Chapitre 2
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Lors grant Ameur pour elle
Devait triompher de tout
Sorts de feu et poudre belle
Elle ourdit un plan fou
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Dame Ignatia du comté de Fontaine-à-la-Bonne-Fortune n’attendit pas le lendemain pour se mettre à la tâche et préparer son plan d’évasion du château de son époux devant Dieu, Sire Edmond du comté de Fontaine-à-la-Male-Fortune. Elle aimait son pays gallois, mais l’amour de Geoffroy surpassait désormais tout autre : c’était avec lui qu’elle voulait vivre, et non plus avec la terre galloise de ses ancêtres. Son présent primait sur la lignée ancestrale, et l’amour l’enflammait d’un soleil nouveau.
Sitôt son assiette finie, elle prit la coupe que ses dames de compagnies, et les chevaliers, pages et écuyers de son époux, se passaient depuis le début du repas, et s’empressa de faire descendre le morceau de poulet qui restait bloqué dans sa gorge avec une gorgée de vin mêlé. Elle s’essuya rapidement les mains sur la nappe et sa voisine en fit de même tout en continuant de lui parler.
« Vous êtes si distinguée, Dame Ignatia, se réjouit Dame Hildegarde.
— Vos manières sont très bonnes aussi, Dame Hildegarde, répondit-elle en sortant une épingle pour ôter les fils de chair animale d’entre ses dents. »
Dame Hildegarde sortit sa propre épingle, dont le petit manche semblait de nacre, pour s’adonner à la même opération délicate. Dame Ignatia fit son office en quelques instants, mais Dame Hildegarde tenait à lui parler encore, si bien qu’elle prit un peu plus de temps.
« Paraît-il… que vous pratiquez un peu de… magie selon ma belle-fille… C’est fabuleux ! Les plantes n’ont-elles pas de secrets pour vous ?
— Elles en ont toujours moins, répondit humblement Dame Ignatia en pensant justement à quelles plantes explosives et à quels sortilèges elle pourrait user pour sa poudre de voyage par cheminée.
— Y a-t-il des plantes qui s’usent telles quelles pour soigner ou faut-il un peu de vos incantations pour leur donner vertus ? s’intéressa encore Dame Hildegarde avec émerveillement. »
Cela faisait bien longtemps qu’un homme ou une femme de qualité mais ne pratiquant pas la magie n’avait pris la peine de s’intéresser à la magie de Dame Ignatia. Aussi, elle songea que cette discussion pourrait probablement lui donner des idées pour l’élaboration de sa poudre et de son installation de voyage par cheminée. Elle ne parlerait point de son idée afin que cette dernière ne parviennent guère aux oreilles de Sire Edmond – et de toute façon, personne ne tiendrait cette idée pour réalisable, que son vis-à-vis fût sorcier ou non.
« Vous trouverez moult possibilités, en convint mais à voix basse Dame Ignatia car il était souhaitable que ceci ne se sache point si elle voulait garder quelque autorité en la matière. Certaines plantes ne produisent nulle magie et ont des vertus naturelles qu’il suffit à chacun d’observer. C’est le cas du concombre sauvage par exemple, qui, fort de ses vertus naturelles, soignent les maux oculaires après quelques manipulations sans danger. Certes, l’élatérium – c’est le nom de cette médecine – se confectionne mieux à l’automne, mais avec habile adresse, il se réalisera autant bien en été. D’autres plantes, non-magiques encore – c’est-à-dire qui ne regorgent point de magie et qui furent cueillies en toute occasion, sans influence des astres – nécessitent sortilèges et incantations pour soigner des maux magiques. C’est le cas de la scille pour exemple dont les bulbes noirs et blancs sont réputés en médecine magique. Pour les maux ordinaires, on préfèrera les bulbes blancs. Pour les maux magiques, les bulbes noirs. Tous deux sont cependant des remèdes magiques, car il faut absolument les réaliser quarante jours avant le solstice et ne s’en occuper qu’avec la magie, sans jamais les toucher. Coupés à l’aide de maléfices de découpes et séchés dans des jarres scellées avec du plâtre, les bulbes sont ensuite sortis grâce à des sortilèges de lévitation, plongés dans une mixture de pluie de pleine lune, et subissent plusieurs formules que je vous épargnerai, Dame Hildegarde, avant de reposer dans une autre mixture pendant sept jours précisément dans un chaudron fermé avec des feuilles de mandragore. Puis il y a les potions magiques tel l’essence de dictame, qui nécessitent des plantes magiques, des incantations sans baguettes et de bien savoir lire les astres : ce sont les potions les plus dangereuses, les plus difficiles à réaliser, et par conséquent les plus rares.
