— Je ne comprends pas la nature de votre demande, finit par dire Bill avec prudence.
Travailler pour Gringott’s depuis de nombreuses années lui avait appris qu’un unique mot de travers pouvait créer un conflit d’envergure, et il prenait toujours bien des pincettes pour s’adresser à ses employeurs. Le gobelin qui lui faisait face, Tyzenk, leva sur lui un regard un peu agacé, mais dépourvu de colère, ce qui était tout de même bon signe.
— Et moi je ne comprends pas la nature de votre incompréhension, répliqua-t-il d’un ton sec.
— Le tombeau de Toutankhamon a déjà été exploré de long en large, par nous comme par les Moldus, je ne suis pas persuadé…
— Nous avons reçu de nouvelles informations, le coupa Tyzenk, concernant une pièce annexe n’ayant pas encore été découverte.
— Par qui ?
— Ce ne sont pas vos affaires, jeune homme. Faites donc votre travail. S’il y a des trésors cachés dans cette chambre funéraire inconnue, la banque en ressortira gagnante, et vous aussi par la même occasion, grâce au pourcentage que nous vous offrons.
— Et s’il n’y a rien ?
— Il n’y a que vous qui pourrez nous le dire.
Le gobelin lui adressa un sourire froid qui provoqua des frissons dans le dos de Bill. Il n’insista pas et quitta le bureau de son supérieur. C’était Tyzenk qui lui donnait ses ordres de mission depuis qu’il avait rejoint la banque cinq ans plus tôt, mais il ne s’habituait toujours pas à ses manières. Il y avait quelque chose chez lui de différent des autres gobelins. Une froideur dans les yeux qui était loin de le rassurer.
Malgré son mauvais pressentiment, Bill n’avait pas d’autre choix que de partir en expédition. Il examina d’un œil circonspect la carte qu’on lui avait dessinée, avec l’emplacement potentiel de cette soi-disant chambre inconnue. Il lui semblait improbable que les chercheurs de l’époque n’aient pas détecté cet endroit, mais après tout, leurs techniques de recherches devaient être différentes. Aujourd’hui, avec les nouveaux sortilèges développés, peut-être que… Il haussa les épaules. Après tout, ce n’était pas à lui de réfléchir. Il avait des ordres, il se devait de les exécuter.
Une vingtaine de minutes plus tard, Bill était en route, sa baguette dans la poche et son sac à dos sur l’épaule. A chacune de ses expéditions, il transportait antidotes et potions, un réflexe de survie qu’on leur apprenait dès le début de leur apprentissage en tant que Briseurs de sorts. Enveloppé d’une cape d’invisibilité en fin de vie qui commençait à devenir opaque, il transplana près de l’entrée du tombeau.
La plupart de leurs expéditions avaient lieu à la nuit tombée, surtout dans ce genre d’endroits réputés. Ils ne devaient pas croiser de Moldus. La Vallée des rois était dépourvue de touristes, une vue pour le moins étrange. Réprimant les frissons qui couraient de nouveau dans son dos, Bill se dirigea vers l’entrée du tombeau. De sa baguette, il fit sauter les verrous posés là par les Moldus, puis referma derrière lui, plus silencieux qu’une ombre.
Il était déjà venu plusieurs fois ici, lors de sa formation, en binôme avec un Briseur de sorts confirmé. Le tombeau de Toutankhamon était une de leur base d’exercice. Une manière de les mettre en conditions réelles en toute sécurité, car il avait été maintes fois exploré et ils en connaissaient les moindres recoins.
Bill dévala les seize marches de l’escalier, puis passa la première porte et remonta le couloir jusqu’à l’antichambre. Cela faisait quelques temps qu’il n’était pas venu ici, mais il se souvenait comme si c’était hier de ces murs blanchis à la chaux, nus et sans décorations. La dernière fois, il y avait eu encore des centaines et des centaines de pièces, entassées pêle-mêle, des meubles, des objets précieux, des chars, des sièges, des tuniques, des armes, des vases, des miroirs, des sistres, tant de choses qu’il en avait eu le tournis. Aujourd’hui, tout était sous verre, protégé des touristes trop curieux. Cela le rendit un peu triste.
