Émeute
Sirius était tellement fier de ses pommes d'amour bien rondes, à la belle couleur rouge vif, qu'il les exposa dans un panier d'osier posé sur un meuble du hall, pour que chaque visiteur qui entrait ne puisse les manquer – et se serve à volonté.
« Al, prends-en une avant qu'on nous dévalise, proposa-t-il à Maugrey. On attend du monde, aujourd'hui.
- Oh, tu sais, moi, tout ce qui est rouge, maintenant je m'en méfie, déclina Fol Œil avec un geste de refus.
- Mais… mais Monsieur Maugrey s'est pourtant assuré lui-même que ces pommes étaient parfaitement saines ! objecta Kreattur avec une véhémence surprenante.
- Je sais mais cette couleur me reste sur l'estomac, s'obstina Maugrey. De toute façon, il faut que j'y aille, je dois aller voir Abelforth à La Tête de Sanglier.
- Ne sois pas déçu, Kreattur, le réconforta Sirius. Il changera d'avis quand tout le monde lui dira à quel point elles sont excellentes. D'ailleurs, tu peux te servir.
- Oh non, Maître, Kreattur n'en veut pas ! s'écria l'elfe en ouvrant de grands yeux horrifiés. Kreattur n'a pas le temps ! Il doit aller faire les courses ! »
L'elfe s'enfuit sans demander son reste. Les deux sorciers échangèrent un regard perplexe, puis Sirius haussa les épaules.
« Je crois qu'il n'a jamais été très porté sur le sucre. »
***
« Des pommes d'amour ! Comme c'est charmant ! s'exclama Mrs Weasley.
- Tu crois qu'on peut se servir ? demanda Mr Weasley.
- Elles ne sont pas là juste pour faire joli, observa sa femme. Mais je ne crois pas que ce soit très bon pour ta glycémie, mon chéri.
- Tu as raison, soupira-t-il. Prends donc ma part.
- Je me contenterai de la mienne », déclina-t-elle en saisissant l'un des bâtonnets pour porter la pomme à sa bouche.
Elle la croqua et prit son temps pour la déguster, savourant en experte le mélange des arômes et des textures : oui, c'était une réussite. Puis son regard se fit lointain, rêveur, tandis qu'elle léchait le bâtonnet sur lequel restait un peu de sucre.
« Molly ? » fit Mr Weasley.
Avec un soupir, Mrs Weasley sortit de sa rêverie.
« Tu sais, ce n'est pas utile que tu sois là, dit-elle. Après tout, nous venons juste prendre des nouvelles. Tu passes tellement de temps au travail et en mission pour l'Ordre, Sirius ne t'en voudra pas d'être rentré te reposer.
- Tu crois ? » s'étonna Mr Weasley.
Le fait est qu'il se sentait fatigué après cette nuit de veille au Département des Mystères ; il se laissa donc facilement tenter. Resserrant sa cape autour de ses épaules, il sortit sur le perron pour transplaner pendant que sa femme s'enfonçait dans le couloir obscur, à la recherche de Sirius.
***
« Oh, regarde, Remus : des pommes d'amour ! »
Lupin fronça les sourcils : sachant ce qui se tramait dans cette maison, proposer une telle gourmandise ne lui semblait pas du meilleur goût.
« Tu en veux une ? demanda Tonks.
- Je préfère éviter, répondit Lupin en posant une main sur son estomac. Tout ce sucre juste avant la pleine lune… »
Tonks eut une grimace compatissante. Elle attrapa l'un des bâtonnets plantés dans les fruits mais, maladroite comme toujours, le laissa aussitôt tomber; la pomme roula par terre et des moutons de poussière se collèrent au caramel rouge.
« Beurk, fit Tonks en contemplant d'un air déçu la pomme ainsi gâchée. Il vaut mieux que je m'abstienne, tout compte fait, avant de provoquer une catastrophe.
- Catastrophe ? Quelle catastrophe ? s'inquiéta Hagrid qui venait de franchir derrière eux la porte du square Grimmaurd.
- En tout cas, moi, j'y suis pour rien ! se défendit Mondingus Fletcher, entré avec lui. Oh, des pommes d'amour ! »
Tonks se mordit la lèvre en voyant les nouveaux venus piocher chacun une pomme dans le panier et croquer dedans avec gourmandise.
« Et puis zut ! Je vais faire attention, cette fois ! décida-t-elle en retentant sa chance. Allez, Remus, accompagne-nous ! Prends au moins un bout de la mienne ! »
Lupin hésita. Il n'en avait vraiment pas envie, mais elle était si mignonne avec sa petite moue implorante… Comprenant qu'elle avait gagné, Tonks éleva le bâtonnet devant le visage de Lupin et pencha en même temps que lui la tête vers la pomme. Les yeux dans les yeux, ils croquèrent.