— C’est merveille de vous ouïr, Dame Ignatia, s’extasia Dame Hildegarde en soupirant rêveusement. J’eus tant voulu en pouvoir autant que vous afin de me sentir libre de tout accomplir. »
Le regard de Dame Hildegarde se reporta sur l’autre bout de la table, où Dame Ursula la regardait elle aussi avec ce regard enflammé d’amour que son Geoffroy lui avait fait découvrir la veille.
Dame Hildegarde gagna céans son empathie et son amitié. Amour devait toujours triompher.
« Vous avez ma sympathie, Dame Hildegarde, souffla-t-elle en se penchant vers sa nouvelle amie. Aidez-moi à quitter la salle ce soir, et mon pouvoir de tout accomplir pourra tout accomplir, lui souffla aussitôt Dame Ignatia en lui désignant Dame Ursula d’un mouvement discret du menton. »
Dame Hildegarde la regarda avec des yeux ronds et des joues rouges avant d’hocher vigoureusement la tête.
« Savez-vous lire ? ajouta Dame Ignatia. »
Hochement de tête nouveau de Dame Hildegarde.
« Savez-vous écrire ?
— Non je, mais Dame Ursula le puis, en convint Dame Hildegarde en se tortillant sur le banc de table avec impatience.
— Un hibou vous portera de mes nouvelles tantôt, lui précisa Dame Ignatia avec un sourire. »
Dame Ignatia se détourna de son amie nouvelle et porta ses regards sur Sire Edmond, qui parlait avec emphase et extravagance à côté d’elle. Dire qu’il l’avait éblouie à sa sortie de Poudlard.
« Mon ami, le pria-t-elle en posant sa main sur son bras. Permettez-moi de me retirer. Le bal d’hier me laisse encore épuisée.
— Oh, m’amie, laissez-nous un peu votre compagnie, la pria-t-il avec tristesse.
— Mon ami, je suis si lasse, se lamenta-t-elle en touchant du bout de son pied celui de Dame Hildegarde.
— Mais, mon amie…
— Sire Edmond, permettez que je raccompagne votre bien-aimée châtelaine en ses appartements, je lui tiendrai compagnie étant moi-même toute affligée de sentir le sommeil me gagner, intervint habilement Dame Hildegarde.
— Il faut savoir céder aux dames », se désola Sire Edmond en prenant la main de Dame Ignatia.
Sire Edmond fit cela avec douceur, délicatesse et même prudence pour la plus grande exaspération de Dame Ignatia. Comment avait-elle pu apprécier cette précaution par le passé ?
C’était la fougue de Geoffroy qui donnait vie à son corps à présent !
« Fort bien, se réjouit-elle en se levant. Ne venez point ce soir, mon ami, je ne ferai que dormir.
— Comme il vous plaira, Dame Ignatia », accepta encore Sire Edmond sans la lâcher de son regard malheureux.
Pfff. Geoffroy aurait au moins proposé de la raccompagner à sa chambre, de lui faire porter une infusion, de lui masser le corps ou n’importe quoi.
« Allons-y », souffla-t-elle avec impatience à Dame Hildegarde.
Elle monta rapidement les escaliers en pierre malgré la lourdeur de sa robe, suivie de près par Dame Hildegarde. Elle ouvrit la porte de ses appartements, et désigna l’une des chaises à Dame Hildegarde qui s’empressa de s’asseoir pendant qu’elle retournait chercher son grimoire, une plume et une corne d’encre.
« Il est certain qu’il faut charbonner avec de la poudre d’ellébore, affirma d’emblée Dame Ignatia.
