Sans foi ni loi.
Sans loi, Charity l’avait toujours été.
Elle n’avait jamais écouté la moindre injonction, jamais obéi au moindre ordre. Tête toujours levée, menton fier, elle avait supporté les insultes, les menaces, avec la même détermination.
En revanche, elle avait la foi. Envers et contre tout, elle avait assumé sa passion des moldus, sous les regards curieux, et les crachats méprisants. Elle avait soutenu sa thèse selon laquelle ils étaient tout aussi intéressants que les sorciers, peut-être plus. Elle avait écrit des livres sur leur artisanat, sur leur technologie, malgré la réticence des éditeurs et des libraires. Elle était venue à chaque séance de dédicaces, répondant patiemment aux questions des quelques intéressés, ignorant les quolibets. Oh, on avait tenté de l’intimider. Lucius Malefoy, en particulier, lui vouait une haine féroce, pour ce qu’il appelait « sa propagande ». Et ça ne s’était pas amélioré après qu’elle ait accepté le poste de Professeur d’Etude des Moldus à Poudlard. Albus Dumbledore l’avait prévenue : sa tâche serait essentielle, mais une tache laborieuse et ingrate, une tache de l’ombre. Mais Charity était déjà convaincue. Il était de son devoir de prendre ce poste, de se battre comme elle pouvait pour éduquer les sorciers, lutter contre leur ignorance et leurs préjugés, et former ainsi, peut-être, une nouvelle génération plus ouverte. Une génération, qui, peut-être, tendrait la main au rêve de la coopération sorciers-moldus. Une génération, qui, peut-être, franchirait enfin le gouffre de la différence.
Poudlard était devenu son toit et sa maison.
Mais ce n’était pas un toit très étanche. Elle aurait tout aussi bien pu être sans toit. Sans toit ni loi, tiens.
Malefoy avait redoublé de virulence. Il criait à qui voulait l’entendre qu’elle abreuvait ses étudiants de sornettes, qu’elle était une dangereuse folle, sans déontologie, une sans foi ni loi.
Quand les murmures avaient commencé à faire état du retour de Vous-Savez-Qui, Charity avait continué sans changer la moindre virgule de ses cours. Droite, droite, jusqu’au bout. Elle n’allait pas avoir peur maintenant.
Bien sûr, quand ces murmures s’étaient concrétisés, beaucoup de ses étudiants avaient déserté son cours. Charity avait continué à enseigner à la poignée qui était restée. Patiemment. Convaincue.
C’était la meilleure résistance qu’elle pouvait offrir.
Ses collègues professeurs, en privé, lui avaient conseillé amicalement de se retirer quelques temps à la campagne, de se faire oublier. Charity savait bien qu’elle était une cible parfaite. Mais elle avait balayé leurs suggestions, même l’inquiétude de Severus Rogue, avec qui elle discutait parfois, et qui lui avait dit gravement que Lucius avait résolu d’avoir sa peau.
Charity avait souri doucement.
Ses cours continueraient.
Bientôt, plus aucun collègue ne lui parlait. Ils l’évitaient. Ils lui jetaient des regards pleins d’effroi et de pitié, ces regards qui disaient : Elle est condamnée.
Les couloirs du château s’étaient mis à suinter de peur.
Les lettres de menace avaient triplé, pleines de maléfices.
Charity n’avait pas une seule minute de retard à chacun de ses cours. Cependant, quand elle apprit que les quelques derniers élèves qui restaient risquaient d'être fichés et menacés pour continuer d'assister à ses cours (initiative de Malefoy, sans doute), Charity n'hésita pas. Elle n'allait pas céder à l'intimidation, à sa propre peur, elle n'allait pas renier sa foi, ce qu'elle croyait juste et vrai. Mais elle n'allait pas non plus laisser en danger des innocents menacés à cause d'elle. D'un coup de baguette, elle effaça toute trace de ses cours : manuels, ses livres, devoirs d'élèves, outils moldus pour les démonstrations.Elle démissionna.
Hors de question de fuir hors du pays : Charity resta. Elle tenta d'entrer en contact avec des personnes fiables, qui seraient susceptibles d'entrer en résistance ou d'agir de quelque façon que ce soit.
Sa maison brûla. La Marque des Ténèbres flottait au dessus. Définitivement sans toit, maintenant.
Sans foi ni loi, et encore moins la loi de la terreur. Il n’y avait pas plus libre que Charity. Même maintenant, pendue tête en bas dans le Manoir Malefoy, en face de Vous-Savez-Qui lui-même, condamnée, Charity ne regrettait rien.
Le serpent se trainait sur la table, monstrueux, il serait sa fin.
Charity serra les dents.
L’éclair vert la cueillit sans la soumettre.