Il tourna son regard vers la gauche, brièvement, sans s’y attarder, comme pour s’assurer qu’il se souvenait bien de tout. Il y avait une annexe là-bas, une petite pièce qui contenait des paniers, des jarres à vin et de la vaisselle. Ce n’était pas ce qui l’intéressait ce soir.
Prudent, Bill se défit de sa cape d’invisibilité défectueuse, qu’il n’utilisait que par principe, et la fourra dans son sac à dos. Il sortit sa baguette, et s’avança à pas lents vers la porte au fond du mur droit. Elle donnait sur la chambre funéraire. Ici aussi, tout était familier. Les murs enduits de plâtre jaune, les scènes peintes représentant le livre des morts qui décrivait le voyage de la mort à la résurrection divine, les objets divers qui encombraient la pièce. Et bien sûr, le sarcophage en son centre. Jusque-là, rien d’anormal.
Pourtant, Bill retenait son souffle. Il était toujours persuadé que quelque chose ne tournait pas rond, sans réussir à mettre le doigt dessus. Il sortit le plan qu’il avait emmené, examinant attentivement l’endroit où était censée se trouver cette pièce cachée. A l’est de la chambre mortuaire.
Dubitatif, il s’approcha pourtant du mur orné de la scène du cortège funèbre. Douze dignitaires, le front ceint de bandeaux blancs de deuil, tirant par la main le catafalque de Toutankhamon. Du bout de sa baguette, il éclaira chaque centimètre carré du mur. Il n’avait jamais particulièrement accordé son attention à cet endroit de la pièce, mais il ne pensait pas que…
Son souffle se bloqua dans sa gorge.
Des traces linéaires. Et des fissures. Il n’y avait aucun doute, une porte était dissimulée ici.
— Alohomora, murmura Bill.
Durant un court instant, rien ne se produisit. Puis le mur se mit à bouger. Le grondement caractéristique de la pierre frottant contre la pierre s’éleva dans la chambre mortuaire, de la poussière se mit à tomber des fissures, et Bill contemplait le phénomène, oubliant presque de respirer. Quelques secondes plus tard, une ouverture s’était faite dans le mur. Et de l’autre côté, à la lueur de sa baguette, il discernait une autre chambre. Et un sarcophage.
— Par Merlin…
Et Bill fit alors quelque chose de très imprudent. Qu’il ne faisait jamais. Fasciné, il entra dans la chambre funéraire qu’il venait de découvrir sans jeter le moindre sortilège d’exploration. Il était trop hypnotisé par le cercueil qui s’élevait face à lui. Quelle dépouille renfermait-il ?
Heureusement pour lui – ou malheureusement, selon les points de vue – quelqu’un d’autre était déjà entré avant lui. Quelqu’un qui avait désactivé la plupart des pièges mortels ; et qui était toujours présent.
— Stupéfix !
Le Briseur de sorts fut sauvé par ses réflexes. Il plongea au sol une fraction de seconde avant de se faire atteindre par le sortilège. Son menton heurta le sol poussiéreux avec violence et un goût de sang se répandit dans sa bouche. Il se retourna, baguette levée, prêt à affronter son assaillant, mais celui-ci s’enfuyait. Il n’eut le temps de voir qu’un bras blanc, orné d’une longue cicatrice boursoufflée, avant que l’intrus ne détale sans demander son reste, le visage dissimulé par un capuchon noir.
Bill se redressa sur les coudes en jurant contre sa stupidité. Il avait été idiot ! Ne même pas lancer les sortilèges de protection basique, ne même pas s’enquérir de son environnement, c’était une erreur de débutant. Enervé contre lui-même, il se redressa et jeta un coup d’œil prudent autour de lui. Jusqu’ici, pas d’Inferi, ni malédiction, ni squelette ambulant, il ne s’en sortait pas trop mal. Il supposait qu’il devait, en un sens, la vie à celui qui avait tenté de le stupéfixer. Les sorciers égyptiens faisaient toujours preuve de beaucoup d’imagination, dans leurs pièges, mais ils ne semblaient pas avoir été très inventifs sur cette pièce. D’après ce qu’il parvenait à détecter, il ne voyait que des restes de sorts rudimentaires. Des paralysants, principalement, rien de bien grave, et qui avaient été désactivés par l’intrus.
— Mais qui peut donc bien se trouver enterré ici, pour des protections aussi minimes, marmonna Bill.