— La poudre d’ellébore n’est-elle pas réputée pour soignée la folie ? s’étonna Dame Hildegarde.
— Oui da.
— Quelle folie voulez-vous soigner ? »
Certes, quelle folie voulait-elle soigner ? Nulle folie n’était à soigner, il fallait l’emporter plus loin, au contraire !
« La Dieu merci, vous m’avez évité folie, reconnut-elle en plaisantant. C’est de chicorée dont nous avons besoin pour apaiser la fièvre de la flamme de l’âtre ! »
Dame Ignatia parcourut son grimoire, ignora les propriétés de la sanve – chou sauvage un brin laxatif – et du chou marin – fort laxatif a contrario. Ah l’ache ! Parfait pour éclaircir la vue et voir sa lointaine destination ! Pas de l’ache frisée qui favorisait la prolifération de vers intestinaux, mais l’ache lisse surtout.
« Dame Ignatia, en quoi puis-je vous aider ? demanda Dame Hildegarde.
— Connaîtriez-vous quelqu’un de fort discret capable de me quérir une liste d’ingrédients ? demanda Dame Ignatia.
— Ma foi oui, le fils de Dame Ursula est une merveille de tendresse et il m’admire, lui confia Dame Hildegarde avec un rire. Il ira tout vous quérir céans avant que nous regagnons les châteaux de nos époux, se lamenta Dame Hildegarde. Dame Ursula manque déjà à mon cœur. »
Dame Ignatia sentit son cœur pleurer à son tour en songeant à son Geoffroy qui remontait seul et dans le froid vers le village du Pré-du-Lard afin de préparer sa venue. Il avait promis de préparer la maison dans laquelle il avait grandi avec ses parents. Dame Ignatia s’en souvenait fort bien, et c’était par la cheminée de cette maison qu’elle entrerait.
« Dans sept jours, nous serons libres d’aimer l’être de nos joies, promit-elle à Dame Hildegarde.
— Comment donc ? demanda misérablement Dame Hildegarde.
— Comment la magie est merveille pour voyager ! se réjouit Dame Ignatia. DE LA SARRIETTE ! Il faut de la sarriette cueillie à la pleine lune et séchée avec des dards d’abeille ! comprit Dame Ignatia en l’ajoutant frénétiquement sur la liste qu’elle constituait sur les dernières pages vierges de son grimoire. J’irai en cueillir ce soir, comprit-elle en regardant par la fenêtre. Quelle plante possède assez de puissance et d’énergie pour propulser… »
De la mandragore. Le cri de la jeune mandragore donnerait assez de puissance au feu pour propulser le sorcier dans l’autre cheminée. Et de l’aneth brûlé. Pour éructer. Légèrement stérilisante pour les hommes de manière momentanée, mais qu’importe, elle était femme. Du pavot ? Non, surtout pas, il ferait perdre les sens à l’énergie acquise par la sarriette, les dards d’abeille et le cri de mandragore.
Il fallait surtout ne pas se tromper de destination.
Elle recopia les ingrédients qui lui semblaient pertinents sur du papier à lettre qu’elle utilisait d’ordinaire à destination de ses parents, et donna la liste folle à Dame Hildegarde qui la lut avec étonnement puis horreur.
« De la mandragore ? Voulez-vous que le petit Dilys aille sous un pendu récupérer la putréfaction que son âme créa dans sa décomposition ?
— Que nenni ! protesta vigoureusement Dame Ignatia – c’étaient les malotrus qui ramassaient la mandragore en de tels lieux. La mandragore pousse tout aussi bien sous les chênes centenaires, la rassura-t-elle. J’irai moi-même ce soir. La pleine lune augmentera la puissance du cri, comprit-elle. »
Dame Hildegarde quitta ses appartements avec émotion en relisant la liste. Dame Ignatia, quant à elle, songea que la poudre seule ne suffirait pas à un tel voyage. Il fallait une machinerie capable d’attraper et de hisser loin, jusqu’au lieu désiré. La poudre ne serait qu’un accélérateur, comme l’air qu’on soufflait sur la flamme pour la faire grandir.
