Ceux aux mains ensanglantées ne toucheront jamais les étoiles. Leurs doigts s’étendent désespérément leurs os se désarticulent leur peau s’étire mais la lumière est hors de portée.
Le pardon aussi.
Mais les gens aux mains ensanglantées, les jamais-pardonnés, peuvent encore marcher sur la terre. Ils marchent de ville en ville, et rien ne les rapproche plus, et rien ne les éloigne plus des hommes.
Le ciel cligne de l’œil. Il y a trop de sang, c’est épuisant. Au fil des jours, des années, le sang devient plus insupportable, il imbibe et alourdit le tissu des vêtements, son odeur capiteuse rouille et écœure les narines jusqu’à la tête. Albus sait tout ça : mais ses épaules courbées ont encore la peau douce. Il est sanglant, oui, mais il est jeune et beau. C’est le grand malheur. Toujours ensanglanté, jamais pardonné, Albus suit la route sinueuse sans se lasser.
Parfois, aux détours, il s’arrête et il prie. Le sang ne s’efface pas. Le pardon ne vient pas. Le ciel cligne de l’œil. Il n’y a rien de plus monstrueux que le ciel, cette démesure sans nom qui n’attend que d’exécuter. Autour d’Albus, la frénésie du monde continue. Ariana, elle, est figée dans le rien. Albus sait tout ça : mais ses épaules courbées ont encore la peau douce. Il est sanglant, oui, mais il est jeune et beau.
Déjà fané et flétri par la main du Diable, Albus dépérit sans s’endurcir. Il baigne dans la violence ferrugineuse, il baigne dans la passion mortifère, il baigne dans des cadavres dont il est le bourreau rêvé, parce que chacun sait que Gellert rêve à Albus quand il assassine. Il baigne dans l’horreur et c’est son abondance qui donne à sa peau ce lait doux. C’est le lait qu’avait la peau d’Ariana.
Gellert parcourt le chemin des damnés, lui aussi, et il tue mécaniquement, il égorge. Il fait jaillir le sang sur toutes les routes d’Angleterre. Albus se baigne dedans car Gellert tue pour lui. A ses yeux, Albus a toujours incarné la Cause et la Révolution. Albus baigne dans ce sang, éclatant et doux, il est le pire des vampires.
Sorti du bain, il pleure des nuits entières sur le sol éclaté. Si les larmes pouvaient gagner la rédemption, Albus en a pleuré des océans tels qu’il serait enfin en paix.
Mais il tend ses mains en vain. La lumière se dérobe aux pécheurs.
Gellert et Albus parcourent le même chemin et ne s’y croisent jamais. Albus est parti trop tard, Albus a ouvert les yeux trop tard, Albus a échoué, échoué, échoué.
Trop tard.
Gellert s’enfonce dans l’abîme et Albus échoue à en sortir parce que son propre corps l’attire au-dedans. Trahi par sa chair. Il peut bien continuer à prier des heures et des heures, il peut bien continuer à pleurer, le désir du corps ne ment pas et alors qu’il gratte la terre et fuit l’obscurité, tout l’y ramène.
Il baigne dans le sang que son amant a fait couler pour lui. Chaque minute, le bain se remplit plus encore. Albus se laisse submerger par le sang.
Sorti du bain, il pleure des nuits entières sur le sol éclaté.
Rien ne sauve du cauchemar de l’amour.