait lues et relues, chercha un sortilège capable de la projeter loin d’ici, de confectionner un pont par-dessus les sortilèges de protection de Sire Edmond…
Elle chercha pendant des heures…
En vain.
Elle cria de rage, incapable de croire à tant de malchance. Des années loin de Geoffroy, une soirée à l’écouter lui chanter l’amour qu’il lui portait depuis toujours, la quête qu’il avait dû faire à travers tout l’Angle-de-la-Terre, et elle n’était pas capable de trouver un petit sortilège de rien du tout afin de le retrouver au Pré-du-Lard ? C’était affligeant ! C’est chimérique ! C’était inacceptable !
Elle referma son grimoire, remit rageusement le ruban et le sceau afin que Sire Edmond ne se doutât de rien, et pensa longuement.
Si elle mélangeait un peu d’ellébore qui calme la folie, un peu de bière qui excite les papilles, un peu de cendre qui bulle de joie, un peu de…
Non, trop aisé.
« Dame Ignatia ? Jarnidieu, je vous ai ouïe hurler au Diable ! Vous portez-vous bien ? vint l’importuner Sire Edmond dans sa réflexion. »
Elle tourna un regard furieux vers lui. Son visage penaud lorsqu’il comprit qu’il la dérangeait l’attendrie un peu. Elle lui lança un sourire distrait.
« Mais bien non, Sire Edmond, je méditais sur l’avenir de votre Château, dit-elle au hasard.
— M’amie, vous me rassurez fort, j’eus craint qu’une colère vous glissa un instant du nez, se rassura Sire Edmond en entrant dans la chambre. »
Elle refit son regard mécontent, il n’osa approcher plus. Il se contenta d’un autre sourire sur le pas de la porte et d’une salutation de la tête.
« Je crois que l’envie d’être seule reste tenace chez vous, m’amie. J’eus portant cru que le bal de la veille vous avait redonné joie, s’attrista Sire Edmond.
— Oh oui, il m’a redonné joie, confirma Dame Ignatia avec émerveillement. J’aimerais encore y songer seule un moment, mon ami. Laissez-moi, indiqua-t-elle avec un mouvement aérien de la main. Je vous rejoindrai pour souper.
— Tout ce que Dame Ignatia désire est un ordre, accepta-t-il en quittant la pièce. »
Pfff. Geoffroy avait tant et tant plus de classe.
Voyons, elle devait revenir à ses brebis. Inventer un sortilège magique devrait…
Son regard s’arrêta sur les flammes de la cheminée. Hum. Toute maison possédait une cheminée. Un conduit de cheminée aussi. Une entrée, et une sortie. Si l’on protégeait le tout entouré d’un sortilège de gèle-flammes qui protègerait de la brûlure, mais reprendrait toute l’énergie d’un bûcher dévastateur afin de propulser sorciers et sorcières là où leur désir le manderait…
Hum. Un sortilège… ou une poudre d’ellébore légèrement améliorée ?
Hum. Une poudre pour charbonner la magie, faire éclater la puissance du feu, et envoyer loin, très loin…
Hum. Une poudre magique pour retrouver Geoffroy.
Hum.