« Une canne à pêche », trouva-t-elle en remarqua celle que son fils cadet lui avait offerte.
Il lui avait fait ce présent lorsqu’il était parti comme page chez Sire Wilhem du comté de Caverne-aux-Joyeux, homme d’honneur et de bonne vie qui avait longtemps eu la tendresse de Dame Ignatia – avant son mariage avec Sire Edmond. Sire Wilhem était d’un peu trop bonne vie, en convint Dame Ignatia en faisant la moue, mais il était bon !
Elle mâcha un peu d’ache qui lui restait pour éclaircir ses pensées et mieux visualiser la cheminée de la maison de la famille de son Geoffroy, puis elle traça un pentacle avec la cire de bougie, plaça d’autres bougies aux pointes qui rencontraient le cercle, et s’assit au milieu. Elle s’imprégna de l’univers, chercha les chemins des êtres et de la nature, et leva sa baguette pour tresser un lien solide depuis la cheminée de la maison du Pré-du-Lard qu’elle fit s’enrouler sur elle-même à la manière des chaînes d’un point levis. À la manière d’une chevelure, le lien la relia bientôt à la cheminée. Dame Ignatia tira son épingle, la courba d’un sortilège de Forge pour en faire un crochet, et la noua habillement de points de broderie magique à la tresse avant de laisser le sortilège pendre dans la cheminée. L’épingle, de métallique devint lumière, et s’intégra savamment à la magie avant de disparaître aux yeux de tout être inconscient du mécanisme magique déployé.
Dame Ignatia tira délicatement, et trouva toute force que son propre fils avait mise dans la réalisation de sa canne à pêche à l’époque. L’amour faisait tant !
Le point le plus central au corps humain était sans contexte le nombril, c’est en ce lieu que le crochet devrait s’agripper pour transporter un être humain.
Maintenant, les ingrédients pour la poudre propulsatrice.
Comme toute sorcière, la lune guidait son pouvoir : ce soir était fait pour réussir.
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Sept jours plus tard, toujours seule dans ses appartements, Dame Ignatia mit le dernier ingrédient dans le chaudron qui siégeait en son âtre depuis cinq jours. Les ajustements fait progressivement semblaient avoir stabilisé la potion lorsqu’elle ajouta du Calcaire de Morgane dans la marmite afin d’enlever toute l’eau de la potion et transformer ladite potion en combustible.
Lorsque l’eau baissa, aspirée par le Calcaire de Morgane que Dame Ignatia ôta ensuite, le cri de la racine de mandragore retentit à nouveau. Ou plutôt, Dame Ignatia l’entendit à nouveau, à présent que l’eau s’était en allée. Son cri puissant et plein d’énergie imprégnait désormais la soupe de sable qu’elle avait obtenu. Après avoir fait bouillir la sarriette et les dards d’abeille séchés par un sortilège de Séchage, elle les avait plongés dans un chaudron d’eau pour les laisser infuser. Les spirales jaunes et noires qui tournaient de manière hypnotique à la surface de son chaudron lui avaient clairement indiqué que son sortilège de Séchage avait fonctionné selon ses vœux sur les dards d’abeille. Les langues de fumée brunes, semblables à des feuilles de sarriette ou de laitue qui avaient entouré le chaudron lui avaient indiqué que les essais commençaient.
Elle avait essayé maints dosages et maints assemblages une fois l’infusion répartie dans tous ses chaudrons. Si ses premières intuitions avaient été bonnes, il avait fallu à la recette d’autres plantes et sortilèges de son cru pour ne point exploser ou brûler la pomme qu’elle avait tentée de faire traverser la voie tracée entre les deux cheminées par la canne à pêche de lumière.
« Gelidae flammae ! » invoqua Dame Ignatia.
Le sable frémit dans le chaudron au Sortilège de gèle-flammes jusqu’à devenir d’un gris bleuté à la plus grande satisfaction de Dame Ignatia. Elle avait dû enlever la chicorée qui apaisait bien trop la fièvre de la flamme, et faisait s’éteindre le feu tout à fait à sa plus grande offuscation. Comme elle n’avait point encore pu tester la poudre avec elle-même, il lui était impossible de savoir si l’ache lisse lui permettrait de ne pas perdre la vue dans le voyage par cheminée, mais ceci devait au moins aider la canne à pêche à ne point se désorienter.
