Il était presque mort. Ou, si ce n'était pas le cas, c'était tout comme. Les pieds dans le caniveau, à noyer sa culpabilité dans les flaques. A observer son reflet se gausser de sa fierté démantelée. A baisser les yeux pour éviter de croiser le regard de ces autres, ces anonymes dont il ne connaissait rien mais qui savait tout de lui.
- Fais attention où tu marches.
Il ne releva pas la tête, ne prit pas la peine de répondre, et abdiqua sans condition à l'ordre rageur que venait de lui insuffler cette voix féminine un peu rauque. A des années lumières de celui qu'il avait pu être auparavant, il oublia toute prétention et continua son chemin. Même ici, dans les allées obscures qui jouxtaient l'Allée des Embrumes, il choisissait de ne pas faire de vagues.
Son procès, tout comme celui de ses parents, avait été relayé par tous les journaux sorciers, qu'ils soient anglais ou étrangers. Son nom avait été traîné dans la boue, sali, démystifié. Sa sécurité, fragile, ne tenait qu'à ce lourd silence, tribut de sa sentence. Mis au ban de la société, il ne pouvait que courber l'échine en attendant que cesse le courroux de ceux qui avaient exigé sa pénitence.
- Malefoy ? C'est bien toi ?
C'était bien lui. Ou, tout du moins, ce qu'il en restait. Il ne savait pas exactement, à l'heure actuelle, s'il avait l'envie d'exprimer sa repentance ou s'il préférait tirer sa révérence, alors il se contentait de leur opposer ses absences. Absence de remords, absence de haine, absence d'orgueil. Absence de tout. Son détachement, si fatalement désespérant face à une plate arrogance sur le déclin, rancœur déprimante, indifférait les foules qui finissaient par se tourner vers la lente descente aux enfers de certains de ses congénères.
Celle qui se trouvait face à lui en était un exemple concret. Sous sa capuche noire, il discerna d'un œil las les cicatrices blanchâtres qui s'étalaient de part et d'autres d'un visage autrefois parfait. Depuis sa sortie de Sainte-Mangouste, Lavande Brown faisait les choux gras de la presse. Erigée en survivante, elle était malgré elle sous le feu aveuglant des projecteurs. Si la Gazette se targuait de mettre une héroïne sur le devant de la scène, elle se plaisait également à mettre en lumière les conséquences de la guerre.
Elle était un symbole, une égérie. Contre son gré. A elle les honneurs sous l'horreur sordide de sa situation. A lui l'horreur après les honneurs que tous lui portaient jadis. Fruit du hasard ou ironie cruelle du destin, ils s'étaient rencontrés au détour d'un couloir d'hôpital quelques mois plus tôt, aux abords d'une chambre aux murs capitonnés. Elle se remettait difficilement de l'attaque de Greyback, il se débattait avec ses pensées au point d'avoir voulu y mettre un terme brutal.
Pour une âme en perdition comme la sienne, plus rien n'avait la moindre importance. Ni ceux qui subissaient le même sort, ni les autres qui lui souhaitaient la mort. S'il l'avait osé, si une étincelle de vie avait subsisté en lui, il aurait usé de son rictus méprisant une dernière fois pour leur dire. Leur dire à tous. Qu'ils se réjouissent, qu'ils exultent enfin, tous ces charognards.
Drago n'avait rien dit de ses songes innommables. A personne, à part elle. Du bout des lèvres. Il s'était relevé comme l'aurait fait une ombre qui continue d'exister. Sans force vitale. Sans envie de poursuivre. Lavande n'avait rien dit. A personne. Ni de lui, ni de ce qu'elle avait appris. Ni de ce qu'elle-même avait pu avouer, sous le coup de cette brusque intimité. Elle était certaine que lui non plus n'avait pas trahi ses secrets. Qu'ils brisent les miroirs, qu'ils les brisent tous jusqu'au dernier.
- Pardonne-moi pour ce délit de faciès, mais je n'ai pas spécialement de doutes sur ton identité. Ton visage est facilement identifiable depuis quelques temps, Brown.
Il n'avait jamais été tendre avec elle. Tant mieux. Elle ne recherchait pas la pitié, ce sentiment écœurant qui sucrait les langues pour les rendre mielleuses et faussement joyeuses. Elle ne voulait pas non plus de compassion, cette tristesse déroutante dans les yeux et ces mots qui balbutiaient sans être justes.
Lavande s'armait de sombres colères, de ses chagrins incendiaires. La pitié, la compassion, comme n'importe quelle émotion dirigée à son encontre la mettait dans une rage folle. Drago, lui, s'exprimait d'un ton neutre. Plat. Sans vie, sans envie. Aucun sentiment ne transparaissait dans le ton de sa voix, et cela lui convenait. Elle se contentait de répliquer avec une sorte de fausse hargne. Pour faire semblant de le détester. Comme avant.
- Je n'en attendais pas moins de ta part. Tu as toujours été un fumier, Malefoy.
- Je plaide coupable.
Se revoir n'avait pas de sens. Ils ne le désiraient pas. Ni l'un ni l'autre. Car, pour l'un comme pour l'autre, leur première rencontre n'était qu'une seconde sans avenir. Le temps d'une confidence. Le temps des regrets, avoués dans un soupir pour ne plus jamais, jamais y repenser. Cet autre, elle ou lui, n'était finalement qu'un déversoir dans lequel ils avaient vidé toute la misère, l'obscurité, la crasse de leur existence atrophiée. Cet autre n'était plus souhaitable. Cet autre ne leur rappelait que cet instant minable de fragilité, de faiblesse délirante où ils s'étaient oubliés. Et pourtant, Lavande brûlait de curiosité. Or, Drago la dévisageait comme pour lire sur ses traits défaits ce qu'elle devenait.
- Comment...
- Tu vas...
Elle eut un rictus. Il la considéra de son sempiternel air las.
- On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, répondit-elle, haussant les épaules.
- Phrase basique sans la moindre saveur, répliqua-t-il, secouant légèrement la tête.
- C'est tout ce que j'ai en stock.
- Dommage, Brown, tu avais presque l'air intéressante.
- Dommage, Malefoy, tu avais presque l'air compatissant.
C'était devenu une sorte de lutte sans but. Un jeu sans récompense. A part, peut-être, cette intimité tacite que ni lui ni elle ne définissait. Après plusieurs mois, elle était toujours là.
- Je vais mieux, osa-t-elle dans un murmure. J'essaie de résister au besoin de briser tous les miroirs que je croise sur mon chemin.
- Je vais... fit-il à voix basse sans terminer sa phrase. Je vais, c'est déjà bien.
Et alors qu'il était vide de tout sentiment et qu'elle en débordait littéralement, une ruelle londonienne dessinait les prémices d'une seconde rencontre. Une simple esquisse au fusain. Fragile, poussiéreuse. Vouée à disparaître.