Lentement, il fit le tour du sarcophage, bien plus prudent qu’auparavant. Soudain, il tomba sur une fresque qui le fit s’arrêter brutalement, sur le mur en face du cercueil majestueux. Un visage de femme, orné d’une haute couronne bleue caractéristique, avec un diadème d’or et un cobra sacré sur le front.
— Le tombeau perdu de Néfertiti, chuchota Bill, les yeux écarquillés, sans parvenir à y croire. Comment…
Un bruit au loin. Il se figea. Son assaillant qui revenait ? Un Moldu attiré par le bruit ?
Il n’avait pas le temps d’y réfléchir. Les mains tremblantes de cette découverte, Bill rassembla les objets susceptibles de l’intéresser. Il avait toujours eu l’impression dégoûtante d’être un pilleur de tombes, mais son métier l’exigeait. Il ne prenait que les artefacts qui avaient été créés par des gobelins. Une histoire de retour au juste propriétaire. Avec le temps, il avait appris à les repérer rapidement. Un glaive, un vase, une coupe en or, et plusieurs autres. Il fourra le tout dans son sac à dos, grâce à un sortilège d’Extension, puis il s’enveloppa de nouveau de la cape d’invisibilité minable et quitta la pièce. Quelqu’un remontait le couloir. Bill se hâta et referma le tombeau d’un geste de baguette. Maintenant qu’il savait ce qui se trouvait ici, ils allaient pouvoir envoyer des équipes d’exploration, mais il allait falloir être prudents, pour cacher ça aux Moldus. Peut-être qu’il pourrait demander à en faire partie.
Il retourna dans l’antichambre, prudemment, et tomba nez à nez avec un garde Moldu aux yeux plissés, qui balayait sa torche dans la pièce d’un regard suspicieux. Il l’évita en retenant son souffle, puis fit le chemin en sens inverse, le cœur battant la chamade.
Lorsqu’il retourna aux bureaux souterrains situés quelque part dans le centre-ville du Caire, Bill réfléchissait toujours à ce qu’il venait de voir. Comment les gobelins avaient-ils eu comme par hasard une information les menant au tombeau de Néfertiti, perdu depuis des années ? Qui était cet homme qui avait tenté de le stupéfixer ? Comment avait-il su où chercher et pourquoi ?
— Déjà de retour, Weasley ?
Tyzenk leva à peine les yeux de son parchemin, sur lequel il ne cessait de noter des colonnes de chiffres. La nuit allait bientôt s’achever, et l’heure de dormir se rapprochait, mais il paraissait aussi frais qu’au réveil.
— Vous ne devinerez jamais ce que j’ai découvert.
Le gobelin daigna à peine lui accorder un coup d’œil et fit un geste de main pour lui indiquer de poursuivre. Bill lui fit le compte-rendu de son expédition, et il fut plus que surpris de ne voir aucun étonnement dans les yeux de son supérieur. Il resta pourtant professionnel et factuel jusqu’au bout, taisant les questions qui le torturaient.
— Bien, dit Tyzenk lorsqu’il se tut. N’oubliez pas de faire un compte-rendu écrit, à remettre dès que possible. Nous enverrons une équipe de reconnaissance en exploration. Vos découvertes seront à remettre dès maintenant à l’emplacement B509.
Bill hocha le menton, et fit comme on lui demandait, réprimant sa curiosité. Il alla déposer les artefacts dans le coffre indiqué par Tyzenk, sous le regard attentif d’Astak.
— C’est tout ce qu’il y avait ? aboya presque le gobelin.
— Oui.
— Vous êtes sûr ?
— Affirmatif.
— Vous n’avez pas vu un collier avec une émeraude ?
— Non. Pourquoi ?
Astak ne daigna pas répondre à sa question et lui tendit un registre à signer. Fatigué par toute cette histoire, Bill obtempéra sans rechigner. Il rejoignit ensuite son petit appartement surchauffé, dans une des banlieues ouest du Caire et s’écroula sur son lit alors que le soleil pointait à l’horizon.
Il ne put s’endormir que plusieurs heures plus tard, épuisé, après que son cerveau ait repassé chaque scène en boucle, à la recherche de ce petit détail qui lui échappait. Il y avait décidément quelque chose de peu net dans cette histoire.