Sa plus grande innovation était indubitablement l’utilisation de pin larix malade : la teda. Une vieille anecdote de Geoffroy lui était revenue la veille. Le père de Geoffroy était un forgeron réputé du Pré-du-Lard. Lequel connaissait bien quel arbre produirait la fumée dont il avait besoin pour forger les objets magiques – ou non – réclamés par ses clients.
Le pin larix malade, ou teda, avait la vertu peu commune de produire une résine abondante et très liquide, très utile pour entretenir les lampes pour les cérémonies religieuses et mystiques. Mais cette résine, lorsqu’elle était encore prise dans le bois qu’on mettait au feu, donnait au charbon récolté un bruit de crépitation et offrait des étincelles et des projections absolument fabuleuses.
C’était l’énergie pure dont Dame Ignatia avait besoin :
- Le cri de la racine de mandragore invoquait la magie.
- Le charbon du teda faisait éclater en étincelles le feu de la cheminée.
- Le sortilège de gèle-flammes empêchait toute brûlure.
- Les dards d’abeille et l’ache donnaient ailes et yeux durant le voyage.
- Le croché de fortune se fichait dans un pincement dans le centre de gravité du protagoniste.
- Lequel remontait jusqu’au manche de la canne à pêche dans un parfum de cendre…
- … grâce à la poudre qui concentrait l’énergie de l’âtre et propulsait ledit protagoniste.
Cris, vue, nombril, parfum et goût : tous les sens étaient stimulés afin de ne pas perdre les sens dans cette concentration d’énergie.
- Cris de la mandragore.
- Vue éclaircie par l’ache.
- Crochet chatouillant le nombril.
- Cendre atteignant toujours le palais de la bouche.
- Et vague odeur de poulet grillé stimulant l’odorat (l’ajout de la cuisse d’un poulet était essentiel pour l’équilibre !).
La pomme – qu’elle avait soumise à l’essai du voyage entre cheminées – avait rebondi dans l’âtre de la maison du Pré-du-Lard avant de lui revenir intacte. Elle avait alors pris le parti d’essayer sa subtile invention avec un être vivant afin de s’assurer que le souffle de vie pouvait être conservé durant le déplacement magique.
Il ne manquait donc plus que Geoffroy lui renvoie Nouts qu’elle avait posé dans la cheminée. Son crapaud était un peu feignant, il n’aimait guère sauter de lui-même. Il ne pourrait donc lui revenir d’un bond.
Le battement d’ailes de son hibou la réjouit. Dame Hildegarde, Dame Ursula et Dilys devaient être en chemin. Ce soir, l’Amour triompherait !
L’écriture de Geoffroy sur le parchemin lui mit le doute. Elle ouvrit prestement le pli.
Ma merveilleuse Ignatia,
Je ne suis point encore au village du Pré-du-Lard, j’en suis navré. Un ruisseau en crue m’a retardé et fait faire un détour de trois lieues. Je crains que Nouts ne doive attendre encore quelques heures.
MAIS NON ! Comment pouvait-elle finir les ajustements de son installation de son voyage et de sa poudre si Geoffroy ne lui donnait point de nouvelles de Nouts ! Son pauvre Nouts, seul, abandonné de tous !
J’ai grand tard de vous voir à nouveau, ma tendre amie. La suave chaleur de votre voix et de votre corps hante chacun de mes gestes. Vous êtes l’unique maîtresse de mon cœur et de ma vie de toute éternité. Dès ce soir, nous serons enfin réunis !
Je vous aime de tout mon amour,
Votre dévoué Geoffroy, pour toujours et à jamais.
Ô Geoffroy. Plus que quelques heures.
Elle se mit à chanter sa joie à la cheminée et à la poudre d’un ton horriblement faux qu’elle cachait habituellement mais l’amour lui donnait des ailes.
La poudre, doucement, de bleue devint verte.