***
« Sirius, on se connaît depuis l'enfance ! Tu sais que je suis le seul à pouvoir te comprendre vraiment ! Pense à tout ce qu'on a traversé ensemble !
- Je te ferai tous les plats que tu aimes ! Et des enfants ! Je peux t'en faire plein !
- Tu as passé l'âge, ma pauvre ! Moi je suis jeune, Sirius, et je peux prendre le visage que tu veux. Dis-moi de qui tu as envie, tu l'auras !
- N'écoute pas ces chattes en chaleur ! Moi je t'aime sous toutes tes formes, et je sais ce que tu aimes. Tu te rappelles comme je peux te faire du bien ?
- Je suis peut-être pas très beau ni très propre, mais avec moi on se marre, et c'est ça que tu veux, hein ? Et puis j'ai ce qu'il faut là où il faut, si tu vois ce que je veux dire…
- Les amis, les amis ! plaida Sirius, les mains levée, reculant lentement devant la horde d'admirateurs déchaînés qui le suivait dans le couloir, la bave aux lèvres. Je préfère… je préfère qu'on reste amis ! »
Quand Molly lui avait sauté dessus, chaude comme la braise et très directe dans ses gestes comme dans ses propos, il était resté sidéré – enfin, après s'être dégagé de son étreinte. Ensuite, les autres avaient débarqué, parlant d'amour et se donnant des coups de coude pour arriver en premier jusqu'à lui, et il avait cru à une blague, peut-être en représailles à ce que lui-même faisait subir à Maugrey. Mais il avait vite compris que tout cela était très sérieux, quoique totalement incompréhensible.
« Sirius, je t'aime !
- Non, c'est moi qui l'aime ! Pousse-toi, mocheté !
- Qu'est-ce que tu sais de l'amour, toi ? Ivrogne ! Pochard !
- Rentre chez toi, vieille peau ! Ne l'approche pas !
- Vieille peau, moi ? Tiens, prend ça, pauvre type !
- Les amis ! Les amis, arrêtez ! » s'affola Sirius en les voyant en venir aux mains et aux baguettes.
Il se baissa pour éviter les sortilèges qui fusaient et profita de la bagarre pour aller s'enfermer dans sa chambre, à triple renfort de sortilèges. Pourquoi fallait-il que Fol Œil et Kreattur soient sortis précisément aujourd'hui ? Même l'aide de l'elfe aurait été la bienvenue ! En désespoir de cause, Sirius leva sa baguette et la pointa vers la fenêtre, priant pour que son Patronus parvienne à Dumbledore avant qu'il ne soit trop tard.
***
Severus Rogue se matérialisa sans un bruit sur le perron du 12, square Grimmaurd. Il était passablement contrarié. Alors qu'il passait une après-midi aussi solitaire que plaisante, Dumbledore avait fait irruption dans son bureau pour le prier de se rendre séance tenante au quartier général, où ses talents de spécialiste ès potions étaient, paraît-il, requis. Le directeur avait refusé d'expliquer de quoi il retournait, arguant qu'il le découvrirait bien assez vite tout seul et qu'il ne voulait pas lui gâcher la surprise.
Rogue avait trouvé cela stupide : comment savoir ce qu'il devait emporter d'ingrédients et de philtres prêts à l'usage, s'il ignorait quel était le problème ? Dumbledore s'était contenté de pouffer, les yeux pétillant derrière ses lunettes.
« Ne vous inquiétez pas, mon garçon, vous trouverez tout ce qu'il vous faut dans les réserves du square Grimmaurd – quelle bonne idée vous avez eue d'y créer un stock de potions et d'ingrédients de première nécessité ! Je m'en serais bien occupé moi-même, mais j'ai trop à faire pour l'Ordre en ce moment. »
Les ordres étant les ordres, Rogue avait gardé ses récriminations pour lui et foncé square Grimmaurd. Du seuil, la maison paraissait calme et silencieuse. Kreattur avait peut-être fini par en empoisonner les habitants ? Dans ce cas, Rogue tâcherait d'abord de sauver Maugrey ; pour Black, il verrait dans un second temps. Peut-être.
Baguette prête dans sa main pour parer à tout danger, il poussa la porte et entra dans le hall. Personne, et pas un bruit. Quoique… Il lui semblait entendre une certaine agitation en provenance des étages. Il fronça les sourcils. Il ne s'agissait probablement pas d'empoisonnement, en fin de compte. Peut-être Black avait-il fait une mauvaise manipulation en jouant les préparateurs, et s'était-il aspergé de lotion Scrofuleuse ou de potion d'Enflure ?
Alléché par cette perspective, Rogue s'apprêtait à traverser le hall en direction de l'escalier quand une tache de couleur vive, en périphérie de son champ de vision, attira son attention. Il tourna la tête et avisa un panier en osier d'où dépassaient d'appétissantes boules rouge vif.
« Tiens, tiens ! Des pommes d'amour... »